« Au moment où j’ai voulu me lever, c’était impossible » : l’arrêt de travail menstruel, une nécessité pour certaines femmes

Une pancarte lors d’une marche contre la banalisation de l’endométriose, à Paris, le 25 mars 2017.

Une pancarte lors d’une marche contre la banalisation de l’endométriose, à Paris, le 25 mars 2017.  ANDRIEU ARNAUD/SIPA

Témoignage  Près d’une femme sur deux souffre chaque mois de règles incapacitantes qui peuvent avoir un impact sur leur travail. Ce jeudi, l’Assemblée nationale examine une proposition de loi pour instaurer un arrêt de travail menstruel. Un texte loin de faire l’unanimité, qui pourtant soulagerait ces femmes.

A mesure que les crampes s’accentuent dans son ventre, le visage de Virginie se décompose. Elle la connaît bien cette douleur « horrible » de règles. Mais, face à elle, des écoliers attendent la suite de l’activité qu’elle anime. A chaque pause, la médiatrice culturelle attend que les enfants se précipitent vers la cour de récréation pour s’allonger sur le sol. « Je prends mes médicaments et j’essaye de faire en sorte que ça passe. Mais ça ne passe pas », confie cette jeune femme âgée de 27 ans.

Comme une salariée menstruée sur deux, selon l’Ifop, Virginie souffre le martyre chaque mois lors de ses règles. Certaines décrivent des coups de poignard dans le bas du ventre, dans le dos. D’autres évoquent la fatigue, l’anxiété, les troubles digestifs, les maux de tête… « La douleur est tellement violente que ça influence tout le reste de mon corps : j’ai des vertiges, des bouffées de chaleur, de grosses pertes d’énergie et des nausées », détaille Virginie. Depuis ses premières menstruations, Virginie tente de calmer la douleur grâce à des comprimés ou avec sa contraception. Mais quatorze années plus tard, aucun diagnostic n’est posé et elle est forcée de composer avec sa douleur.

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Léa est atteinte d’endométriose. Chaque mois, c’est pour elle entre deux et sept jours de calvaire. « J’ai l’impression qu’on me comprime de l’intérieur, tout se contracte jusqu’à ce que ça devienne insupportable, raconte cette journaliste de 25 ans en alternance. Au-delà des crampes, il y a aussi l’impression de gonfler, les vêtements deviennent inconfortables tout comme la position assise. » Le seul moyen pour elle de s’apaiser : s’allonger sur un côté. Difficile lorsqu’elle travaille.

« Au moment où j’ai voulu me lever, c’était impossible »

Baisse de la productivité liée à une difficulté de concentration, impossibilité de se rendre au travail ou simplement de tenir debout… Selon cette même étude de l’Ifop parue en 2022, 35 % des salariées menstruées indiquent que leurs règles ont un impact négatif sur leur travail, soit une personne sur trois. « Ça me frustre car je sais que la qualité de mon travail est amoindrie », explique Virginie en soufflant : « Parfois, j’aimerais juste me barrer, prendre la voiture et rentrer chez moi. »

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Encore faut-il pouvoir faire le trajet jusqu’à son domicile. « Les écoles où je travaille sont parfois loin de chez moi. Je dois faire jusqu’à une heure de route avec des vertiges et une concentration faible. C’est dangereux », s’inquiète Virginie. Anaïs, 27 ans, doit faire face à ses « crises », comme elle les a qualifiées. Leurs caractéristiques ? Une barre dans le ventre, des pincements comme des coups de couteau et une accentuation de ses problèmes digestifs. Quand une violente crise se déclenche au travail, elle doit « attendre que ça passe ». Cette chargée de communication narre la première fois où elle a compris qu’il y avait un problème :

« Au moment où j’ai voulu me lever, c’était impossible. J’ai dû attendre une demi-heure que ça passe et que je sois à peu près en état pour pouvoir rentrer chez moi. Une collègue m’a accompagné dans le bus pour tenir mes affaires car je marchais pliée en deux. »

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Comme Virginie, Anais ne sait pas encore d’où provient sa douleur. Elle se sent parfois « incomprise ». « C’est compliqué de trouver un médecin compétent. Quand ils ne savent pas, ils ne cherchent pas plus loin… », souffle-t-elle.

Une proposition de loi à l’Assemblée

Malgré les douleurs de ces femmes, instaurer un arrêt de travail en cas de règles incapacitantes en France semble compliqué. Une proposition de loi des députés de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) visant à reconnaître et protéger la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail a été examinée mercredi dernier par la commission des Affaires sociales. L’article 1 prône l’instauration d’un arrêt de travail « intégralement pris en charge par l’assurance-maladie, exempt de jours de carence, allant jusqu’à 13 jours ouvrés, posés consécutivement ou séparément, sur une durée d’un an et sans limite mensuelle ». Mais il a été rejeté par la commission à 16 voix contre 16.

Néanmoins, tout n’est pas perdu. Le texte va tout de même être étudié ce jeudi 4 avril dans l’Hémicycle dans le cadre de la niche parlementaire des écologistes.

Outre l’arrêt de travail menstruel, ces députés veulent également simplifier le recours au télétravail en cas de règles handicapantes, renforcer la prévention et l’accès a des sanitaires et des protections périodiques au travail.

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« Ce serait enfin pris en compte »

Pour l’heure, certaines femmes sont obligées de s’arrêter en subissant les jours de carence. Quand le médecin daigne bien les croire. Léa a déjà demandé quatre arrêts de travail à cause de ses menstruations. Deux ont été refusés par des médecins, des hommes. « Ils me disaient que ça allait passer, qu’il ne fallait pas en faire toute une histoire », se souvient la jeune femme. Lors de ses dernières règles, elle a été contrainte de rentrer chez elle en plein milieu de la journée et, avec l’accord de ses employeurs, elle a pu terminer sa semaine en télétravail.

Anais et Virginie n’ont encore jamais été voir leur médecin pour un arrêt de travail lié à leurs règles. Si l’arrêt de travail menstruel venait à être instauré, Anais n’y aurait recours qu’en cas de « grosse crise longue ». Elle aimerait en revanche pouvoir rester plus souvent en télétravail de manière à « gérer les crises en [s]’allongeant dans [son] lit ».

De son côté Virginie y « réfléchirait à deux fois » pour « ne pas laisser tomber [ses] collègues ». Mais elle voit tout de même d’un bon œil l’acquisition possible de ce droit pour les femmes : « Ce serait enfin pris en compte et justifiable pour l’entreprise. Je serais vraiment comprise. »

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