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Une torture de la mafia se pratiquait déjà au néolithique

Les traces d’un supplice appelé «incaprettamento» ont été découvertes dans une sépulture du site français de Saint-Paul-Trois-Châteaux, dans la vallée du Rhône, daté de 3500 ans avant notre ère

Trois squelettes de victimes de sacrifices humains retrouvés à Saint-Paul-Trois-Chateaux, dans la Drôme. — © ALAIN BEECHING / AFP
Trois squelettes de victimes de sacrifices humains retrouvés à Saint-Paul-Trois-Chateaux, dans la Drôme. — © ALAIN BEECHING / AFP

Placées sur le ventre genoux fléchis, le cou et les chevilles reliés par une corde, les victimes mouraient par auto-strangulation: ces sacrifices humains particulièrement cruels furent pratiqués durant 2000 ans à travers l’Europe par les sociétés agraires au Néolithique, selon une étude parue mercredi.

Les traces de ce supplice appelé «incaprettamento», un mode opératoire utilisé aujourd’hui par certaines mafias italiennes, ont été découvertes dans une sépulture du site français de Saint-Paul-Trois-Châteaux dans la vallée du Rhône, daté de 3500 ans avant notre ère.

Trois squelettes de femmes gisaient dans une fosse bâtie comme un silo à grains, aux murs tapissés de paille. L’une placée au centre, enterrée avec un vase, les deux autres poussées contre la paroi, les genoux fléchis.

Une position inhabituelle suggérant que les deux malheureuses avaient été tuées lors d’un sacrifice. «Mais nous n’avions pas de diagnostic précis», dit à l’AFP Eric Crubézy, professeur à l’Université Toulouse III-Paul Sabatier et au Centre d’anthropologie et de génomique de Toulouse, qui a coordonné l’étude publiée dans Science Advances.

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Pas de sang versé

Il y a trois ans, ce chercheur en anthropologie biologique a voulu éclaircir le mystère et décidé de reprendre les données des fouilles de Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), entreprises dans les années 1980 et conservées depuis dans son laboratoire. Une nouvelle analyse des ossements, menée avec le directeur de l’Institut médico-légal de Paris, Bertrand Ludes, a révélé que les victimes étaient mortes par asphyxie.

La position des squelettes suggère clairement aux scientifiques le supplice de l’incaprettamento, dont une forme avait été découverte dans les années 1950 sur des ossements humains vieux de 10 000 ans, dans une grotte en Sicile.

La torture consiste à placer la victime sur le ventre avec les genoux fléchis au maximum, une corde attachée autour du cou et des chevilles. Avec la fatigue, les jambes se détendent, inévitablement, mettent la corde sous tension entraînant un auto-étranglement.

«Un supplice particulier de par sa cruauté mais aussi parce que l’officiant n’a pas besoin de mettre à mort le sujet sacrifié, et qu’aucun sang n’est versé», observe le Professeur Crubézy. L’acte peut même être interprété comme «un suicide symbolique où la victime provoque sa propre mort», ajoute l’étude.

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Rituels liés aux récoltes

La forme en cloche de la fosse où gisaient les deux victimes évoquait l’idée d’un silo, mais sans contenir de trace de graine, soulignant la dimension sacrificielle de la mise à mort. Autre indice: la fosse était placée dans une structure en bois dont les ouvertures étaient volontairement orientées en direction des solstices d’été et d’hiver, en lien avec le cycle des saisons.

Au Néolithique, Saint-Paul-Trois-Châteaux était un «site de rassemblement», où les groupes agro-pastoraux venaient de loin pour des rituels liés aux récoltes, comme le cassage de meules, le sacrifice de chiens, de bovins, plus rarement d’humains, développe le chercheur.

Des études comparatives menées sur 14 autres sites similaires, en Europe centrale et en Catalogne, ont révélé la marque du même meurtre rituel sur une vingtaine de squelettes, signe que la pratique était largement diffusée au sein des sociétés agraires. Et ce durant au moins 2000 ans, le premier cas remontant à 5500 ans avant notre ère, détaille l’étude.

Ces rites ont fini par disparaître au moment de l’expansion de la culture des mégalithes depuis les côtes atlantiques vers les zones méditerranéennes. Les communautés ne se rassemblèrent plus autour de silos mais de dolmens, «où étaient accueillis une partie des morts avec des rites différents», sans la trace du supplice, conclut le Professeur Crubézy.