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Liberté d'expression

Le long combat des cyber-militants saoudiens face à la multiplication des condamnations

L’Arabie saoudite a condamné une défenseuse des droits des femmes, Manahel al-Otaibi, en catimini, à onze ans de prison, lors d’une "audience secrète", ont appris deux ONG qui dénoncent un verdict "cruel" et "révoltant", en contradiction avec le discours des autorités saoudiennes sur l’émancipation des femmes.

Manahel al-Otaibi, dans la rue al Tahliya à Riyad, le 2 septembre 2019.
Manahel al-Otaibi, dans la rue al Tahliya à Riyad, le 2 septembre 2019. © AFP, Fayez Nureldin
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Le royaume saoudien est-il aussi ouvert qu’il veut laisser entendre ? Plusieurs ONG ont rapporté, mardi 30 avril, une dizaine de cas d’emprisonnement de Saoudiens "pour leurs propos sur les réseaux sociaux". Dans un communiqué conjoint, Amnesty International et ALQST, basé à Londres, dénoncent de "longues peines de prison" contre ces militants arrêtés en 2021 et 2022, et emprisonnés depuis.

Parmi eux, figurent plusieurs femmes, dont Manahel al-Otaibi. Une coach sportive et une blogueuse de 29 ans, défenseuse des droits des femmes, détenue par Riyad depuis le 16 novembre 2022. Elle a été condamnée à 11 ans de prison pour des accusations liées au "terrorisme", lors d'une "audience secrète" le 9 janvier.

Le verdict a été révélé "dans la réponse officielle du gouvernement saoudien à une demande d'informations formulée par des rapporteurs spéciaux des Nations unies sur son cas", indiquent les deux ONG.

L’AFP a pu consulter la réponse saoudienne à l'ONU, datée du 24 janvier. D’après ce texte, Manahel al-Otaibi "a été condamnée pour des infractions terroristes sans aucun rapport avec l'exercice de sa liberté d'opinion et d'expression ou avec ses publications sur les réseaux sociaux", explique Riyad. Le document ne fournit pas de détails sur les "infractions terroristes" mentionnées.

Des tweets en faveur des droits des femmes

Bissan Fakih, responsable de la campagne sur l'Arabie saoudite au sein d'Amnesty International, juge cette condamnation "injuste", "révoltante" et "cruelle". Après son arrestation en 2022, Manahel al-Otaibia avait été inculpée d’infraction à la loi relative à la lutte contre la cybercriminalité, en raison de ses tweets en faveur des droits des femmes et de la publication sur Snapchat de photos d’elle sans abaya dans un centre commercial.

L'affaire a ensuite été renvoyée devant le Tribunal pénal spécialisé, une juridiction établie en 2008 pour traiter les affaires liées au terrorisme. Une cour qui "utilise régulièrement des dispositions floues de la législation sur la cybercriminalité et la lutte contre le terrorisme et qui assimile l’expression pacifique d’opinions à du ‘terrorisme’", prévient Amnesty International. Les verdicts donnés par cette juridiction sont rarement commentés par les autorités saoudiennes.

"Je suis très choquée", a réagi la sœur aînée de Manahel al-Otaibi, Foz al-Otaibi, indiquant, mardi 30 avril, à l'AFP, que sa famille n'avait appris la condamnation de Manahel à 11 ans de prison que par le biais de la réponse saoudienne à l'ONU.

Dans une vidéo postée mercredi sur X, cette activiste des droits des femmes en appelle au monde du football, exhortant les fans des clubs financés par l’Arabie saoudite à réagir et à demander la libération de Manahel.

 

 

Foz al-Otaibi, suivie par 2,5 millions de personnes sur le réseau social Snapchat, a fait face elle aussi à des accusations similaires que celles portées contre Manahel. Mais elle a fui l'Arabie saoudite pour l'Écosse, de peur d’être arrêtée après avoir été convoquée pour un interrogatoire en 2022. Dans sa vidéo, elle avance que les autorités saoudiennes s’en prennent à sa sœur pour faire pression sur elle, notamment en la torturant.

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Rouée de coups en détention

La famille Otaibi était très inquiète de ne plus avoir de nouvelles de Manahel ces derniers mois. Amnesty avait dénoncé en février la "disparition forcée" de la jeune militante qui avait, selon l'ONG, perdu contact avec ses proches, entre novembre 2023 et la mi-avril 2024.

Lors d’un bref appel téléphonique qu'elle a enfin pu passer à ses proche mi-avril, elle a déclaré qu’elle avait été détenue à l’isolement à la prison d’Al-Malaz à Riyad, avec une jambe cassée après avoir été rouée de coups en détention, et qu’elle n’avait pas accès à des soins médicaux, rapporte Amnesty.

"Les autorités saoudiennes doivent libérer immédiatement et sans condition Manahel al-Otaibi et toutes les personnes actuellement détenues dans le royaume pour avoir exercé pacifiquement leurs droits humains. En attendant la libération de Manahel al-Otaibi, les autorités doivent garantir sa sécurité et son accès à des soins de santé adéquats", a exigé Lina Alhathloul, responsable du suivi et du plaidoyer à l'ALQST.

"Tolérance zéro vis-à-vis des critiques"

Pour les deux ONG qui alertent sur le cas de Manahel al-Otaibi, la condamnation de cette militante "contredit directement le discours des autorités sur les réformes et l'émancipation des femmes".

Les premières accusations portées contre la militante pour publication sur Snapchat de photos d’elle sans abaya surprennent Arnaud Lacheret, professeur de sciences politique à Skema Business School et auteur de "La femme est l'avenir du Golfe" (2020). "Les femmes saoudiennes ne portent pas toutes l’abaya. Le voile n’est plus obligatoire, l’abaya non plus, même si la société reste très patriarcale. La police religieuse n’a pas été supprimée mais elle ne contrôle pas, elle reste dans sa caserne", décrit-il.

En revanche, "ce qui est en jeu c'est la liberté d'expression politique. Les problèmes arrivent dès qu'il y a la moindre critique envers le régime", explique l’auteur. 

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En Arabie saoudite, plusieurs restrictions comme l’interdiction de conduire et l’obligation de porter une abaya ont été levées ces dernières années. Mais les défenseurs des droits humains affirment qu’une loi sur le statut personnel entrée en vigueur en 2022 reste discriminatoire à l’égard des femmes.

Ils estiment que ce projet maintient en fait de nombreux éléments restrictifs du statut des femmes dans le pays en matière de mariage, de divorce, de garde des enfants ou d'héritage.

Non seulement les critiques de ces militants ne sont pas entendues, mais elles sont étouffées, fait savoir Amnesty International. "Les autorités saoudiennes ont adopté une politique de tolérance zéro vis-à-vis des critiques, aussi inoffensives soient-elles. Elles ont fait fermer tous les groupes de défense des droits humains, faisant disparaître toute forme de société civile indépendante dans le royaume", rapportait l’ONG en mars, alertant sur la multiplication des "peines parmi les plus sévères jamais recensées dans le pays" pour des motifs liés la liberté d’expression.

Plusieurs cas inquiètent particulièrement Amnesty International. Celui de Salma al-Shehab, doctorante et membre d’une communauté chiite, arrêtée alors qu’elle était revenue du Royaume-Uni, où elle faisait ses études, pour une visite en Arabie saoudite.

Cette mère de deux enfants purge actuellement une peine de 27 ans d’emprisonnement pour avoir "aidé" des dissidents à "déstabiliser l'État" en relayant leurs tweets. Elle publiait essentiellement des messages soutenant les droits des femmes et ne comptait que quelques milliers d'abonnés.

Mohammed al-Ghamdi dénonçait, lui, la corruption et des violations de droits humains présumés sur les réseaux sociaux. Il a été arrêté en juin 2022 et condamné à mort l'année dernière. Son compte X n’était suivi que par dix personnes en tout, ainsi que sur YouTube.

Selon Amnesty International, au 31 janvier 2024, au moins 69 personnes étaient "poursuivies pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, parmi lesquelles des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s politiques pacifiques, des journalistes, des poètes et des dignitaires religieux".

Avec AFP

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