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“Maisons pillées, puits détruits, bétail volé” : la guerre aux portes d’El-Fasher, dernier bastion de l’armée soudanaise au Darfour

El-Fasher, dernière grande ville du Darfour encore sous le contrôle des Forces armées soudanaises (FAS), est assiégée depuis plusieurs mois par le mouvement paramilitaire des Forces de soutien rapide (FSR). Une escalade des violences autour de cette ville ces derniers jours fait craindre une crise humanitaire majeure. Des témoignages, corroborés par des vidéos et des images satellite, font état de villages incendiés et de populations déplacées dans cette zone.

À gauche : capture d’écran d’une photo publiée par le Centre for Information Resilience, montrant le camp de déplacés de Muqrin incendié, à une trentaine de kilomètres à l’ouest d’El-Fasher. À droite : photo diffusée par l’ONG “Darfur Victims Support” montrant des déplacés qui attendent la distribution d’eau le 15 avril 2024, dans le camp Sartni, à El-Fasher.
À gauche : capture d’écran d’une photo publiée par le Centre for Information Resilience, montrant le camp de déplacés de Muqrin incendié, à une trentaine de kilomètres à l’ouest d’El-Fasher. À droite : photo diffusée par l’ONG “Darfur Victims Support” montrant des déplacés qui attendent la distribution d’eau le 15 avril 2024, dans le camp Sartni, à El-Fasher. © X (anciennement Twitter) / Cen4infoRes / dvs2030
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Dimanche 28 avril, les Forces de soutien rapide (FSR) ont tenté de prendre d’assaut la ville d’El-Fasher, après avoir attaqué des villages alentour plus tôt le même mois. Toutefois, selon des témoignages d'habitants, l'attaque a été repoussée par les Forces armées soudanaises (FAS), et des mouvements armés alliés issus de la coalition des Forces conjointes.  

El-Fasher est la capitale du Nord-Darfour, un des cinq États soudanais qui forment la région du Darfour.

“Les produits de première nécessité n’entrent plus.”

La rédaction des Observateurs de France 24 a pu joindre un travailleur humanitaire sur place. Ahmed (pseudonyme) raconte : 

Les accrochages ont eu lieu dans les quartiers est d’El-Fasher. Ce qui s’est passé précisément : les FSR ont tenté d’ouvrir une brèche dans les défenses de l’armée et des Forces conjointes. Mais l’assaut a été repoussé. 

Ces affrontements ont provoqué un climat de terreur parmi la population. 

“Les affrontements font rage entre les Forces conjointes et les FSR, à EL-Fasher, dans la zone de Borsa al-Qadima, l’hôpital des enfants et le marché al-Inqadh (…)”, affirme un habitant dans cette vidéo, où l’on voit une colonne de fumée s’élever, sur fond de tirs. © @atafmohamed3

El-Fasher est donc la seule ville du Darfour qui n’est pas tombée aux mains des FSR. Cette ville compte  plusieurs camps de déplacés. Des milliers de personnes y vivent depuis la guerre du Darfour de 2003. On peut citer celui de Zamzam, Abuja, ou encore Nifasha.

Ces derniers jours, des habitants de l’est et du nord de la ville ont fui vers les quartiers sud. Ils sont actuellement dans des centres d’accueil. El-Fasher en compte 93. En tout, il y a 300 000 déplacés depuis début avril.  

El-Fasher est quasiment en état de siège. Les produits de première nécessité n’entrent plus. Du coup, les prix des denrées alimentaires flambent. Celui de l’eau surtout, car il n’y a plus de carburant pour alimenter les pompes qui permettent d’extraire l’eau des puits.  

Des images diffusées par des ONG locales montrent des dizaines de personnes faisant la queue pour obtenir de l’eau. 

Une photo, diffusée par l’ONG “Darfur Victims Support”, montre des déplacés qui attendent la distribution d’eau le 15 avril 2024, dans le camp Sartni, à El Fasher. © @dvs2030

La situation humanitaire s’est détériorée depuis le 13 avril, quand les FSR ont attaqué et incendié plusieurs villages à l’ouest d’El-Fasher. Une information corroborée notamment par une image satellite diffusée sur X (anciennement Twitter) par Benjamin Strick, directeur des enquêtes pour le Centre for Information Resilience, et qui montre des panaches de fumée au-dessus de plusieurs villages dans cette zone.

Image satellite de Planet Labs montrant de la fumée s’élevant de villages brûlés, le 13 avril 2024. © @BenDoBrown

Le Centre for Information Resilience a aussi publié une vidéo (ci-dessous) du camp de déplacés de Muqrin, à une trentaine de kilomètres à l’ouest d’El-Fasher. 

Vidéo géolocalisée par le Centre for Information Resilience montrant le camp de déplacés de Muqrin incendié, à une trentaine de kilomètres à l’ouest d’El-Fasher, dans le Nord Darfour. © Cen4infoRes.

D’autres images diffusées par un journaliste à El-Fasher sur Facebook, Mohammad Nazzar, montrent l’un des villages incendiés, Kuim.    

“Les maisons ont été pillées et incendiées, les puits ont été détruits et le bétail volé”

Selon notre Observateur, en tout, 16 villages ont été attaqués par les FSR dans cette zone, depuis le 13 avril : 

La stratégie des FSR consiste à détruire les villages entourant El-Fasher, dans le but d’empêcher les denrées alimentaires d’arriver dans la ville, notamment les produits agricoles, les fruits et légumes qui sont produits dans ces zones. Lors de ces attaques, les maisons ont aussi été pillées et incendiées, les puits ont été détruits, le bétail volé. Sarfaya, Janjouna et Chaqra sont parmi les principaux villages qui ont été attaqués. En tout, 27 civils sont morts dans ces raids.  

Pour resserrer davantage l’étau autour d’El-Fasher, les RSF ont aussi pris le contrôle de la ville de Mellit, à une soixantaine de kilomètres au nord, le 14 avril. Mellit est un port sec, c’est une ville importante par laquelle transitent tous les produits de première nécessité acheminés non seulement vers El-Fasher, mais vers tout le Darfour. Depuis que les FSR en ont pris le contrôle, ils ne laissent plus la marchandise passer.

Vidéo montrant des combattants FSR défiler après avoir pris le contrôle de la ville de Mellit, à soixante-cinq kilomètres au nord d’El Fasher.

Depuis le 14 avril, l’armée soudanaise mène régulièrement des frappes sur la ville de Mellit. Ces raids n’ont pas épargné les quartiers résidentiels et auraient fait également des victimes parmi les civils, selon des ONG.  

Sur la vidéo ci-dessous, on voit un troupeau de chameaux décimé par une frappe de l’armée soudanaise, le 26 avril, à Mellit, selon l’ONG Darfur Victims Support.

Sur cette publication, l’ONG humanitaire Darfur Victims Support indique que des frappes de l’armée soudanaise ont tué 120 têtes de bétail, le 25 avril 2024. © @dvs2030

Qui se bat à El-Fasher ?

Peu après le déclenchement de la guerre, le 15 avril 2023, quatre mouvements rebelles du Darfour se sont coalisés pour assurer la sécurité des civils à El-Fasher. Ces formations se sont engagées à observer une stricte neutralité dans le cadre du conflit opposant l'armée soudanaise au mouvement paramilitaire des FSR. Cette force conjointe est constituée de l'Armée de libération du Soudan (ALS) ; le Mouvement pour la justice et l'égalité (MJE) ; l’Alliance nationale soudanaise (ANS) ; le Rassemblement des Forces pour la Libération du Soudan (RFLS). 

“On a peur que le scénario d’El-Geneina se réédite”

Mais à la fin de l’année 2023, une partie de cette coalition a fait scission, ce qui met aujourd’hui la sécurité des civils en péril, indique Ahmed : 

Le rôle de cette force dans le cadre de la bataille d’El-Fasher consistait à protéger les locaux des institutions internationales comme l’UNHCR, les civils et leurs biens. 

Certains mouvements, l'Armée de libération du Soudan (ALS), dirigée par le gouverneur du Darfour Minni Minawi, et le Mouvement pour la justice et l'égalité (MJE) ont annoncé rompre avec leur neutralité, et ont rallié le camp de l’armée soudanaise. 

Conséquence : aujourd’hui, il n’y a aucune force qui protège les civils, les bâtiments des institutions, ou pour sécuriser la distribution de l’aide humanitaire.

Des déplacés du village de Sarfaya, à l’ouest d’El-Fasher, attendent une distribution d’eau, le 20 avril 2024. Vidéo publiée par Darfur Victims Support. © @dvs203.

Les Nations unies ont en outre mis en garde contre un risque d’exactions ethniques si les FSR venaient à s’emparer de la ville d’El-Fasher. Car les membres de ce mouvement paramilitaire sont essentiellement issus des Janjawid, des miliciens se désignant comme arabes, et qui sont accusés d’avoir commis un génocide contre les tribus non-arabes du Darfour, les Massalit, les Fur et les Zaghawa. 

Or, la majorité des déplacés et habitants d’El-Fasher sont issus de ces tribus, surtout les Zaghawa.

Ahmed poursuit : 

Il y a de réelles craintes que ce conflit ne glisse vers des exactions ethniques ciblant les Zaghawa, d’autant que les principaux mouvements armés qui se sont ralliés à l’armée soudanaise sont issus de cette tribu, à l’instar de l'Armée de libération du Soudan (ALS). On a donc peur que le scénario d’El-Geneina ne se réédite ici. 

Depuis le déclenchement de la guerre au Soudan, le 15 avril 2023, El-Geneina, capitale du Darfour-Occidental, a été le théâtre de massacres à grande échelle. Selon un rapport d’experts de l’ONU, entre 10 000 et 15 000 personnes, principalement issues de la communauté massalit non-arabe, ont été tuées par les FSR. Leurs quartiers ont été saccagés et brûlés, et leurs terres agricoles incendiées. El-Geneina s’est aujourd’hui vidée de ses populations Massalit, qui se sont réfugiées dans des camps principalement à Adré, dans l’est du Tchad. 

Une image satellite Google, récemment mise à jour, et publiée par le chercheur Benjamin Strick, permet de se rendre compte de l’ampleur de la destruction dans cette ville.

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