Les diablesses

Anna Mihalcea et Annie Grégorio dans le téléfilm "Les Diablesses" réalisé par Harry Cleven - Luc Moleux / France 3
Anna Mihalcea et Annie Grégorio dans le téléfilm "Les Diablesses" réalisé par Harry Cleven - Luc Moleux / France 3
Anna Mihalcea et Annie Grégorio dans le téléfilm "Les Diablesses" réalisé par Harry Cleven - Luc Moleux / France 3
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Marie-Christine et Éveline ont été placées en pensionnat de religieuses par leur famille ou la Justice. Pour l'institution qui les accueillait toutes deux, elles étaient des jeunes filles "en perdition", qu'il fallait rééduquer de force. 50 ans plus tard, elles racontent les maltraitances subies.

"Tous les prétextes étaient valables pour nous cogner dessus"

Née à Nantes, Marie-Christine grandit chez sa grand-mère, "ma mère ne voulait pas m’élever, elle ne se sentait pas capable, mon père encore moins, donc je n’ai jamais vécu avec eux", "elle avait 75 ans quand je suis née et elle s'est retrouvée avec un petit bébé de douze jours dans un petit appartement minuscule, pas de toilettes, pas de salle de bain, pas d'eau courante". Marie-Christine est une adolescente turbulente, frustrée par l’éducation stricte qui lui est imposée, "je ne demandais qu’à rigoler, qu’à m’amuser, mais elle ne le comprenait pas", "je ne voulais pas me laver", "je volais de la nourriture dans les commerces parce que j’avais faim", "je ne voulais pas aller à l’école, j’ai été renvoyée de toutes les écoles dans lesquelles je passais, toujours pour les mêmes motifs : insubordination, insolence envers les professeurs".

54 min

La famille de Marie-Christine fait appel au juge des enfants, et la jeune fille est placée en centre d’observation, à l’âge de 15 ans. C’est dans ce cadre qu’elle subit et assiste à de nombreux abus, "il y avait un examen gynécologique au cours duquel toutes les filles étaient violées", "je revois la pièce, la sœur et le médecin, sans gants, sans spéculum, au doigt", "c’était pour vérifier si on était vierges". Six mois plus tard, Marie-Christine est envoyée à Orléans, dans un pensionnat de bonnes sœurs, "moi, je pensais aller dans un bahut comme les autres, sauf qu'il était tenu par des religieuses", "quand je suis arrivée à Orléans et que cette énorme porte s'est refermée sur moi, j'ai vu ce cloître et ces religieuses, j’ai compris que j’étais mal barrée".

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Très vite, Marie-Christine découvre avec horreur la violence de l’institution dans laquelle elle a été placée, "on n’avait pas le droit de parler entre nous", "les sœurs nous frappaient", "je me rappelle une sœur en particulier, qui frappait les filles sauvagement, elle a failli en tuer une devant nous : elle lui a attrapé la tête et l’a cognée sur le lavabo jusqu’à ce qu’il y ait du sang partout", "tous les prétextes étaient valables pour nous cogner dessus". Les sœurs affirment à l’époque vouloir rééduquer ces jeunes filles qu’elles traitent de "trainées", mais selon l’ancienne pensionnaire, "il n'y avait aucune éducation, c’était tais-toi, prie, repends-toi, c’est tout".

"On n'avait aucun droit, aucune liberté, même pas de musique, même pas de livres"

Éveline à 16 ans lors de son arrivée au Bon Pasteur
Éveline à 16 ans lors de son arrivée au Bon Pasteur
- Éveline Le Bris

Éveline, elle, est originaire de Chartres. Elle grandit avec ses parents, dans la ferme de son père. De ses 11 ans à ses 14 ans, elle est violée par un voisin, "il m’avait dit si tu dis quelque chose, je tue tes parents". L’homme finit par reconnaître les faits, et il est condamné à quelques mois de prison. À l’époque, de nombreuses rumeurs ternissent la réputation de la jeune fille, "il y a eu un grand article de journal où on se moquait de moi", "j’étais la pute, carrément", "il est déclaré dans le rapport de gendarmerie que si l'occasion se présentait, je n'hésiterais pas, à coucher avec des mecs".

L'adolescente est confiée aux services sociaux de Chartres, puis envoyée en centre d’observation, elle aussi. Elle arrive finalement dans une maison de correction, au Bon Pasteur du Mans, "c'était l'horreur : on n'avait aucun droit, aucune liberté, même pas d'écouter de la musique, même pas de livres". Les jeunes filles doivent respecter à la lettre les ordres des sœurs qui les encadrent. Si elles refusent, les punitions sont très sévères, "il ne fallait surtout pas dire un mot de travers parce que ça finissait au mitard", "c'était l'éloignement, la punition : il y avait un matelas par terre, la cuvette pour faire la toilette, sans serviette", "tu n'avais rien pour t'occuper, tu étais là pour expier, pour réfléchir au mal que tu avais fait".

Il y a quelques années Éveline crée une association, avec des femmes qui, comme elle, ont séjourné dans ces établissements, "on a décidé de porter plainte", "l’essentiel, c'est que l’on retrouve notre honneur", "on n’était pas des traînées, comme nous appelaient les bonnes sœurs, des gamines turbulentes peut-être, mais ça n’allait pas plus loin".

  • Reportage : Stéphanie Thomas avec Leila Djitli
  • Réalisation : Emmanuel Geoffroy

Merci à Eveline et Marie-Christine.

Musique de fin - Time, Tom Waits

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