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Les Moocs donnent des ailes aux Africains

Les cours en ligne connaissent un succès grandissant sur le continent africain.

Publié le 04 mai 2014 à 09h08, modifié le 04 septembre 2014 à 12h08 Temps de Lecture 4 min.

Des étudiants dans un amphithéâtre à l'université de Cape Town, en Afrique du Sud.

Pendant ce temps, à Douala, Arel Kevin a trouvé un local. A la maison en étages et à antenne orange, au lieu-dit Entrée Eglise, près du snack-bar GES Force V. Il a d’abord sollicité son école, l’Institut supérieur de technologies avancée, où il fait un BTS d’informatique industrielle. « Mais vu les tracasseries procédurales, j’ai plutôt approché un ancien camarade de classe compatissant, dont les parents disposent d’une salle de réception en bordure de route. »

Là, tous les samedis de 12 à 16 heures, Arel Kevin Kamagaing, 24 ans, fils d’un chauffeur de transports interurbains à la retraite et d’une mère au foyer, réunit son groupe d’étude, « aussitôt surpris par l’adhésion massive de compatriotes ». Avec Boris, William, Donal, Annie, Yannick et les autres, il se penche, « une lueur de bonheur extraordinaire dans les yeux », sur le Mooc intitulé « Comprendre les microcontrôleurs » des professeurs Jean-Daniel Nicoud et Pierre-Yves Rochat de l’Ecole Polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), établissement leader de Moocs en français.

Mooc signifie Massive Open Online Courses, que les grandes écoles et universités francophones traduisent désormais par Flots, formations en ligne ouvertes à tous. Le cours en question leur est diffusé en classe, mais il est rapide (sept semaines) et exigeant (des tests entre chaque étape). Les étudiants de Douala qui ne comprennent pas tout se sont donc organisés pour travailler ensemble les points difficiles.

Aux Etats-Unis, le succès foudroyant des Moocs fait apparaître leurs premières limites. On se demande ce qu’il adviendra du modèle économique d’universités ultra-chères. On se demande si les cours en ligne ne sont pas en train de déshumaniser l’enseignement.

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Soucis de riches ! A Lubumbashi, au Congo, personne ne songe au risque de déshumaniser l’enseignement. « Les Moocs ont du succès parce que les auditoires sont bondés, mal aérés et les sièges sont cassés. » Jessé Lubingu sait de quoi il parle. Il est diplômé en dessin architectural de l’Université indépendante d’Angola et en construction industrielle de l’Ecole supérieure des ingénieurs de Lubumbashi. Il a aussi une accréditation en écologie et environnement et une maîtrise en sciences du bâtiment. « Franchement, dit-il, les universités africaines ont de la peine avec les mises à jour. Au Congo, les cours datent de l’époque des colons belges. »

Si bien que ces jours, ou plutôt ces nuits afin de bénéficier d’une meilleure bande passante et de pouvoir gagner sa vie durant la journée, Jessé Lubingu se connecte chez lui, au 29 de la cité Mobutu, sur l’avenue Bakwansupi, au Mooc de l’EPFL intitulé « Ville africaine » du professeur Jérôme Chenal. Il est question de planification urbaine, de transports en commun, de gestion des déchets. Et l’on se dit qu’il était temps de mettre ce cours à disposition des Africains, à qui cela pourrait être utile, plutôt que de le confiner aux amphithéâtres européens.

UNE STAR DE THIÈS À NIAMEY

Sur son campus, l’EPFL offre 1 500 cours à 9 300 étudiants. En ligne, une trentaine de Moocs pour plus de 400 000 inscrits, mais seulement 13 073 Africains en 2013. Patrick Aebischer, son président, en veut 100 000. Pour cela, il vient de prendre six mois de congé sabbatique afin d’arpenter le continent et sceller des accords avec des universités africaines. « Les Français ont pris du retard, regrette-il. On ne cherche pas à leur ravir l’Afrique francophone. Au contraire. Ce serait formidable de monter ensemble une plate-forme avec 500 cours, pour offrir des curriculums complets. » L’ébauche de ce rêve est le portail Ocean-flots.org, qui propose 23 cours, la moitié de l’EPFL et le reste par l’Ecole polytechnique de Paris, l’ENS de la rue d’Ulm, l’ENS Lyon, l’université catholique de Louvain et HEC Montréal.

À Lausanne, les quelques passionnés d’Afrique qui, pendant des années, ont autofinancé leurs voyages, sont désormais portés par la stratégie africaine de l’EPFL. C’est le cas de Pierre-Yves Rochat, 56 ans. Son Mooc a tellement d’inscrits en Afrique, où il passe trois mois par an, qu’il est une star de Thiès à Niamey, de Pointe-Noire à Kinshasa, reconnu à sa chemise à fleurs avant même son entrée dans l’auditoire.

L’un de ses étudiants de Cotonou, Roméo Fassinou, a développé des afficheurs matriciels en forme de croix, pour les pharmacies. Son entreprise compte déjà dix employés et exporte dans les pays voisins. Un autre étudiant de M. Rochat, Cédric Lako, de Douala, a passé six mois à l’EPFL et donne des coups de main au groupe d’étude d’Arel Kevin. Il a développé une application qui permet de modifier les textes de la dernière génération de ces enseignes lumineuses à partir d’un smartphone.

Les Moocs donnent des ailes aux étudiants. Jessé Lubingu, de Lubumbashi : « Grâce aux Moocs, je comble mes lacunes à grande vitesse. L’étape suivante est un projet de construction à 600 000 dollars. » Arel Kevin définit ainsi ce que les membres de son groupe étaient avant de suivre le Mooc sur les microcontrôleurs : « De simples étudiants dépourvus d’ambitions concrètes, des fanatiques de premier ordre et des théoriciens endurcis. » Ils ont désormais décidé de lancer une petite société pour développer, « si le Ciel le veut bien », des commandes de portes à distance avec un module GSM, une alarme avec déclaration du degré d’infraction au propriétaire par téléphone mobile, des afficheurs matriciels, des feux de carrefour.

« Grâce au Mooc, dit-il, on peut tout automatiser ! » Et si le ciel ne le veut pas, il estime qu’ils trouveront un emploi aux Brasseries du Cameroun, à la CCC (société de savonnerie) ou chez Akwa, société chinoise de fabrication d’afficheurs matriciels, basée à Douala.

Lire le post de blog : Moi je mooc, et vous ?

serge.michel@lemonde.fr

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