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Italie : comment Giorgia Meloni peut-elle être à la fois Première ministre et tête de liste aux européennes ?

Elections européennes 2024 dossier
La cheffe du gouvernement a déclaré dimanche 28 avril qu’elle se présentait comme tête de liste de son parti Fratelli d’Italia aux élections européennes de juin. Elle n’a pas pour autant l’intention de siéger au Parlement européen. Mais en Italie, ça ne gêne personne, ou presque.
par Clara Grégoire et AFP
publié le 29 avril 2024 à 11h17

C’est finalement Giorgia Meloni elle-même qui incarnera la campagne de son parti aux européennes. Lors d’un congrès dans la ville de Pescara dimanche 28 avril, la Première ministre italienne a déclaré qu’elle se présentait comme tête de liste de Fratelli d’Italia en vue des élections européennes de juin. «Je le fais parce que je veux demander aux Italiens s’ils sont satisfaits du travail que nous faisons en Italie et de ce que nous faisons en Europe», a clamé la cheffe du gouvernement, à l’issue d’un long discours vantant les efforts de sa coalition pour combattre l’immigration clandestine, défendre la famille et les valeurs chrétiennes.

Grand vainqueur des législatives en septembre 2022, Fratelli d’Italia est aujourd’hui en tête dans les sondages pour les élections européennes. Avec plus de 28 % d’intentions de vote, le parti post-fasciste – membre au Parlement européen du groupe des Conservateurs et Réformistes Européens (CRE) – devance de loin le Parti démocrate italien (PD), qui récolte 21 % des suffrages. Une popularité qui pourrait encore s’accentuer, maintenant que Giorgia Meloni a annoncé sa candidature.

«Un plébiscite sur sa personne»

«L’objectif, c’est de profiter de sa popularité pour obtenir le maximum de votes pour son parti» aux européennes, confirme Marc Lazar, professeur à Sciences-Po et à l’Université Luiss de Rome. Selon les règles du Parlement européen, la Première ministre sera contrainte, après l’élection, de choisir entre son poste à la tête du gouvernement et son mandat de députée européenne. Mais pour l’historien et sociologue, pas de doute : Giorgia Meloni n’a aucune intention de siéger au Parlement européen. Seulement «de faire en quelque sorte un plébiscite sur sa personne».

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’un tel procédé est utilisé. «C’est une pratique qui singularise l’Italie au niveau européen, pointe Marc Lazar. Silvio Berlusconi déjà l’avait fait [pour Forza Italia]», tout comme le leader de la Ligue Matteo Salvini en 2019. Et avec succès. Cinq ans plus tôt, Matteo Salvini avait triomphé, son parti d’extrême droite remportant 34 % des suffrages aux élections européennes de 2019.

«Des atteintes à la démocratie»

En Italie, cette annonce n’est pas une surprise. «On savait que Giorgia Meloni serait tête de liste», poursuit Marc Lazar depuis Rome. D’autant plus que la cheffe du gouvernement n’est pas la seule à opter pour une telle stratégie cette année. «Son allié de Forza Italia, Antonio Tajani, a fait pareil pour personnaliser la campagne et tenter d’obtenir un maximum de votes», souligne le professeur. Et la pratique ne se cantonne pas qu’à l’extrême droite. La dirigeante du Parti démocrate elle-même, Elly Schlein, a annoncé sa candidature aux européennes, estimant qu’en pole position, elle pourrait rapporter des voix supplémentaires. De quoi la mettre sous le feu des critiques, face à une vague d’opposition au sein même de son parti.

Parmi ses détracteurs, Romano Prodi, ancien président de la Commission européenne et ex-Premier ministre italien. Membre du Parti démocrate, il n’a pas hésité à vivement critiquer la plus jeune secrétaire du PD. «Pourquoi devrions-nous voter pour quelqu’un pour le faire gagner, et s’il gagne, il ne se rendra certainement pas en Europe ? Ce sont des atteintes à la démocratie qui creusent progressivement le fossé pour lequel la démocratie n’est plus aimée». Des critiques qui «viennent surtout de la part des pro-Européens les plus convaincus», souligne Marc Lazar.

Si cette levée de boucliers met la dirigeante du Parti démocrate dans l’embarras, il est peu probable que les têtes de listes, à l’image de Giorgia Meloni, renoncent pour autant. «Certes il y a des critiques, mais ce sont des voix peu entendues», nuance Marc Lazar, qui rappelle «qu’on sait très bien la majorité des électeurs vote en fonction d’un certain nombre de questions nationales». Une réalité que la cheffe du gouvernement italien a bien comprise, récitant dimanche un discours ferme sur les questions européennes. «Elle dit clairement que ce qu’elle souhaite, c’est une Europe des nations», conclut le professeur.

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