Au cœur de l’Amazonie, cette région immaculée témoigne de la résilience de la nature

En Équateur, le parc national Yasuni, situé le long des rives du Rio Napo, montre à quel point la biodiversité peut prospérer sans l’interférence de l’Homme.

De Júlia Dias Carneiro
Publication 24 avr. 2024, 16:50 CEST
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Un papillon est juché sur la carapace d’une podocnémide de Cayenne (Podocnemis unifilis), une espèce vulnérable. Il boit du liquide lacrymal dans l’œil de cette dernière, un comportement symbiotique grâce auquel l’insecte obtient des minéraux, en particulier du sodium, afin de compenser sa rareté dans cet environnement.

PHOTOGRAPHIE DE THOMAS P. PESCHAK

Au milieu du brouhaha des récits dramatiques évoquant la dégradation de l’environnement en Amazonie, il existe d’autres histoires, moins bruyantes mais non moins convaincantes, qui témoignent du simple pouvoir de la nature à prospérer lorsqu’elle est laissée à l’état brut.  Celle du Rio Napo, rivière qui coule au nord du parc national Yasuni, en Équateur, en est l’exemple même. 

Selon Lucas Bustamante, biologiste, écologiste et photographe environnemental : « C’est un endroit où tous vos sens sont en ébullition. Vous ne voyez pas seulement la vie partout, vous entendez les cris des oiseaux, le coassement des grenouilles, le bruit du vent ; vous sentez le pollen des plantes, le sol, la pluie. C’est bouleversant. Pour toute personne amoureuse de la nature, c’est comme être un enfant dans un magasin de jouets. » 

Un trio de hoazins huppés (Opisthocomus hoazin) se tient au-dessus d’un ruisseau, au bord du Rio Napo. Ces volatiles bâtissent leurs nids à ces endroits-là pour se protéger. Si des prédateurs tentent de s’y attaquer, les oisillons sautent dans l’eau pour s’échapper et utilisent leurs serres pour remonter dans leur nid une fois le danger passé.

PHOTOGRAPHIE DE THOMAS P. PESCHAK

Établi en 1979 dans le nord-ouest amazonien, le parc national Yasuni constitue la plus grande zone de conservation de l’Équateur. Il protège près de 1,1 million d’hectares de forêt amazonienne, soit une superficie équivalente à celle de la Croatie. Cette forêt est l’une des plus riches de la planète en termes de biodiversité. Le Rio Napo est, quant à lui, une des artères qui insuffle la vie en son cœur. 

Cette rivière prend naissance dans les hauts versants de la Cordillère des Andes, à l’est, et marque la frontière nord du parc. Puis, elle se jette dans l’Amazone, à l’ouest, après avoir traversé le Pérou. 

Lucas Bustamante est originaire de l’Équateur et organise des expéditions photographiques à Kichwa Anangu, un village situé au bord du Rio Napo et habité par des familles indigènes kichwas. Voici vingt ans, ces dernières ont décidé de remplacer l’exploitation forestière et la chasse par l’écotourisme en tant que principale source de revenus. Ce projet, couronné de succès, a permis à la nature de prospérer. 

« Il a fallu quelques années pour que les animaux se mettent à revenir et que la forêt commence à se repeupler », indique Lucas Bustamante. « Aujourd’hui, c’est comme un petit paradis, une oasis de biodiversité. »

 

LA « TOILE D’ARAIGNÉE AQUATIQUE »

Cet espace immaculé constituait l’endroit idéal pour le photographe Thomas Peschak qui souhaitait saisir les liens profonds entre les animaux de l’Amazonie et ses cours d’eau. Explorateur pour National Geographic, il travaille sur un projet à long terme visant à documenter la forêt équatoriale depuis l’eau en naviguant sur sa « toile d’araignée aquatique », un réseau hydrographique composé de vastes rivières aux centaines d’affluents et de milliers de ruisseaux. 

Lucas Bustamante et lui ont passé des semaines en canoë à pagayer sur ces derniers, autour du Rio Napo, à la recherche d’espèces endémiques telles que la loutre géante (Pteronura brasiliensis). Ces mammifères en danger font partie des cinq principaux prédateurs de l’Amazonie, engloutissant plus de trois kilogrammes de poissons en une seule journée. Leur présence constitue un indicateur très significatif de la « bonne santé » de l’écosystème aquatique

 

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    Les loutres géantes peuvent être observées dans le bassin du Rio Napo où elles chassent le poisson au milieu de la forêt inondée. Ces mammifères en danger sont les plus grands de leur espèce, atteignant jusqu’à près d’un mètre quatre-vingt de long, et sont l’un des principaux prédateurs présents en Amazonie. Elles dorment dans des terriers et des catiches creusés dans la terre mais passent la majeure partie de leur journée à pêcher. Elles dépendent de la richesse du réseau hydrographique pour survivre.

    Thomas Peschak explique : « Dans toute l’Amazonie, nous assistons à une détérioration de la situation mais le Rio Napo va vraiment à contre-courant de cette tendance. Comme il n’y a ni braconnage ni exploitation forestière ou minière illégale, une grande partie de la faune présente autour de la rivière est incroyablement sereine vis-à-vis des Hommes. » 

    Cette quiétude lui donne une occasion unique de capturer et de mettre en valeur le comportement de nombreux animaux dans la nature, comme un papillon buvant le liquide lacrymal des yeux d’une podocnémide de Cayenne, une loutre géante attrapant un poisson et des singes hurleurs roux (Alouatta seniculus) se nourrissant de feuilles au-dessus d’un ruisseau. 

    Tout n’est cependant pas si simple. Dans les jours qui ont précédé l’expédition de Thomas Peschak, de fortes pluies ont gonflé les cours supérieurs andins. Le niveau du Rio Napo a augmenté de façon spectaculaire, faisant déborder les ruisseaux et les déversant dans la forêt. 

    Bien que cette inondation ne soit pas inhabituelle pour la rivière et son écosystème, elle a rendu la recherche de loutres beaucoup plus difficile pour les explorateurs. Cela a en effet permis aux animaux de nager loin à l’intérieur de la forêt inondée, à l’écart des principaux cours d’eau. Thomas Peschak et Lucas Bustamante ont donc passé sept jours à pagayer sans aucune loutre en vue, jusqu’à ce que, le dernier jour, ils en aperçoivent un groupe en plein festin.  

    « Dans ce métier, vous devez faire preuve d’une patience à toute épreuve », déclare l’explorateur. « Lorsque tout votre corps vous crie d’abandonner, c’est à ce moment-là qu’il faut continuer. La patience et la persévérance sont récompensées par la nature. »

     

    L’AUTOROUTE DES GRAINES

    L’incroyable biodiversité qui entoure le Rio Napo reflète le chemin qu’il parcourt, de sa descente depuis les contreforts de la Cordillère des Andes jusqu’au bassin amazonien. Ces écosystèmes se mélangent sur ses rives d’une manière unique, permettant ainsi au parc national Yasuni d’abriter en son sein un vaste éventail d’espèces. 

    Un singe hurleur roux pris depuis un canoë voguant sur l’eau. Ces singes s’intéressent aux meilleurs arbres, feuilles et fruits de la forêt. Cela les mène à des cours d’eau florissants où les arbres produisent toujours de nouvelles feuilles croquantes. Il est impossible que ceux-ci passent inaperçus en Amazonie : les cris qu’ils produisent pour marquer leur territoire peuvent être entendus à des kilomètres à la ronde.

    PHOTOGRAPHIE DE THOMAS P. PESCHAK

    Le Rio Napo est également chargé de nutriments provenant des Andes, notamment des cendres volcaniques, matériaux très riches. Les cours de ces eaux vives transportent de grandes quantités de sédiments leur donnant une couleur boueuse. Il s’agit aussi d’un moyen efficace de dissémination des graines. « Le Rio Napo est comme une autoroute sur laquelle des millions de graines circulent depuis les Andes à travers la région, permettant aux espèces de se propager », explique le biologiste Gonzalo Rivas-Torres. 

    Ce flux de graines constitue également une source de nourriture essentielle pour la grande diversité de poissons se trouvant dans ses eaux. Cela se répercute sur le reste de la forêt, bien au-delà des méandres de la rivière.

    Il poursuit : « Les poissons dépendent de la quantité de nutriments, de fruits et de graines présents dans l’eau. Si les forêts riveraines ne sont pas en "bonne santé", les populations de poissons seront peu nombreuses et les loutres n’auront pas assez de nourriture. Tout est lié. »

    Gonzalo Rivas-Torres est le directeur de la station biologique de Tiputini, une station de terrain gérée par l’Universidad San Francisco de Quito, en collaboration avec l’université de Boston, à des fins de recherche, d’enseignement et de préservation. 

    Leur base se situe sur les rives de la rivière Tiputini, un affluent du Rio Napo. À cet endroit, Gonzalo Rivas-Torres se dit être toujours émerveillé de voir la faune et la flore si proches, tout autour d’eux. Ses étudiants ont par exemple pleuré en voyant pour la première fois un jaguar dans la nature ou en relâchant une podocnémide de Cayenne dans la rivière.

    « Ils disent qu’ils ne s’attendaient pas à voir cela ou qu’ils ne savaient pas que l’Équateur c’était aussi cela », rapporte-t-il. « C’est une expérience qui change une vie. »

    Cet article a été réalisé avec le soutien de Rolex, qui s’associe à la National Geographic Society dans le cadre d’expéditions scientifiques visant à explorer, étudier et documenter les changements dans des régions uniques de la planète.

    Il a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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