Il y a quelques semaines, l'espoir d’une deuxième vague #MeToo dans le cinéma français émergeait, plus de six ans après celle qui bousculait Hollywood.

Dans le sillage des témoignages des actrices Judith Godrèche, Anna Mouglalis ou encore Isild Le Besco, qui accusent des cinéastes de violences sexuelles, notamment sur mineure, une autre voix s'est élevée au sein de ce milieu : celle des garçons et des hommes victimes.

Une libération en appelant une autre, c’est sous le hashtag #MeTooGarçons (ou #MeTooGarçon) qu’ils sont des centaines à raconter, parfois pour la première fois, les violences sexuelles subies. Anonymes, députés ou encore comédiens... Décryptage d'un mouvement attendu, et espérons-le, entendu.

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Le témoignage du comédien Aurélien Wiik pour déclencheur

Le hashtag est né jeudi 22 février 2024 dans la story Instagram - aujourd’hui indisponible - du comédien Aurélien Wiik (Jusqu'ici tout va bien, Capitaine Marleau...). L’artiste a révélé sur son compte Instagram avoir été victime de violences sexuelles de ses 11 à 15 ans.

Dans sa publication qui fut partagée par Judith Godrèche, l’acteur de 43 ans a raconté avoir été "abusé par [son] agent" aujourd'hui disparu, connu sous le nom de Christian Nohel, contre qui il a porté plainte à 16 ans et qui fut condamné à 5 ans de prison pour ces faits. Dans son message, l'acteur quadragénaire décrit aussi des violences lors de "dîners pièges organisés par des vieux avec plusieurs mineurs" et des tentatives de viols.

Rapidement, ses mots et le hashtag qu'il emploie, #MeTooGarçons, trouvent un écho sur le réseau social "X". Andy Kerbrat, député LFI (La France Insoumise), y confie par exemple avoir été "abusé de [ses] 3 à 4 ans par un prédateur, mort depuis donc sans possibilité d’avoir justice".

Sébastien Tüller, responsable LGBTIQIA+ pour Amnesty France, raconte lui avoir été "abusé" par son premier pote gay. "J'en ai parlé pendant plusieurs années avant que l’on m'écoute", écrit-t-il dans son tweet. Un regret partagé par beaucoup de victimes de violences sexuelles, peu importe leur genre.

#MeTooGarçons s’essouffle-t-il déjà ?

L’acteur Francis Renaud, actuellement en Bulgarie pour le tournage du film Gibier réalisé par Abel Ferry, s’est lui aussi exprimé sur X sous ce hashtag. Joint par téléphone par Marie Claire, il constate que le mouvement #MeTooGarçons semble déjà s’essouffler, "car cette prise de parole n'est pas suffisamment entendue, écoutée".

Auteur du livre La rage au cœur (Éd. Hugo document, 2018), dans lequel il dénonce l'impunité des agresseurs sexuels dans le cinéma et leurs "abus de pouvoir", Francis Renaud a porté plainte début février contre le réalisateur André Téchiné qu'il accuse de harcèlement sexuel et contre le directeur de casting Gérard Moulevrier qu'il accuse d'agression sexuelle. Les faits n'ont pas encore été pénalement qualifiés et sont contestés pas les intéressés*. L'interviewé a la sensation que ce mouvement est "un petit pas", mais surtout, un bruit que le métier "ne veut pas entendre".

Même ressenti du côté d'Emmanuelle Dancourt, plaignante dans l'affaire Patrick Poivre d’Arvor** qui préside l’association #MeTooMedia, qui vient en aide aux victimes de violences sexuelles dans les médias. Cette journaliste a envie de croire que le mouvement #MeTooGarçons prend forme, mais se désole de voir qu’en France, de tels mouvements qui émergent ont souvent leur backlash. Un pas en avant, deux pas en arrière, en somme. Elle observe d’ailleurs que l’on parle déjà moins de #MeTooGarçons, et encore moins du #MeTooGay, lancée en 2021 après que Guillaume, 20 ans, ait accusé l’élu PCF Maxime Cochard et son compagnon de violences sexuelles. Le jeune homme s’est pendu le 9 février de la même année. "Une actualité en chasse une autre...", regrette-t-elle.

Plus de 80 % des violences sexuelles chez les hommes ont lieu avant 18 ans. Entre 0 et 10 ans, les garçons sont la plupart du temps agressés par des hommes adultes.

Tristan***, étudiant de 24 ans, a été victime d’un viol en 2017 lors d’un voyage au Mexique. Et de plusieurs agressions sexuelles en 2020 et en 2021, lorsqu’il travaillait dans un bar et une boîte de nuit gay. Très présent sur X, il assure n’avoir cependant pas vu le #MeTooGarçons se hisser dans son fil d’actualité.

"Agressés essentiellement par des hommes adultes ou des garçons plus âgés"

Lucie Wicky, doctorante en sociologie et spécialiste des violences sexuelles subies par les hommes et les garçons, rappelle fin février auprès de France info "qu'il existe une continuité dans la prise de parole sur les violences sexuelles". Et cite notamment la création en 2013 de l'association Colosse aux pieds d'argile sur les violences dans le rugby et celle de La Parole libérée, fondée par des hommes victimes du père Preynat en 2015 et dissoute en 2021.

Dans les colonnes du Nouvel Obs cette fois, la chercheuse cite l'enquête Violences et rapports de genre (Virage) menée par l’Ined en 2015 : les hommes sont 3,9 % à être victimes de violences sexuelles au cours de leur vie, contre 15 % des femmes. Elle indique également que "les hommes sont essentiellement – à 90% – agressés par des hommes adultes ou des garçons plus âgés. Il y a une véritable intersection entre la domination adulte et la domination masculine."

Aussi, "plus de 80 % des violences sexuelles chez les hommes ont lieu avant 18 ans. Entre 0 et 10 ans, les garçons sont la plupart du temps agressés par des hommes adultes". "S'il n'y a pas de #MeToo d'hommes adultes, c'est parce qu'il s'agit d'une minorité statistique" estime-t-elle en affirmant que si "l’on entend moins les hommes, c'est avant tout parce qu'ils sont moins victimes que les femmes".

"Moi, ça fait 20 ans que je parle et 20 ans qu'on me dit de me taire. (...) Je n'ai plus eu de proposition, plus de boulot, plus de maison." - Francis Renaud
 

En février dernier, la sociologue expliquait au média indépendant The Conversation observer que certains hommes victimes ont "du mal à qualifier de 'violence sexuelle' les faits subis, et plus spécifiquement lorsque ces derniers ont été commis à l’adolescence ou à l’âge adulte".

Elle remarque également que contrairement aux femmes, leur parole "est plus facilement prise au sérieux lorsqu’ils énoncent les violences" et qu’ils sont "plus soutenus par leurs proches, sauf lorsqu’ils sont homosexuels". "Dans ces cas-là, comme pour les femmes, on leur incombe la responsabilité de leur agression, comme si leurs corps étaient, de fait, sexualisés, et on les rappelle à l’ordre hétérosexuel en les responsabilisant des violences sexuelles qu’ils ont subies", développe-t-elle.

Pour Emmanuelle Dancourt, l’absence de solidarité entre les hommes pourrait, entre autres, empêcher des victimes masculines de parler. "Certains prennent la parole, mais ils ne sont vraiment pas nombreux", relate-t-elle, avant de pointer du doigt la protection mutuelle qui peut exister entre des personnes accusées de violences sexuelles et/ou les proches de ces derniers. En témoigne la tribune polémique en soutien à Gérard Depardieu, accusé par plusieurs femmes de violences sexuelles, publiée dans le Figaro en décembre 2023.

Stéphane Gaillard, directeur de casting, reçoit depuis 2017 des témoignages de victimes de violence sexuelles, en majorité des acteurs, sur ses réseaux sociaux. Il est l’un des rares du métier à avoir réagi sur les réseaux sociaux et a d’ailleurs depuis lancé une adresse e-mail, metooacteur@gmail.com, "où chacun, dans l'anonymat absolu", peut se confier.

Dans ce café du IIIe arrondissement de Paris où nous le rencontrons, il se demande à son tour "où sont les hommes ?". "Il n'y en a pas beaucoup, ou pratiquement pas. Et tant que ça ne sera pas l'affaire de tous et toutes, on n'avancera pas", affirme-t-il. Seuls deux acteurs "connus" l’ont d'ailleurs contacté après sa prise de position : Alex Lutz (Une nuit, Guy…) et Michael Gregorio (Les Bracelets Rouges, Venise sous la neige..).

La peur d'être exclu

Pour les acteurs comme pour les actrices, le silence autour des violences sexuelles découle aussi de la peur d’être blacklisté du milieu du septième-art. Stéphane Gaillard affirme qu’il existe "une loi dans le cinéma" : si tu parles, tu ne travailles plus. Francis Renaud dit en avoir été victime : "Moi, ça fait 20 ans que je parle et 20 ans qu'on me dit de me taire." Il assure d’ailleurs avoir reçu des menaces anonymes à la sortie de son livre La rage au cœur et être devenu "persona non grata". "Je n'ai plus eu de proposition, plus de boulot, plus de maison", lâche-t-il.

Au bout du fil, il se remémore sa rencontre avec le directeur de casting Gérard Moulévrier en 1987, au studio de Boulogne-Billancourt (Île-de-France). Il a 18 ans et vient d’arriver à Paris pour vivre son rêve : devenir acteur. L’homme lui aurait d’abord proposé de la figuration et des petits rôles. Un jour, il l’aurait invité au théâtre. "Il va se frotter, comme les mecs dans le métro, me caresser la cuisse et même me toucher le sexe", témoigne l'acteur aujourd'hui âgé de 56 ans, qui précise se souvenir avoir été "tétanisé".

Plus tard, le directeur de casting l'aurait déposé en voiture dans le 14e arrondissement de Paris, et lui aurait dit : "Le droit de cuissage existe. Pour réussir, il faut coucher". L’acteur affirme avoir parlé de cet épisode à d'autres comédiens, sans qu’on ne le prenne au sérieux. 

La honte des hommes violés

"C’est le silence de la honte chez les hommes. Ce n’est pas que dans le cinéma, c'est un peu partout. C'est dans la mode, le sport, la police…", souffle Francis Renaud. La présidente de #MeTooMedia est d'accord. Selon Emmanuelle Dancourt, la honte d’avoir été violé ou agressé est encore plus forte chez les hommes, "parce qu'il y a cette éducation à la masculinité toxique. Évidemment que tu n’as pas été violé, tu es un homme'". "Déjà, nous, les femmes, on nous reproche de ne pas avoir crié, de ne pas avoir tapé, de ne pas avoir mordu, mais chez les hommes, c'est deux fois pire", ajoute-t-elle.

Un sentiment partagé par Tristan, violé dans un motel par une femme qu’il a rencontré lors d’une soirée au Mexique. Il avait 18 ans. "En disant, 'j’ai été violé', encore plus par une femme, l’homme perd cette place, cette condition d’homme dominant." De cette nuit, il ne se souvient que de bribes de souvenirs, mais il est certain de lui avoir dit qu'il ne voulait pas avoir de relation sexuelle avec elle. "Je ne sais pas si j’ai oublié parce que j’avais bu ou si c’est à cause du trauma mais le lendemain, j’étais très mal", confie-t-il encore.

Plusieurs mois après, le jeune homme se sent "mal à l’aise" avec son corps, sa sexualité : "Quand je couchais avec ma copine, je me sentais à distance. Soit je n’arrivais pas à bander, soit j’éjaculais de manière précoce. Comme si mon corps voulait mettre le plus vite possible un terme au rapport." Ce n’est qu’un an plus tard qu’il en parle à ses amis et pose enfin le mot "viol" sur ce qui lui est arrivé.

Tristan précise qu’il a souffert des clichés autour de l’érection. "C’est mécanique. Le fait que j'ai bandé (sic) durant le viol ne veut pas dire que j’étais consentant", souligne celui qui tient à indiquer avoir conscience qu’un homme violé par une femme est un fait divers et non un fait systémique. 96 % des auteurs de violences sexuelles sont des hommes, selon les chiffres du service de sécurité du gouvernement en 2023.

Pour Francis Renaud, le plus important aujourd'hui est la solidarité. Il espère que #MeTooGarçons puisse fusionner avec tous les autres. "C’est un premier pas, mais maintenant il faut taper du poing, qu’il y ait plus d’intervention", martèle-t-il. Concernant le cinéma, il aimerait que les producteurs et les agents d'artistes prennent enfin la parole afin que les acteurs ne soient plus seuls dans ce combat.

Souvent, quand Tristan partage son témoignage à ses amies, celles-ci lui racontent avoir été victimes de violences sexuelles, elles aussi. Il souhaite que la notion de consentement soit enseignée dans les écoles, pour que, dans les générations à venir, plus personne n'est à dire "#MeToo".

*Le réalisateur André Téchiné s’est défendu à travers un message transmis par son conseil auprès du média Le Parisien : "Je suis évidemment désolé qu'il ait été embarrassé par mon approche verbale sentimentale, maladroite lors de ce déjeuner. J’ai bien sûr eu tort, à l'époque, de ne pas avoir su percevoir que notre relation n'était pas à ses yeux sur un pied d'égalité en raison de mon statut de réalisateur", a-t-il expliqué. Céline Bekerman, l'avocate de Gérard Moulevrier, le directeur de casting, a elle précisé que les déclarations de Francis Renaud étaient "vivement contestées" et "incompréhensibles" car son client aurait "toujours eu de la sympathie" et œuvré pour la carrière du plaignant.

**Emmanuelle Dancourt fait partie des nombreuses femmes qui ont porté plainte comme Patrick Poivre D’arvor en 2021. Elle l’accuse de l’avoir agressée sexuellement et de l’avoir harcelée en 2008. Sa plainte a été classée sans suite en juin de la même année pour prescription.

***Le prénom a été modifié pour préserver l'anonymat de l'interviewé, à sa demande.