La Pologne a érigé une clôture le long de sa frontière avec la Biélorussie. Crédit : Picture alliance
La Pologne a érigé une clôture le long de sa frontière avec la Biélorussie. Crédit : Picture alliance

Le Parlement européen a adopté mercredi plusieurs amendements permettant aux États membres de fermer leurs frontières en cas d’"instrumentalisation" ou de facilitation d’entrée de migrants irréguliers sur le territoire de l’UE. Une décision qui fait écho aux événements migratoires des années précédentes, notamment quand la Biélorussie avait été accusée de laisser passer des migrants vers la Pologne et la Lituanie.

L’Union européenne (UE) veut se prémunir contre d’éventuelles tentatives de déstabilisation de pays tiers utilisant les migrants comme arme diplomatique. Le Parlement européen a approuvé une série d’amendements mercredi 24 avril aux règles de l’espace Schengen. Ils permettent aux États membres de fermer leurs frontières en cas d’"instrumentalisation" ou de facilitation d’entrée de migrants irréguliers sur le territoire de l’UE, révèle le site Euractiv.

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Les pays de l’Union pourront ainsi fermer leurs frontières (extérieures ou intérieures de l’UE) pour une durée de deux ans, prolongeable pour un an supplémentaire, ou mettre en place des restrictions temporaires.

Avec cette mesure, qui doit encore être approuvée par les ministres des 27 États membres avant sa mise en œuvre, les eurodéputés veulent éviter de revivre des épisodes au cours desquels des pays tiers avaient laissé passer des milliers d’exilés pour affaiblir l’Europe.

Des précédents aux portes de l’Europe

La Biélorussie, le Maroc ou encore la Turquie ont été accusés ces dernières années d’ouvrir - de manière temporaire - leurs frontières aux migrants irréguliers en route vers le sol européen.


Un camp de migrants près de la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, en novembre 2021. Crédit : Reuters
Un camp de migrants près de la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, en novembre 2021. Crédit : Reuters


À l’été 2021, des milliers de personnes avaient afflué vers la Pologne depuis la Biélorussie voisine, une route jusque là peu empruntée par les demandeurs d’asile. Les pays occidentaux avaient condamné une "instrumentalisation orchestrée d’êtres humains" afin de "déstabiliser la frontière extérieure de l’UE". Selon les Européens, ces mouvements de migrants étaient pilotés par le régime du dictateur biélorusse Loukachenko en représailles aux sanctions imposées l'année précédente par les États membres après la brutale répression d'opposants dans le pays.

En mai de la même année, c’est le Maroc qui avait permis à des milliers de migrants d’entrer dans l’enclave espagnole de Ceuta pour protester contre l’hospitalisation à Madrid du chef du Front Polisario. Un an plus tôt, la Turquie avait ouvert aux migrants ses frontières au niveau de la Grèce dans l'Evros, espérant pousser les Européens et l’Otan à lui venir en aide en Syrie.

Des contrôles aux frontières prolongés en cas de menace terroriste

Le Parlement européen introduit cependant des clauses afin d’éviter une mauvaise utilisation de cette nouvelle règle. Ainsi, "les situations dans lesquelles des acteurs non étatiques hostiles sont impliqués dans la criminalité organisée, en particulier le trafic de migrants, ne devraient pas être considérées comme une instrumentalisation de migrants lorsqu’il n’y a pas d’objectif de déstabilisation de l’Union ou d’un État membre". Aussi, l’aide humanitaire n’est pas concerné par cette nouvelle mesure.

Les eurodéputés ont également approuvé de nouvelles règles pour permettre de renvoyer des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière dans le premier pays d’arrivée des migrants dans l’UE au cours de patrouilles de police communes.

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Les contrôles aux frontières sont par ailleurs assouplis. Désormais, un État membre peut décider de rétablir des contrôles, plus stricts, en cas de terrorisme, de criminalité organisée ou d’arrivées massives de ressortissants de pays tiers pour une durée de deux ans, avec une prolongation possible d’un an. Jusque-là, la réintroduction des contrôles était valable pour une période de six mois, renouvelable sur une durée maximale de deux ans.

Depuis 2015, de nombreux États, dont la France, ont réintroduit des contrôles d'identité à leurs frontières intérieures. En raison de la menace terroriste, mais aussi des restrictions sanitaires dues au Covid-19. Ils sont actuellement plus de la moitié des États membres de l'espace Schengen à le faire.

Risque de discrimination et de violation du droit d’asile

L’ensemble de ces amendements inquiètent les défenseurs des droits. Une cinquantaine d’ONG, dont Human Rights Watch et Amnesty international, ont publié un communiqué conjoint dans lequel elles estiment qu’ils présentent un risque de discrimination et de violation du droit d’asile.

Selon Ulrich Stege, avocat en droit des étrangers membre du réseau juridique italien ASGI, et enseignant à l'International University de Turin, contacté par InfoMigrants en février dernier, ce nouveau texte rend les refoulements légaux.

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Par exemple : à la frontière franco-italienne, avec cette nouvelle mesure, "toute personne qui se trouve dans la zone frontalière pourra être arrêtée si les autorités françaises soupçonnent que cette personne est en situation irrégulière et venue d'Italie", décrivait-il. Il sera possible de la refouler via "une procédure simplifiée, par exemple un unique document indiquant l'identité de la personne. On le lui fait signer, puis on la repousse", sans qu'elle puisse déposer l'asile.

Les associations craignent également une multiplication des contrôles au faciès. "On s'oriente vers une systématisation de ces contrôles basées sur du profilage racial", affirmait Ulrich Stege. "Il est clair que les contrôles "aléatoires" de documents dépendront des décisions de la police quant à savoir qui ‘ressemble’ à une personne sans-papiers", abondait l'ASGI dans son analyse de la réforme, parue mi 2022.

 

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