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En Géorgie, la colère ne faiblit pas: 30 000 manifestants battent le pavé à Tbilissi

Dans la capitale de ce pays du Caucase, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont défilé pour afficher leur opposition au projet de loi sur «l’ingérence étrangère», voté par le parlement mardi. Ce texte menace d’entraver l’adhésion de Tbilissi à l’UE

Plusieurs milliers de manifestants rassemblés devant le parlement géorgien, le 15 mai 2024. — © GIORGI ARJEVANIDZE / AFP
Plusieurs milliers de manifestants rassemblés devant le parlement géorgien, le 15 mai 2024. — © GIORGI ARJEVANIDZE / AFP

Quelque 30 000 Géorgiens opposés à un projet de loi controversé voté la veille au parlement, qui menace d’entraver l’adhésion du pays à l’UE, se sont à nouveau rassemblés mercredi soir dans le centre de la capitale Tbilissi, selon l’AFP. Au lendemain de ce vote, l’Otan, la Commission européenne et l’ONU ont condamné cette initiative du gouvernement.

La loi sur «l’ingérence étrangère», inspirée d’une législation en vigueur en Russie pour réprimer l’opposition, a été votée mardi en dernière lecture par les députés géorgiens. Les manifestations contre ce texte, qui cible les médias et les ONG recevant des fonds étrangers, durent depuis plus d’un mois, rassemblent des foules considérables brandissant des drapeaux européens, ukrainiens et géorgiens et scandant des slogans contre la Russie, qui a fait la guerre à la Géorgie en 2008.

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Des milliers de personnes ont commencé mercredi soir à bloquer un important carrefour à Tbilissi, paralysant la circulation dans les quartiers centraux de la capitale. «Nous descendons dans la rue jour après jour depuis plus d’un mois et nous ne reculerons pas tant que cette loi russe ne sera pas abrogée», a déclaré à l’AFP Anuka Liparteliani, une étudiante de 19 ans. «Et à l’automne, nous chasserons ce gouvernement pro-russe», a-t-elle ajouté, en référence aux élections législatives prévues en octobre.

Plusieurs ministres étrangers font partie du cortège

Les ministres des Affaires étrangères de l’Estonie, de l’Islande et de la Lituanie, en visite dans le pays, se sont joints à la marche vers le lieu de la manifestation, avant de s’adresser à la foule en signe de solidarité avec les manifestants. «Nous sommes ici pour soutenir les aspirations du peuple géorgien à faire partie de l’Union européenne et de l’Otan», a déclaré à l’AFP le ministre lituanien des Affaires étrangères, Gabrielius Landsbergis. «Nous sommes à leurs côtés, ils ne sont pas seuls, leurs inquiétudes sont entendues, ils sont soutenus», a-t-il ajouté.

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L’hymne national de la Géorgie et l’Ode à la joie de l’Union européenne ont été interprétés lors du rassemblement. Des manifestations contre la loi ont également eu lieu dans les villes de Kutaisi et Tsalenjikha, dans l’ouest du pays.

Liberté d’expression et d’association menacée

Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, au nom de la Commission européenne, a appelé la Géorgie à «retirer» cette loi, jugée contraire aux «valeurs» et aux «normes essentielles» de l’UE. Son vote a «un impact négatif» sur le processus d’adhésion de cet Etat à l’UE, a-t-il souligné dans un communiqué. La Géorgie est officiellement candidate à l’entrée dans l’Union européenne depuis décembre 2023. Elle aspire également à rejoindre l’Otan, dont la porte-parole, Farah Dakhlallah, a dénoncé sur X une mesure qui l'«éloigne» de son «intégration européenne et euro-atlantique».

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Les 27 membres de l’Union européenne ne sont toutefois pas parvenus à trouver un accord sur un texte commun, en raison de l’opposition de la Hongrie et de la Slovaquie, selon des diplomates à Bruxelles. La Hongrie de Viktor Orban est parmi les pays de l’UE celui qui est le plus proche allié de Moscou. Elle refuse tout soutien militaire à l’Ukraine en guerre contre la Russie. La présidente géorgienne Salomé Zourabichvili, une pro-européenne en conflit ouvert avec le gouvernement, devrait mettre son veto à la nouvelle loi mais le parti au pouvoir «Rêve géorgien» assure avoir assez de voix au parlement pour passer outre.

Le cortège de manifestants sillonnant les rues de la capitale géorgienne. — © GIORGI ARJEVANIDZE / AFP
Le cortège de manifestants sillonnant les rues de la capitale géorgienne. — © GIORGI ARJEVANIDZE / AFP

«Les impacts (de la loi) sur les droits à la liberté d’expression et d’association en Géorgie risquent malheureusement désormais d’être importants», a regretté pour sa part le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk. Les Etats-Unis avaient réagi dès mardi en avertissant qu’ils pourraient «réévaluer» leurs relations avec la Géorgie.

Des «changements cosmétiques» ne seront pas suffisants

Au cours d’une conférence de presse, le chef de la diplomatie lituanienne, Gabrielius Landsbergis, a affirmé que des «changements cosmétiques» du texte ne le rendraient pas compatible avec les normes de l’UE.

La présidente Zourabichvili a proposé des amendements au projet de loi mais a mis en garde, pendant cette conférence de presse avec les représentants balte et islandais, contre toutes négociations «artificielles». Le premier ministre Irakli Kobakhidzé s’est dit pour sa part prêt à évoquer de possibles modifications.

Le ministre estonien des Affaires étrangères Margus Tsahkna. — © GIORGI ARJEVANIDZE / AFP
Le ministre estonien des Affaires étrangères Margus Tsahkna. — © GIORGI ARJEVANIDZE / AFP
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En l’état actuel, le texte impose à toute ONG ou à tout média recevant plus de 20% de son financement de l’étranger de s’enregistrer en tant qu'«organisation poursuivant les intérêts d’une puissance étrangère» et de se soumettre à un contrôle administratif. Ses détracteurs l’ont surnommé «loi russe» en raison de sa similitude avec une législation votée en Russie pour réprimer l’opposition. La référence est sensible en Géorgie, un pays qui balance entre les sphères d’influence russe et européenne et a été la cible d’une intervention militaire russe en 2008.