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« C’est sur ce mot qu’on a fait ce livre » : comment Victor Hugo a écrit Notre-Dame de Paris

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10 avril 2024

La cathédrale Notre-Dame telle que nous la connaissons aujourd’hui est indissociable de deux grands créateurs du XIXe siècle : Eugène Viollet-le-Duc et Victor Hugo. Le manuscrit de Notre-Dame de Paris témoigne de la création de ce roman qui transforma la vieille église en mythe et inspira sa restauration.

Frontispice de l'édition illustrée de 1876-1877

Dans l’édition originale des Orientales en 1829, un prospectus de l’éditeur Gosselin, rédigé anonymement par Sainte-Beuve, invitait les lecteurs à souscrire à une édition des Œuvres complètes de Victor Hugo (âgé de 27 ans seulement), qui devaient, à la suite des textes déjà parus, comporter un inédit : « M. Victor Hugo termine en ce moment un roman historique, qui aura pour titre Notre-Dame de Paris. » Or, de ce roman, Hugo n’avait alors pas écrit la première ligne ; ce qui ne l’avait pas empêché de le promettre à Gosselin, et de s’engager par traité, en novembre 1828, à lui livrer le manuscrit dans les six mois.

Frontisipice de Célestin Nanteuil pour l'édition des Œuvres complètes de Victor Hugo, 1832. BnF, Estampes et photographie

De ce qui inspira à Hugo l’idée d’un roman historique situé dans le Paris de 1482 et dont la cathédrale Notre-Dame serait le cœur, on ne sait à peu près rien. Ce projet doit indéniablement beaucoup à deux grands prédécesseurs : Chateaubriand, dont le Génie du christianisme (1802) avait réhabilité l’art chrétien médiéval, et Walter Scott, l’inventeur du roman historique moderne, dont les œuvres connaissaient un immense succès dans toute l’Europe. 
 

Première édition française d'Ivanhoe de Walter Scott, 1820. BnF, Littérature et art

Mais Notre-Dame de Paris n’est pas qu’un roman dans l’air du temps : il est avant tout nourri de préoccupations et des thèmes très personnels chez Hugo. Sa fascination pour l’architecture gothique, à laquelle il a été notamment initié par son ami Charles Nodier, est déjà ancienne, et ne le quittera jamais, notamment dans son œuvre graphique. La question de la sauvegarde des monuments médiévaux, malmenés voire décimés par la Révolution et les destructions voraces des marchands de biens, puis par les restaurations abusives, lui avait inspiré en 1825 une première dénonciation, « Sur la destruction des monuments de France », qu’il reprendra en 1832 avec une implacable « Guerre aux démolisseurs »

Notre-Dame en 1842, gravure de Fortuné Méaulle pour l'édition de 1876-1877

Quant à la matière romanesque, elle est purement hugolienne ; le personnage de Quasimodo, notamment, s’inscrit dans la lignée des monstres au cœur noble, qui court de Han d’Islande (héros éponyme du premier roman de Victor Hugo, publié en 1823) au Gwynplaine de L’Homme qui rit.
 

Édition de Han d'Islande illustrée par Georges Rochegrosse, 1885. BnF, Réserve des livres rares

Mais ce roman, encore fallait-il l’écrire. Or en 1829 et 1830 Hugo se consacre à d’autres projets, surtout au théâtre : une première pièce (Marion Delorme) interdite par la censure, et quelques mois plus tard une seconde (Hernani) qui provoque une quasi émeute au Théâtre-Français. Pour calmer son éditeur qui attend le manuscrit depuis plus d’un an, il invoque la perte d’un cahier de notes bibliographiques dont l’existence est très douteuse. Et quand enfin, le 25 juillet 1830, il trace les premières lignes du manuscrit, la révolution des « Trois Glorieuses » éclate dans Paris, interrompant aussitôt la rédaction. Quelques semaines plus tard naît sa fille Adèle, comme le relate une note à l’encre violette sur la page de titre.


Notre-Dame de Paris, manuscrit autographe, page de titre et détail. BnF, Manuscrits, NAF 13378, f. 1

Ce n’est donc que le 1er septembre que Hugo revient à son roman. Menacé de lourdes pénalités par Gosselin, il n’a plus le choix : il a devant lui à peine 5 mois pour écrire ce roman. Il s’enferme alors dans sa maison de la rue Jean-Goujon, et va s’y atteler avec une régularité de moine ou de travailleur de force, à raison de 16 heures par jour.
Ce n’est pourtant pas une impression de frénésie ou de souffrance que suscite l’aspect du manuscrit, mais bien celle d’un travail méthodique et serein. Selon son habitude, Hugo divise les feuillets en deux : la moitié droite pour la première rédaction, la moitié gauche pour les corrections, ajouts ou réécritures. Mais en l’occurrence les échéances très courtes font que Hugo est très peu revenu sur son texte, et la marge de gauche est souvent vierge. Les corrections, quand il y en a, sont sans doute du jour même ou du lendemain. 
 

F. 69v

Sur quelques feuillets, on trouve de petits dessins en rapport plus ou moins direct avec le texte, comme de courtes distractions que l’écrivain s’est accordées : des esquisses d’architecture, la façade de la cathédrale, le croissant de lune surmontant les tours, la recluse (mère d’Esmeralda) dans le « Trou aux rats » de la place de Grève… 

 
 

Dessins marginaux : f. 197r, 163r

F. 276v

Le croissant de la lune, qui venait de s'envoler de l'horizon, était arrêté en ce moment au sommet de la tour de droite, et semblait s'être perché, comme un oiseau lumineux, au bord de la balustrade découpée en trèfles noirs.

Notre-Dame de Paris, IX, 1

De petits traits horizontaux, tracés à la fin de chaque journée de travail, permettent de suivre précisément la progression quotidienne de la rédaction.

F. 282r

Le mot « Fin » est inscrit le 15 janvier 1831, à 6 heures et demie du soir. Cet achèvement est marqué par un de ces clins d’œil du destin que Hugo affectionne :

La bouteille d’encre que M. Victor Hugo avait achetée le premier jour était finie aussi ; il était arrivé en même temps à la dernière ligne et à la dernière goutte ; ce qui lui donna un moment l’idée de changer son titre et d’intituler son roman : Ce qu’il y a dans une bouteille d’encre. 

Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie [Adèle Hugo]

Le manuscrit (en feuilles) part alors chez l’imprimeur, qui va le traiter, selon l’usage, comme un matériau de travail, inscrivant dans les marges les noms des ouvriers typographes à qui est confiée la composition de chaque section du texte. Par une amusante coïncidence, l’un d’eux porte le nom de Bossu, comme un lointain cousin de Quasimodo (« Le Bossu (Huntchback) de Notre-Dame » est le titre anglais du roman).

F. 183r

Mécontent de ces mutilations, Hugo prit désormais l’habitude de garder pour soi le manuscrit autographe, et de n’envoyer à l'imprimeur qu’une copie (cela allait devenir la tâche d’élection de Juliette Drouet). Celui de Notre-Dame de Paris, comme les autres, l’accompagna en exil ; à la fin des années 1860, il le fit relier à Guernesey, en sobre et robuste parchemin blanc. Quelques feuillets de « reliquat » furent insérés dans la reliure après la mort de Victor Hugo : des notes prises dans ses lectures documentaires, une esquisse de plan de Paris au Moyen Âge, mais aussi une double page de petits dessins enfantins, témoignage touchant du bonheur familial dans lequel le roman avait été écrit.

F. 404v-405r

Dernière péripétie éditoriale : emporté par son enthousiasme, Hugo, voyant grossir son manuscrit, avertit l'éditeur que l'ensemble ne tiendrait pas en deux volumes in-8, comme le prévoyait le contrat, et qu'il faudrait en prévoir un troisième — avec une augmentation des droits d'auteur en proportion. Devant le refus net de Gosselin, Hugo décida alors de retirer trois chapitres qui pouvaient apparaître comme des digressions : le chapitre VI du quatrième livre ("Impopularité") et surtout les deux chapitres composant le cinquième livre : la visite incognito de Louis XI à Claude Frollo ("Abbas Beati Martini") et le grand développement historico-philosophique sur l'architecture et le livre, "Ceci tuera cela". Ces chapitres furent réintroduits dans l'édition Renduel de 1832, qui fit dorénavant référence ; pour expliquer cet accroissement, Hugo s'amusa à inventer, dans la préface, une histoire de feuillets manuscrits perdus et retrouvés.


Esquisse de Quasimodo ?, f. 406r

 

 

 

 

 

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