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Archéologie

L'incaprettamento, un supplice pratiqué dans l'Europe préhistorique pendant 2000 ans

Cette forme de torture, conduisant à la mort par auto-strangulation, a été fréquemment employée sur des sites destinés à des sacrifices humains.

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Vue de trois squelettes dans une fosse de stockage, avec une femme au centre et les autres sous le surplomb du mur, capturée en grand angle.

A. Beeching
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L'incaprettamento, un supplice pratiqué dans l'Europe préhistorique pendant 2000 ans
Joël Ignasse
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C'est une des techniques de mise à mort parfois employée par la mafia, en particulier pour ceux qu'elle considère comme des traîtres. L'incaprettamento n'est pourtant pas un supplice récent : il était déjà pratiqué il y a 5500 ans avant notre ère.

Cette méthode de torture consiste à allonger un sujet sur le ventre avec les genoux fléchis au maximum et à attacher une corde autour de son cou et de ses chevilles. La fatigue aidant, les jambes vont se détendre et mettre la corde sous tension, provoquant ainsi l’étranglement de la victime.

Des traces dans toute l'Europe

"Ce rite cruel a été pratiqué durant près de 2000 ans dans une vaste zone allant de l'Europe de l'Est jusqu'au nord de l'Espagne", souligne Eric Crubézy, de l'Université de Toulouse III -Paul Sabatier. Il co-publie une étude dans la revue Science Advances sur cette pratique qui a été documentée sur le site de Saint-Paul-Trois-Châteaux, dans la Drôme.

A cet endroit, les humains d'il y a 3500 à 4000 ans avant notre ère se rassemblaient pour des cérémonies impliquant des repas en commun comme en atteste la découverte de restes d'animaux. Des céramiques brisées révèlent que les convives pouvaient parcourir plusieurs dizaines de kilomètres, voire davantage, pour y participer.

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(A) Carte de l'extrémité ouest du site de Saint-Paul-Trois-Châteaux. Les cercles noirs représentent des fosses ou des silos. (B) Reconstruction de la zone entourant les fosses 69 et 70. (C) Reconstruction de l'espace au lever du soleil lors du solstice d'été avec la fosse 69 volontairement décentrée, peut-être pour permettre le passage de la lumière du soleil lors du solstice, permettant ainsi à un officiant d'être éclairé. Crédit : A. Beeching/Science Advances.

Le site a commencé à être fouillé en 1984 et les archéologues sous la direction d’Alain Beeching y ont retrouvé plusieurs fosses, dont des silos et d’autres ressemblant à des silos, dont certaines contenaient des corps.

C’est dans l'une d'elle qu’ils ont mis au jour les squelettes de trois femmes, l'une en position centrale et les deux autres poussées sous la paroi, doublée de matière périssable – certainement de la paille -, de la tombe. La position des corps, suggère qu'elles sont mortes d'asphyxie, des suites d'une pratique similaire à l'incaprettamento.

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A partir de cette constatation, Eric Crubézy et son équipe ont recherché dans littérature scientifique s'ils pouvaient identifier d'autres cas recensés comme tels ou pas forcément identifiés.

"Un travail laborieux car il faut des données détaillées sur la position des corps et l'environnement dans lesquels ils ont été retrouvés", souligne-t-il. Au final, l'équipe a mis en évidence au moins 20 cas d'incaprettamento, provenant de 14 sites. Tous se sont déroulés au Néolithique, entre 5500 et 3500 avant notre ère, lorsque l’agriculture se répandait à travers l’Europe.

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(A) Vue de trois squelettes dans une fosse de stockage, avec une femme au centre et les autres sous le surplomb du mur, capturée en grand angle. (B) Reconstitution des restes bloqués sous l'avancée du mur tapissé de paille, avec la femme centrale séparée des autres. (C) La fosse a été comblée de pierres ultérieurement. (D) Vue détaillée d'une femme en position couchée avec une pierre sur ses restes. Crédit : A. Beeching

Un rituel lié à l'agriculture

Effectivement, il semble bien que ces meurtres rituels soient reliés à l'activité agricole. De fait la tombe de Saint-Paul-Trois-Châteaux a la forme d'un silo à grains, les meules fragmentées sont fréquentes sur le site et c’est l’une d’entre elles qui bloquait les corps.

La fosse était dans une structure en bois, dont les ouvertures étaient orientées en direction du lever du soleil au solstice d’été et de son coucher au solstice d’hiver, "des dates qui ont une importances toute particulière pour les cultivateurs", rappelle l'archéologue. De plus, la pratique de sacrifices humains est documentée dans de nombreuses autres cultures agricoles à travers le monde.

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Scène gravée sur la roche de la grotte de l'Addaura, en Sicile. Elle met en scène onze humains et un cerf qui, compte tenu de sa position, est probablement mort sacrifié. Neuf des humains sont debout (en gris) ; plusieurs d'entre eux sont affublés de becs d'oiseaux, ressemblant à des masques, et ils semblent tous très animés. Ils entourent deux humains centraux, sans doute victimes de l'incaprettamento. Crédits : J.Guilaine/Science Advances.

Toutefois, la seule position des cadavres ne suffit pas à affirmer de manière définitive que les éventuelles victimes ont été torturées de leur vivant, "bien que la souffrance dans le sacrifice et son côté émotionnel pour les participants puissent être des éléments qui comptent", rappelle Éric Crubézy.

Mais qui étaient-elles ? A Saint-Paul trois Châteaux il s'agit de femmes mais d’autres sites ont livré des corps d'enfants et d’adultes masculins. Rien ne permet encore d'évoquer leur position sociale "mais des études en ce sens sont en cours", évoque le chercheur.

La permanence de cette pratique pendant 2000 ans dans la presque totalité de l'Europe "laisse entrevoir des valeurs partagées sur la longue durée au sein des populations de l'Europe centrale jusqu'à la Catalogne", souligne-t-il. Celles-ci céderont il y a 3500 ans avant notre ère alors que de façon concomitante le mégalithisme diffuse depuis les côtes atlantiques vers les zones méditerranéennes. A partir de cette époque, on ne retrouve plus trace de ces sacrifices.

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