Double peineVictime de viols de la part d’une camarade, une fillette doit quitter son école

Victime de viols de la part d’une camarade, une fillette doit quitter son école, à la place de son agresseuse

Double peineUne enfant de 7 ans, scolarisée à Pantin (Seine-Saint-Denis), « a décrit tous les mécanismes du viol », raconte sa mère. L’agresseuse est une fillette de sa classe. La victime a vécu comme une « punition » le choix fait par l’école pour régler l’affaire
Dans une école de Pantin (Seine-Saint-Denis), une enfant de 7 ans a été victime de viols de la part d'une de ses camarades. Ne sentant pas leur fille suffisamment protégée, les parents de la victime ont été contraint de la changer d'établissement scolaire. (Ilustration)
Dans une école de Pantin (Seine-Saint-Denis), une enfant de 7 ans a été victime de viols de la part d'une de ses camarades. Ne sentant pas leur fille suffisamment protégée, les parents de la victime ont été contraint de la changer d'établissement scolaire. (Ilustration) - Elisa Frisullo / 20 Minutes / 20 Minutes
Aude Lorriaux

Aude Lorriaux

L'essentiel

  • En mars 2023, à Pantin (Seine-Saint-Denis), une petite fille de 7 ans a été victime de viols de la part d’une camarade de classe.
  • Plutôt que d’exclure son agresseuse, l’école a choisi de déplacer les deux élèves de classe, « par mesure d’équité » selon des propos de la directrice aux parents.
  • La santé de la petite fille, qui a dû faire face à son agresseuse pendant trois semaines dans la même classe, puis pendant deux mois et demi dans le même établissement, s’est dégradée. Ses parents l’ont finalement changée d’école.

«Je suis tombée de ma chaise, je n’aurais jamais imaginé qu’à cet âge-là, une chose aussi grave puisse se passer. On dépose nos enfants à l’école et on est confiants. » Stéphanie, la maman de Caroline*, est encore abasourdie par ce qui est arrivé à sa petite fille l’an dernier, alors qu’elle n’était âgée que de 7 ans. Fin mars 2023, celle-ci leur a raconté avoir subi plusieurs viols d’une de ses camarades, dans une école à Pantin (Seine-Saint-Denis), comme l'avait révélé Mediapart.

Ce jour-là, après s’être d’abord confiée à son instituteur, Caroline, très agitée et les mains tremblantes selon le récit de sa mère, explique que Rebecca*, qui insistait pour être invitée à leur domicile et se montrait un peu collante, l’a bloquée dans les toilettes, la forçant à enlever sa culotte et lui mettant « les doigts dans la zézette ». « C’est arrivé au moins deux fois », lâche la petite fille, qui avait déjà été auscultée près de dix jours avant ces révélations par un médecin qui avait constaté un « prurit vulvaire », sans que la cause soit identifiée.

Mais ce soir-là, Caroline parle. Elle raconte aussi les menaces que lui a adressées son agresseuse et la sidération qu’elle a vécue. « Elle lui a dit que dans sa famille, tout le monde faisait de la boxe et viendrait la frapper si elle parlait. Elle m’a aussi expliqué que Rebecca avait comme changé de visage lorsqu’elle était entrée dans les toilettes, et qu’elle avait eu très peur. Elle a décrit tous les mécanismes du viol », raconte sa mère.

Minimisation

Le médecin est consulté une seconde fois en urgence et adresse un signalement au procureur de la République. Mais du côté de l’école, la réaction est toute autre. Un rendez-vous est organisé avec la directrice, qui, selon les parents, minimise ces faits. Baptiste, le père de Caroline, décrit un moment « horrible » : « Le ton n’est pas du tout à la hauteur des événements. La première chose qu’ils veulent savoir, c’est à quelle heure ça s’est passé, pour savoir si cela relève de l’école ou du centre de loisirs. La directrice de l’école se montre très insistante sur l’horaire, nous dit que c’est parole contre parole, que ce sont des enfants. On nous annonce qu’on ne peut pas séparer les enfants, puisque ce serait vu comme une sanction alors que c’est à la justice de décider selon eux. On nous propose aussi de changer notre enfant d’école si on le souhaite. » Une proposition inacceptable pour les parents de Caroline, puisque c’est elle la victime.

Pourtant, il existe en la matière un guide du ministère de l’Education nationale, qui recommande que « l’élève agresseur soit changé d’école ou d’établissement scolaire, l’élève victime devant pouvoir rester dans sa classe ». Mais ce guide, comme l’a montré notre enquête réalisée en novembre sur les violences sexuelles entre enfants à l’école, semble très peu appliqué. Caroline reste donc dans le même établissement que son agresseuse pendant des mois, avant que les parents ne finissent, découragés, par la changer d’école.

Caroline perd du poids, a du mal à dormir

Entre-temps, l’école va proposer, au bout de trois semaines, et après avoir d’abord affirmé ne rien pouvoir changer à la situation, une drôle de solution : les deux élèves changeront de classe, « par mesure d’équité », dit-on aux parents. Le changement de classe est imposé à Rebecca, alors que Caroline peut « choisir » sa classe. « Il y avait un côté punition, ça a été une deuxième blessure pour Caroline », raconte sa mère.

Durant ces trois semaines, la santé de Caroline se dégrade. Elle perd du poids, a du mal à dormir et, surtout, ne se sent pas écoutée. Depuis les révélations, elle n’ose plus aller aux toilettes de son école. Et pendant deux mois, elle parle de son traumatisme tous les jours à ses parents, qui se mobilisent pour lui apporter leur soutien. « La soirée s’organisait autour du besoin de Caroline de se confier et d’être câlinée », rapporte sa mère. Aucun psychologue n’a été mandaté par l’école, dans un contexte de pénurie de psychologues scolaires en Seine-Saint-Denis, et c’est son médecin traitant qui la prend en charge toutes les semaines.

Confinée dans le bureau de la directrice

Le changement de classe ne résout pas entièrement la situation, car les enfants continuent de se croiser sur la pause méridienne. Un jour, en mai, Rebecca lui lance une brique de Lego à la tête. Un autre jour, Caroline se fait disputer par une animatrice, car Rebecca se serait plainte que son père allait finir en « prison » à cause d’elle. La directrice de l’école propose à la jeune victime d’attendre la sonnerie devant son bureau pour éviter de croiser l’autre petite fille dans la cour de récréation, ce que Caroline fait, mais ce faisant, s’isole des autres enfants.

Rebecca a pourtant reconnu les faits devant la brigade des mineurs, selon les parents de Caroline, à qui l’école transmet l’information. Malgré cela, rien ne change. La raison de cet immobilisme tient notamment, selon notre enquête, à la façon dont sont rédigés les textes qui encadrent l’école. D’après le règlement type des écoles élémentaires, un enfant peut être radié d’une école, mais il faut pour cela qu’il ait réitéré les faits ou commis d’autres troubles, après leur découverte par l’administration. Et le décret du 16 août 2023, annoncé en grande pompe par Gabriel Attal alors ministre de l’Education, n’a rien changé, car il vise explicitement le harcèlement et omet les violences sexuelles, pourtant tout aussi répandues selon notre enquête.

Par peur de recours en justice des parents, l’Education nationale n’impose donc en réalité jamais un changement d’établissement aux parents d’agresseurs potentiels. En l’occurrence, les parents de Rebecca, que nous avons contactés, récusent les accusations contre leur enfant, sans souhaiter donner plus de détails. Et ils n’ont jamais accepté la solution de sortie que leur proposait l’inspection académique.

Double peine pour les jeunes victimes

Ne sentant pas leur fille suffisamment protégée, les parents de Caroline décident de la changer d’école. « On ne prend pas assez en compte que c’est une souffrance. Caroline me l’a raconté comme un viol, le médecin l’a entendu ainsi, la police l’a entendu ainsi, et pourtant elle n’a jamais été convoquée pour en parler par la directrice, jamais à aucun moment, ils ne se sont mis à sa hauteur pour l’aider », regrette sa mère. Les parents sont peu informés des suites pour Rebecca, ils ignorent par exemple si elle a été convoquée par l’école ou si elle fait l’objet d’un suivi. En octobre, la procédure lancée par le médecin est d’ailleurs classée sans suite, au motif selon le tribunal de « preuves insuffisantes ».

Dans tous les cas, l’âge de l’autrice des faits aurait entraîné un classement sans suite : en dessous de 10 ans, aucune sanction n’est possible. Si les enfants qui agressent sont bien souvent eux-mêmes des victimes qui reproduisent les violences qu’on leur a fait subir, ou qu’ils ont vues sur des écrans, la double peine imposée aux victimes a des conséquences délétères pour l’apprentissage des limites. « Cette année, Caroline a croisé des enfants de son ancienne école, qui lui ont dit : "Rebecca dit que c’est parce que tu l’as agressée que tu as changé d’école" », raconte sa mère. La victime obligée de changer d’école a l’apparence, pour les autres enfants, de la coupable.

Pas de protocole

Contacté, le rectorat refuse d’abord d’entrer dans les détails, estimant « le sujet très hautement sensible » et refusant de le « réalimenter », mais sous-entendant deux versions différentes des faits. « Il y a un sentiment d’une famille et un sentiment d’une autre famille », lâche son service communication. Plus tard, ce même service revient vers nous et affirme que « l’école s’est basée sur les éléments dont elle disposait dans le cadre de l’enquête des services de police qui n’ont pas donné de préconisations particulières ». L’école se défausse sur la police, en somme.

Quant au protocole à appliquer dans de telles affaires, il n’y en a pas, nous dit après plusieurs allers-retours le rectorat. Les services disposent bien d’une trame, et le rectorat l’a communiquée à 20 Minutes, mais ce n’est pas un protocole officiel du département mais simplement une contribution d’une inspectrice. D’autre part ce document semble si flou qu’on peut comprendre pourquoi il apparaît ici comme inexistant ou pas appliqué.

Il y est énoncé que « des mesures sont éventuellement prises au sein de l’école pour garantir la protection de l’élève victime », qu’il « peut être nécessaire de solliciter le PsyEN [psychologue de l’Éducation nationale], l’infirmière scolaire ou la direction académique pour aider à évaluer la situation », qu’une « information préoccupante » ou un « signalement à l’autorité judiciaire » peut être réalisé « selon la gravité de la situation ». En bref, la marge d’appréciation est telle qu’il paraît difficile pour un ou une professionnelle de s’y retrouver. De fait, alors qu’il s’agit de faits de viols, quasiment aucune de ces mesures n’a été prise, et notamment aucun signalement judiciaire n’a été adressé par l’école.

Aujourd’hui, Caroline poursuit son chemin, fait de rechutes ponctuelles de crise de larmes, de « petites crises de panique à l’école » et d’angoisses ponctuelles. Et elle ne comprend toujours pas pourquoi c’est elle qui a dû changer d’école.

* Les prénoms ont été changés

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