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Polémique

«Mains rouges» sur le Mur des Justes du Mémorial de la Shoah : la Russie mise en cause

Selon «le Canard enchaîné», les enquêteurs soupçonnent Moscou d’avoir commandité les actes de vandalisme signalés dans ce lieu de mémoire au cœur de Paris mardi 14 mai. Des accusations qui font écho à celles portées contre la Russie en novembre, après la découverte de dizaines d’étoiles de David sur les murs de la capitale.
par LIBERATION
publié le 21 mai 2024 à 21h03

Des tags à connotation antisémite, une indignation nationale et, en fin de compte, la piste d’une manipulation orchestrée par la Russie. Ce scénario, éprouvé à l’automne au moment de la découverte de dizaines d’étoiles de David sur les murs d’immeubles de la région parisienne, pourrait de nouveau être sur la table après la dégradation du Mur des Justes du Mémorial de la Shoah à Paris, recouvert de dessins de mains rouges dans la nuit du 13 au 14 mai. Selon les informations du Canard enchaîné publiées ce mardi 21 mai, les enquêteurs de la préfecture de police de Paris considèrent en effet que cet acte de vandalisme relève d’un «coup de Moscou» destiné à déstabiliser la France.

L’hebdomadaire révèle que les enquêteurs, s’appuyant sur les images de vidéosurveillance et le bornage des téléphones portables, ont identifié deux tagueurs et un complice chargé de filmer la scène. Les trois hommes, tous Bulgares, étaient logés dans un hôtel du XXe arrondissement de Paris. Ils auraient quitté la capitale à bord d’un Flixbus à destination de Bruxelles immédiatement après la profanation du Mur des Justes, sur lequel sont inscrits les noms de près de 4 000 hommes et femmes qui ont contribué au sauvetage des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le parquet de Paris a confirmé, mercredi 22 mai, que les enquêteurs creusent la piste de trois suspects en fuite à l’étranger. La vidéosurveillance a permis de les repérer et de «retracer (leur) cheminement» de Paris jusqu’à «leur départ pour la Belgique». «Les investigations ont également établi que les réservations avaient été effectuées depuis la Bulgarie.», précise le ministère public, sans préciser à ce stade la teneur de ces réservations ni s’avancer sur la nationalité des intéressés.

«Un message codé envoyé à Macron»

Quelques mois plus tôt, c’est au même mode opératoire qu’avaient recouru les Moldaves qui avaient apposé au pochoir des étoiles de David bleues à Paris, Saint-Ouen ou encore Saint-Denis : des ressortissants de pays d’Europe de l’Est dépêchés quelques jours dans la capitale, un séjour à l’hôtel, une personne chargée de la capture d’images, un départ précipité en bus, vers la Belgique. En février, dans une note confidentielle dont le contenu avait été révélé dans la presse, les services de renseignement intérieur français (DGSI) assuraient que cette opération avait été pilotée par les services de sécurité russes.

«Depuis l’expulsion, le 4 avril 2022, d’une quarantaine d’espions déguisés en diplomates au sein de l’ambassade russe à Paris, Moscou manque d’agents pour mener chez nous ses opérations de déstabilisation. D’où le recours à des sous-traitants moldaves ou bulgares, qui débarquent juste le temps d’accomplir leur besogne», souligne un haut fonctionnaire expert en renseignement cité par le Canard enchaîné. Et de poursuivre : «C’est un message codé envoyé à Macron pour lui signifier que la Russie est en capacité d’agir sur le sol français quand elle veut et comme elle veut.»

Emotion décuplée

Le journal satirique ajoute que la préfecture de police de Paris suspecte des ressortissants moldaves d’être impliqués dans une autre affaire pouvant relever de la tentative de déstabilisation : des tags portant l’inscription «Attention ! Chute possible du balcon» signalés dans le quartier Notre-Dame à Paris, peu après que la Fédération nationale de l’immobilier avait alerté sur les risques d’effondrement de balcons sous le poids des spectateurs lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques.

«Dégrader le Mur des Justes parmi les Nations, barrage des Lumières contre le nazisme, c’est porter atteinte à la mémoire de ces héros comme à celle des victimes de la Shoah», avait dénoncé au moment des faits le président de la République Emmanuel Macron, promettant que la République serait «inflexible face à l’odieux antisémitisme». La profanation du Mémorial de la Shoah avait provoqué une émotion décuplée par les tensions autour de la guerre dans la bande de Gaza et l’augmentation des actes antisémites. D’autant que le symbole même des mains rouges avait suscité la polémique, fin avril, après avoir été utilisé par les étudiants de Sciences-Po Paris mobilisés pour un cessez-le-feu dans l’enclave palestinienne. Un geste qui avait valu à ces derniers des accusations d’antisémitisme, dont ils s’étaient défendus, affirmant que les mains rouges sont un «symbole commun pour dénoncer le fait que quelqu’un, ou qu’une institution, a du sang sur les mains».

Mise à jour le 22 mai à 16 h avec la confirmation du parquet de Paris.

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