En Iran, le divorce entre la jeunesse et le régime

Dans « Nous, Jeunesse(s) d’Iran », ce dimanche soir, sur France 5, la journaliste Solène Chalvon-Fioriti offre une plongée rare dans le quotidien d’une société en ébullition.

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« Salut Solène, j'aurais voulu te montrer un Iran différent, plus libre. Mais cet Iran n'existe pas. Rien n'a changé. Dehors, je me sens étouffer. » Le message a été envoyé de Téhéran depuis une application cryptée. Son autrice a décidé de s'appeler Sarah, une étudiante iranienne de 22 ans en filière scientifique.

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Son visage, non plus, n'est pas le sien. Pour garantir son anonymat et éviter les représailles du régime, la journaliste Solène Chalvon-Fioriti a utilisé, pour la première fois dans un documentaire français, l'intelligence artificielle et ainsi modifié son apparence tout en conservant ses expressions.

Pendant un an et demi, la jeune femme a filmé, malgré les risques, son quotidien en République islamique d'Iran, offrant une plongée saisissante dans l'Iran d'aujourd'hui. « Tu sais Solène, avec tout ce qu'il se passe, je suis de plus en plus chez moi », confie Sarah, qui partage un appartement de la capitale avec une autre étudiante. « Il n'y a que chez moi que je me sens libre. » La veille, l'Iranienne a été menacée en pleine rue par un policier parce qu'elle ne portait pas le voile obligatoire. « Je ne lui ai rien dit, avoue-t-elle. Je ne veux pas risquer ma vie pour un voile. »

« Moins de filles portent le voile »

Près de deux ans après la révolution Femme, vie, liberté, un mouvement de révolte sans précédent contre le régime iranien provoqué par la mort en septembre 2022 de la jeune Mahsa Amini aux mains de la police des mœurs pour un voile mal porté, un grand nombre de femmes ont cessé de porter le voile obligatoire dans les grandes villes du pays en signe de défiance contre la République islamique qui considère le hidjab comme le symbole de son islamité. Mais décidé à mettre fin à ce « défi » ourdi, selon lui, par l'étranger, le guide suprême de la Révolution, l'ayatollah Ali Khamenei, a ordonné, le 3 avril, le redéploiement de la police des mœurs pour punir les réfractaires.

À LIRE AUSSI Les confessions chocs de Masih Alinejad, ennemie jurée de la République islamique d'Iran « C'est vrai, moins de filles portent le voile, mais franchement, je ne sais pas si je dois m'en réjouir », confie Sarah dans un message vidéo. « J'ai tellement peur pour elles, vu la façon dont ils s'acharnent sur les filles un peu rebelles. » Sur le chemin de l'université, l'étudiante filme les portraits en noir et blanc de camarades placardés sur les grilles de l'établissement.

Ils ont tous été arrêtés ou tués par les autorités. Selon le rapport de la commission d'enquête du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, au moins 551 manifestants, dont 49 femmes et 68 enfants, sont morts dans la répression sanglante du mouvement, parmi lesquels neuf l'ont été par pendaison.

Connectée au reste du monde

Mais l'intérêt du documentaire de Solène Chalvon-Fioriti réside dans le fait qu'il ne se cantonne pas aux milieux progressistes et révolutionnaires. Celui-ci, qui s'intitule Nous, jeunesse(s) d'Iran*, plonge également dans le quotidien de jeunes issus de familles plus traditionnelles, favorables à la République islamique, qui constituent environ 20 % des 80 millions d'Iraniens.

C'est le cas de celle de Mariam, étudiante en chirurgie esthétique de 22 ans, qui porte un tchador (voile intégral) blanc couvrant l'ensemble de son corps. Malgré l'enseignement religieux très strict qu'elle a reçu depuis son plus jeune âge, la jeune femme, dont le père est un ancien combattant de la guerre Iran-Irak, n'en reste pas moins très connectée au reste du monde.

Malgré l'enseignement religieux très strict qu'elle a reçu depuis son plus jeune âge, Mariam (à droite), 22 ans,  n'en reste pas moins très connectée au reste du monde.
©  France 5
Malgré l'enseignement religieux très strict qu'elle a reçu depuis son plus jeune âge, Mariam (à droite), 22 ans,  n'en reste pas moins très connectée au reste du monde. © France 5

Sur son smartphone qu'elle ne quitte pas, cette employée d'une clinique de beauté ne rate rien du quotidien de ses influenceuses préférées, maquillées à l'excès et dévoilées. « Je me considère comme une féministe, témoigne Mariam, dont le visage laisse entrevoir des sourcils dessinés ainsi qu'un léger rouge à lèvres. Je souhaite l'égalité des droits entre les hommes et les femmes. » Incrédule, sa mère, toute de noir vêtue à ses côtés, assure pourtant que toutes les femmes sont libres en Iran.

Critiques du régime

Si les Iraniennes sont majoritaires à l'université et accèdent à des postes à responsabilité, la vie d'une femme vaut toujours deux fois moins que celle d'un homme, en matière d'héritage, de témoignage devant un tribunal, ou de somme à payer en cas d'homicide. Conseillère juridique, cette Iranienne pieuse, très attachée au Coran, fustige le mouvement Femme, vie, liberté, qui n'a, selon elle, rien apporté au pays. De quoi agacer sa propre fille qui, contre toute attente, va prendre ses distances avec sa mère.

À LIRE AUSSI « Femme, vie, liberté » : en Iran, la révolution quotidienne des femmes

« Je suis totalement opposée à la façon dont mon gouvernement a géré cette révolte », déclare-t-elle à visage découvert. « À mon avis, ajoute-t-elle, les manifestations ne concernaient pas que le hidjab et je les soutiens sur de nombreux points. » Et la jeune femme de dénoncer l'idée selon laquelle l'Iran serait coupé en deux, entre progressistes et traditionnels : « Je refuse de croire qu'il existe une opposition fondamentale entre les autres et nous. »

À LIRE AUSSI EXCLUSIF. « Des crimes contre l'humanité ont été commis en Iran » Cette critique à peine dissimulée du régime, que l'on retrouve également dans d'autres familles conservatrices, et même chez un ancien milicien progouvernemental, apportent une lueur d'espoir quant à l'avenir du pays. Une note d'optimisme qui tranche avec l'abattement d'une grande partie de la jeunesse, et qu'exprime sans concession Sarah. « J'en ai marre de cette situation. C'est la galère. J'ai envie d'aller pleurer dans un coin pour être soulagée de ce stress, soupire-t-elle. Il n'y a qu'une solution : faire comme tout le monde et améliorer mon niveau d'anglais pour partir. » L'Iranienne a déjà déposé une demande de visa pour poursuivre ses études en Europe. La Révolution attendra.

*Nous, jeunesse(s) d'Iran, de Solène Chalvon-Fioriti, dimanche 21 avril, à 21 h 05, sur France 5.

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Commentaires (18)

  • delneuF05

    La religion est politique et le meilleur moyen de domination des peuples.

  • guy bernard

    J'ai entendu que les Mollahs et leurs adeptes ne représentaient que 5 à 10% de la population.
    Et les autres ? Surtout les jeunes qui ont d'autres aspirations que de porter la barbe et le tarbouch et faire 5 prières par jour.
    Ce régime est une uchronie cauchemardesque qui est imposé à un pays et à ses jeunes, alors que nous considérons à tort que des romans sur le même thème sont improbables et impossibles.

  • titi toto lili

    Comme on les comprend ! Unissez vous pour mettre ce régime à bas.
    La solution n'est pas de partir, vous avez droit à une autre vie, chez vous, et c'est partout pareil,