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"La stratégie économique allemande a rendu les populations européennes plus sensibles à la propagande russe"
Vladimir Poutine le 3 avril.
Mikhail Metzel / AFP

"La stratégie économique allemande a rendu les populations européennes plus sensibles à la propagande russe"

Diplomatie

Par Emmanuel Sales

Publié le

Dans l’histoire diplomatique, Moscou nous a toujours déçus. En la matière, l’Allemagne d’aujourd’hui ne saurait représenter un modèle et les États-Unis apparaissent comme un allié fuyant. Conclusion : compter sur ses propres forces. Analyse par Emmanuel sales, agrégé de philosophie et président de la société de gestion « La Financière de la Cité ».

L’étrange fascination des milieux « souverainistes » ou conservateurs pour la Russie est bien mal inspirée. En vérité, « l’alliance russe » sur laquelle nos gouvernements ont fondé tant d’espoirs ne nous a jamais été d’aucun secours. La Russie nous a toujours fait défaut.

Sous Louis XV, sous l’Empire, en 1917, en 1939. À cela rien d’anormal. Pour la France, la Russie était une partie d’un système visant à contenir l’Allemagne. Pour Moscou, cette alliance n’a jamais eu un caractère belliqueux et était un moyen de prolonger le pont établi avec Berlin.

Réévaluer ses priorités

La Russie, en effet, a toujours été moins proche de la France que de l’Allemagne, par laquelle elle s’est ouverte sur l’Europe. Le Kremlin a donc rapidement réévalué ses priorités lorsqu’il s’est agi de choisir entre l’Allemagne et la France, pendant la guerre de Sept ans, comme lors des deux conflits mondiaux.

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Ainsi, comme au XVIIIe siècle, la Pologne est redevenue essentielle à la sécurité de la France. Non seulement l’Union européenne n’a rien changé mais encore, la réunification de l’Allemagne et l’élargissement à l’Est ont renforcé nos responsabilités. Pour des raisons évidentes, Berlin est privée pour longtemps de toute autonomie stratégique. L’Allemagne produit des automobiles de luxe et des machines outils comme elle faisait des horloges en bois et de la métaphysique au XIXe siècle. Il ne faut rien attendre de cette grande puissance provinciale. L’alliance américaine étant redevenue comme la garantie du traité de Versailles, incertaine et fuyante, la défense du continent repose donc en premier lieu sur la France et sur l’Angleterre.

Les conséquences à tirer

De tout cela, on devrait tirer des conséquences. À l’heure où l’Europe doit renforcer son effort de défense, il faut reprendre la main sur la politique monétaire et le gouvernement économique de la zone euro. La stratégie allemande a rendu les populations européennes plus malheureuses et plus sensibles à la propagande russe. Pour que l’Europe se renforce, elle doit adopter une stratégie de croissance et de soutien aux industries nationales analogue à celle des Etats-Unis.

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Cela suppose de rompre avec le conservatisme monétaire et budgétaire qui encalmine la croissance européenne depuis 2010, en mettant en commun nos instruments de financement, en s’accordant sur des choix permettant de libérer le potentiel économique du continent.

Ceux qui considèrent que le renforcement de l’Europe serait un abaissement de la France n’ont vraiment rien compris. Notre ancienne diplomatie, qui était moins encombrée d’idéologie, n’aurait jamais rechigné à tirer parti d’une situation aussi intéressante.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne