Logo vl

Médecins sans frontières

Guerre au Soudan: «Une catastrophe colossale provoquée par l’homme»

Alors que le pays africain est plongé dans le chaos, l’aide humanitaire échoue à venir en aide aux populations, tandis que l’ONU fait l’objet de critiques.

Une femme soudanaise traîne sa valise à travers un camp de transit dans la ville frontalière sud-soudanaise de Renk.
Une femme soudanaise traîne sa valise à travers un camp de transit dans la ville frontalière sud-soudanaise de Renk. © PHOTO: dpa

Lorsqu’en avril 2019, le président Omar el-Béchir a été chassé du pouvoir par un coup d’État militaire, les Soudanais espéraient encore un nouveau départ démocratique pour leur pays. Mais à peine un an et demi plus tard, les généraux ont de nouveau mené un coup d’État, supprimant le gouvernement civil de transition et propulsant ainsi définitivement le pays dans un chaos qui perdure encore aujourd’hui.

Lire aussi :

La situation est complexe et surtout violente. Alors que le chef militaire Abdel Fattah al-Burhan réclame le pouvoir dans le pays depuis l’est du Soudan, son ancien compagnon de route et chef de la milice «Rapid Support Forces», Mohamed Hamdan Daglo, poursuit la même ambition. Comme souvent, la population civile se retrouve prise entre deux feux, attaquée en plus par les rebelles islamistes en dehors des centres urbains.

«Le Soudan est confronté à une catastrophe colossale d’origine humaine», décrit Thomas Kauffmann, directeur général de Médecins sans frontières Luxembourg (MSF), en évoquant la situation sur place. Pour des millions de personnes, ce n’est rien de moins qu’«une question de vie ou de mort». L’ONG internationale avait invité la presse à une conférence, lundi 16 avril, rue de Gasperich. Le peu d’écho médiatique que l’invitation a suscité souligne également à quel point le conflit est peu présent dans l’opinion publique luxembourgeoise. Ainsi, le Luxemburger Wort a été le seul média à répondre à l’appel de vendredi dernier.

Lire aussi :

Un conflit éclipsé par d’autres

Dans l’ombre de la guerre en Ukraine et du conflit au Proche-Orient, le pays d’Afrique du Nord-Est a connu une situation d’urgence humanitaire à peine perçue par l’opinion publique mondiale, qui éclipse actuellement tous les autres conflits sur le plan purement quantitatif. Selon les données des Nations unies (ONU), plus de huit millions de personnes ont dû quitter leur domicile jusqu’à présent, et environ 25 millions de personnes au total ont besoin d’une aide humanitaire, rapporte le directeur de MSF Luxembourg.

Au total, MSF gère 30 structures de santé au Soudan, où travaillent environ 900 collaborateurs soudanais et 100 collaborateurs internationaux, et ne peut pourtant pas atteindre toutes les régions en conflit. D’une part, le régime d’al-Burhan, qui réside à l’ouest, empêche de manière offensive le transport de l’aide à travers les lignes de front, et d’autre part, la situation sécuritaire dans les provinces contrôlées par la RSF est incertaine.

Aujourd’hui, seuls 20 à 30% de l’infrastructure sanitaire d’autrefois sont encore opérationnels.

Selon Isaac Alcalde et Juniper Gordon, coordinateurs d'urgence MSF au Soudan, le personnel médical est régulièrement attaqué par les milices ou d’autres groupes de militants et les rares réserves ont été pillées dès les premiers mois du conflit, notamment au Darfour. Rien que dans le camp de réfugiés de Zamzam, au nord, vivent 300.000 personnes.

Des soins de santé au plus bas

Depuis le début de la guerre, le Soudan, qui disposait autrefois d’un système de santé public qui fonctionnait à peu près correctement, a connu une profonde régression, comme le montre ce camp. Selon les indications de MSF, le Programme alimentaire mondial des Nations unies n’a pas distribué de nourriture dans le camp depuis mai 2023, près d’un quart des enfants qui y vivent souffrent de malnutrition aiguë, les femmes enceintes et allaitantes partagent le même sort. À cela s’ajoute un taux de mortalité énorme de 2,5 personnes sur 10.000 par jour. À titre de comparaison, le taux estimé pour l’UE en 2022 était de 11,5 personnes pour 1.000 par an.

Aujourd’hui, seuls 20 à 30% au maximum de l’infrastructure sanitaire d’autrefois sont encore opérationnels. Comme de nombreux hôpitaux ne disposent plus des médicaments nécessaires, les personnes devraient s’en procurer à l’extérieur, et les payer en espèces. Un défi impossible à relever pour de nombreux réfugiés.

Lire aussi :

«Les coûts généraux des soins de santé ont crevé le plafond», explique Juniper Gordon. Le diabète, par exemple, est devenu quasiment impossible à traiter en raison de la pénurie de médicaments, tout comme des maladies comme la polio. En outre, les médecins constatent que de plus en plus de personnes contractent l’hépatite C, une conséquence directe du manque d’hygiène.

Par habitant, le Luxembourg est le deuxième pays donateur après la Suisse.

À cela s’ajoutent les blessures qui résultent directement des combats. Les statistiques nous indiquent que rien que depuis le début de la guerre en avril 2023, plus de 22.800 blessures liées à la violence ont été enregistrées dans les structures soutenues par MSF et plus de 4.600 interventions chirurgicales ont été réalisées.

Le Luxembourg est un important donateur

Active au Soudan depuis 1997, l’ONG Médecins sans frontières a structuré son réseau et développé son aide. Mais l’ampleur de ce «conflit oublié» dépasse ses moyens. En effet, quatre milliards de dollars américains (3,76 milliards d’euros) sont nécessaires pour gérer la crise de manière urgente, dont 2,7 milliards directement pour le Soudan et 1,3 milliard pour le Tchad, où des centaines de milliers de personnes ont trouvé refuge. Jusqu’à présent, seuls 15 à 20% de cette somme ont été réunis par les donateurs internationaux, rapporte Esther Leick, responsable de la collecte de fonds chez MSF.

Lire aussi :

Une conférence des donateurs à Paris, qui a été organisée le jour même du premier anniversaire du début de la guerre, le 15 avril 2023, a permis de faire progresser la collecte. Les pays participants ont l’intention de débloquer près de deux milliards d’euros. Il ne manque donc «que» deux autres milliards.

Thomas Kauffmann, directeur général de Médecins sans frontières Luxembourg, appelle à une plus grande attention pour la situation d’urgence humanitaire au Soudan.
Thomas Kauffmann, directeur général de Médecins sans frontières Luxembourg, appelle à une plus grande attention pour la situation d’urgence humanitaire au Soudan. © PHOTO: Gilles Kayser

L’ONG elle-même se trouve régulièrement confrontée à une sorte de conflit de conscience lors de la mise à disposition de fonds. Si les sommes sont augmentées pour un projet, elles font défaut pour d’autres. Les critiques s’adressent également à ce que MSF considère comme l’inaction des Nations unies. «Les Nations unies et leurs partenaires se sont imposé des restrictions d’accès à ces régions, de sorte qu’ils ne se sont même pas mis en position d’intervenir ou de former des équipes sur place si l’occasion se présentait», reproche Ozan Agbas.

Toujours est-il que, par habitant, le Luxembourg est le deuxième pays donateur après la Suisse. En 2023, MSF a réussi à récolter au Grand-Duché environ 176.000 euros de dons privés rien que pour le Soudan qui, selon l’ONG, ont été entièrement investis dans des projets sur place. Au total, MSF international prévoit de consacrer 55,3 millions d’euros à l’aide au Soudan en 2024.

Lire aussi :

Au vu de la situation catastrophique dans laquelle se trouve le pays, la question des perspectives se pose. Et celle-ci est désastreuse du point de vue de l’ONG: «Même si la guerre se terminait demain, le Soudan ne s’en remettrait pas dans les 15 à 20 prochaines années», constate Isaac Alcalde. «Il n’y a aucune raison d’être optimiste.»

Cet article a été initialement publié sur le site du Luxemburger Wort.
Adaptation: Laura Bannier

Sur le même sujet