On savait que les membres de la génération Z, c’est-à-dire les personnes nées à la toute fin des années 1990, se distinguaient de leurs aînés par leurs opinions politiques plus progressistes. Ce que révèlent des articles comme « A new global gender divide is emerging »1, publié dans le Financial Times en janvier 2024, est que cette génération est en fait profondément divisée sur ces sujets, et selon une ligne de démarcation que certains n’avaient peut-être pas imaginée : le genre.

Si les jeunes des générations précédentes avaient tendance à converger idéologiquement, il semblerait qu’aujourd’hui, les jeunes hommes se démarquent par des idées davantage conservatrices. Au Royaume-Uni, toutes les catégories d’âge sont devenues en moyenne plus « libérales » dans les 20 dernières années – à l’exception des jeunes hommes. En Pologne, lors des élections de 2023, 16 % des jeunes femmes ont voté pour le parti d’extrême droite, contre 46 % des jeunes hommes.

Loin d’être un phénomène propre aux sociétés occidentales, ce fossé semble également s’observer dans des pays dits du Sud global. Alors, comment expliquer cette anomalie historique, après des décennies de progression des idées égalitaires ?

Le backlash après-#metoo

Dans le sillage du mouvement #metoo, qui a débuté en 2018, davantage de jeunes femmes ont été exposées aux idées féministes. Elles sont devenues plus « progressistes », tout en investissant davantage les réseaux sociaux et les espaces publics pour exprimer leur point de vue. Face à cela, de nombreux jeunes hommes ont perçu ce mouvement comme dirigé contre eux. Certains se sont sentis menacés et ont réagi en adoptant la position inverse.

Tirant un trait d’équivalence entre les idées féministes et le fait d’être woke, certains de ces jeunes hommes ont conclu qu’ils étaient unwoke sur d’autres sujets de société.

Cela pourrait expliquer pourquoi le clivage sur les questions de genre s’infiltre dans d’autres espaces : les débats sur l’immigration et la place des immigrés, l’identité sexuelle, la redistribution des richesses, etc.

Les « bulles de filtre »

Mais comment cette réaction à un mouvement de libération a-t-elle pu se perpétuer et se muer en véritable contre-mouvement ? La réponse se trouve, selon nous, dans les pratiques virtuelles des jeunes hommes et des jeunes femmes. Ceux-ci mènent des vies largement séparées sur les réseaux sociaux et consomment des contenus différents. L’effet désormais bien connu des « bulles de filtre » ne fait que renforcer cette division, enfermant les individus dans des algorithmes qui leur proposent un contenu toujours plus homogène, toujours moins « à l’extérieur de la boîte ».

Cela signifie que des cultures et des idéologies différentes, voire diamétralement opposées, peuvent se développer – avec le résultat que chaque moitié de la génération trouve les points de vue de l’autre incompréhensibles, voire intolérables.

Si les chiffres démontrent un décalage croissant entre les jeunes à l’échelle mondiale, la situation dans certaines sociétés atteint un niveau de division genrée extrême : en Corée du Sud, par exemple, on observe une vague de cyberharcèlement, portée par des forums masculinistes où circulent des idées misogynes d’une grande violence.

Et maintenant ?

On a donc sous-estimé le risque de polarisation entre hommes et femmes de la même génération. Cette fracture politique et idéologique mérite toute notre attention, car elle est dangereuse, et représente un recul, là où l’on a parfois tendance à penser que le progrès est assuré.

Ce qui nous laisse avec la question cruciale : que faire face à cela ? Il appartient aux hommes de s’informer par eux-mêmes et de s’éveiller aux questions féministes. Mais les jeunes hommes ont besoin de meilleurs modèles, et ce n’est pas leur faute s’ils n’en ont pas.

Passer sous silence les difficultés auxquelles ils font face est aussi contre-productif : entre autres chiffres, l’article de The Economist « Why young men and women are drifting apart » rappelle que dans les pays riches, 28 % de garçons n’atteignent pas le niveau de base en lecture défini par le programme d’évaluation PISA, contre 18 % des filles.

Une piste serait de réfléchir à la manière de faire fonctionner les écoles pour les garçons peu performants. Par ailleurs, étant donné que la déségrégation du marché du travail s’est faite dans un sens uniquement (les femmes investissent des milieux masculins), l’État pourrait mettre en place des mesures pour encourager les hommes à se diriger vers des domaines qu’ils fuient actuellement, comme la santé, l’éducation ou les tâches administratives.

Tout doit être fait pour réunir cette génération autour d’enjeux pressants, et non pas la diviser davantage – à l’inverse de l’instrumentalisation qui est faite, par certains politiciens, du ressentiment des jeunes hommes envers les femmes et le wokisme.

1. Lisez « A new global gender divide is emerging » (en anglais) Lisez « Pourquoi les jeunes Québécoises sont-elles plus progressistes que les gars ? » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue