La ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin, a annoncé avoir signé, mercredi 24 juillet, un arrêté d’interdiction de Sniffy, la poudre énergisante, vendue à inhaler au moment de sa commercialisation, en toute légalité. Cet arrêté devrait être publié dans la semaine au Journal officiel. Dans l'article suivant, Sciences et Avenir revient sur l'origine de la polémique qui entoure ce produit.
La polémique avait débuté le 21 mai 2024 après la diffusion sur Instagram d'une chronique extraite de l'émission "La grande semaine" sur M6. L'animateur s'y était ému qu'en France, pour 15 euros, on puisse imiter les gestes d'un cocaïnomane en toute légalité. Pour preuve, il présentait Sniffy, une poudre énergisante créée par le fabricant marseillais de CBD Highbuy.
"Abasourdis" par Sniffy
Ressemblant à s'y méprendre à de la cocaïne, le produit contient de la caféine, de la créatine, de la taurine, des acides aminés (bêta-alanine, L-arginine, L-citrulline) et de la maltodextrine. Accompagnée d'une petite paille, cette poudre est vendue sur Internet et dans certains bureaux de tabac. Les créateurs promettent à ceux qui l'inhalent par le nez un effet énergisant de 20 à 30 minutes.
La diffusion de cette vidéo très largement relayée avait pris par surprise toutes les personnes impliquées dans la lutte contre les addictions en France. Ils n'avaient rien vu venir. Le produit était bien légal, et les fabricants avaient déposé la marque fin juin 2023 auprès de l'Inpi (Institut national de la propriété industrielle) sans qu'aucune restriction, sauf l'interdiction de vente aux mineurs, ne puisse leur être opposée.
La poudre Sniffy en vente en ligne. Crédit : ROMUALD MEIGNEUX/SIPA
"Nous avons été d'autant plus abasourdis par la découverte de ce produit qu'il intervient dans un contexte d'augmentation forte de la consommation de cocaïne en France. En 20 ans, le nombre de consommateurs ayant expérimenté cette drogue a été multiplié par quatre, avec des conséquences telles que l'augmentation des passages aux urgences (72 passages par semaine en 2022)", nous détaille Bernard Basset, président de l'association Addictions France.
Autrefois cantonnée aux grandes villes et à des catégories sociales très aisées, qui en avaient une consommation festive ou l'utilisaient pour gérer le stress, cette drogue est désormais diffusée dans toutes les couches de la population et partout en France, "avec une certaine image positive, liée notamment au fait qu'elle était très présente dans les milieux créatifs ou financiers, sans que se diffusent en même temps les problèmes de dépendance qui l'accompagnent, évidemment !", complète le spécialiste.
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Une cocaïne décocaïnée qui banalise indirectement l'usage de cette drogue
Les inventeurs de Sniffy ont repris les caractéristiques de la cocaïne : la texture, la couleur, le grammage (dose de 1 g), le mode d'administration et l'effet produit. Ainsi, sur le site de vente de cette poudre, il est promis au consommateur un "regain d’énergie (...) instantané (...) grâce à son absorption rapide par la muqueuse nasale". Ce n'était pas sans rappeler le célèbre slogan publicitaire de Canada Dry : "Il est doré comme l'alcool, son nom sonne comme un nom d'alcool… mais ce n'est pas de l'alcool".
Cela ne fait absolument pas sourire Bernard Basset. "Avec cette cocaïne décocaïnée, on banalise indirectement l'usage de cette drogue. Circonstance aggravante, elle est proposée en saveurs sucrées et acidulées (fruit de la passion, bonbon fraise, nature, menthe fraîche et citron vert) qui, n’en doutons pas, attireront les plus jeunes."
La poudre Sniffy avait également suscité une vive réaction de la part du syndicat des buralistes, qui avait déconseillé à ses adhérents de la vendre afin de préserver "l'éthique du réseau". Cependant, notre interlocuteur pointe avec une certaine ironie : "S'il y a une éthique, c'est une éthique à géométrie variable. Car ces commerçants, pour les deux tiers, ne se gênent pas pour vendre du tabac aux mineurs et ont surtout surfé sur la vague des puffs, ces cigarettes électroniques colorées, elles aussi vendues avec des saveurs sucrées appréciées des jeunes."
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Il poursuit : "Avec le tabac, en matière d'addiction, on change d'échelle. Rappelons que la France est le pays d’Europe occidentale avec la prévalence du tabagisme la plus élevée, première cause de mortalité évitable, avec 13 % des décès qu’ils lui sont attribuables."
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Ce médecin rappelle aussi que les buralistes sont subventionnés par l'État dans l'objectif de faire évoluer leur commerce et, par la même occasion, de faire baisser l’achat de tabac. "S'il devait y avoir une éthique, ce serait d'arrêter de vendre tous ces produits aux plus jeunes, commente Bernard Basset. Et du côté de l'État, de demander des résultats en contrepartie de ces subventions. Mais voilà, il y a une complaisance de l'appareil de l'État par rapport à ce qui est considéré comme un groupe de pression, et la santé publique est sacrifiée sur l'autel des relations de proximité entre le pouvoir et les buralistes. Finalement, cette déclaration du syndicat des buralistes sur Sniffy, ce n'était qu'une histoire de communication pour tenter de redorer leur image."
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Du côté des autorités de santé, il y avait eu également une réaction rapide. Le ministre délégué chargé de la Santé, Frédéric Valletoux, avait exprimé sa profonde inquiétude, déclarant sur France Info le samedi 25 mai : "C’est rageant, c’est rageant de voir ce genre de produit proposé à la jeunesse. C’est rageant de voir que finalement, ceux qui, sous couvert de produits et d’un discours un peu gnangnan, un peu inoffensif, un peu ‘on a le droit’, ‘ce n’est pas dangereux’, ‘c’est original’, etc., essaient d’attirer les jeunes vers le tabac, la consommation de drogue, et finalement vers la dépendance", a-t-il déclaré.
Le ministre délégué avait déploré la "course” permanente entre "presque les vendeurs de mort, même s’ils m’en voudront peut-être de l’expression, parce qu’elle est un peu radicale", et "l’appareil répressif qui est la loi, qui doit toujours courir après ceux qui ont des drôles d’idées pour nos jeunes". Il avait promis de tout mettre en œuvre pour obtenir rapidement l’interdiction du produit. C'est désormais chose faite depuis le 25 juillet, selon l'AFP.
Cependant, depuis le 5 juin 2024, devant la polémique suscitée par son produit, le fabricant de Sniffy avait arrêté de vendre sa poudre par inhalation et ne proposait plus qu'une consommation par voie orale. Rien n'empêchait évidemment les acheteurs de revenir à son premier usage.
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Une émotion à géométrie variable
Avant même l'annonce de l'arrêté, Bernard Basset était, là encore, circonspect : "Je rappelle que les puffs, apparues en France en 2020 et qui avaient elles aussi provoqué un tollé, ne sont toujours pas interdites, même si une loi en ce sens a été votée, car elle est en consultation au niveau de l'Union européenne."
Il déplore en outre l'empressement de l'État à réagir à cette poudre, mais pas à d'autres produits comme le Champomy, qui relèvent pourtant de la même stratégie marketing : mimer un produit pour adultes qui entraîne des dépendances, en donnant ainsi des habitudes de consommation aux plus jeunes : "Nous militons aussi pour l'arrêt du Champomy, pour les mêmes raisons que le Sniffy."
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Mais là, évidemment, l'État est moins présent quand il s'agit de l'addiction à l'alcool, à l'origine de 41.000 décès par an. "Il est plus difficile de voir un membre du gouvernement s'exprimer. Par exemple, le ministère de la Santé n'a pas souhaité s'associer au "Défi de janvier (Dry January)", uniquement soutenu par les associations de prévention. On se souvient aussi de la réponse d'Emmanuel Macron à sa ministre de la Santé, Agnès Buzyn : 'Moi, je bois du vin le midi et le soir', ou encore de l'épisode lors de la finale du Top 14 de rugby, où le président de la République avait bu cul sec une bouteille entière de bière Corona, montrant ainsi qu'il savait pratiquer le binge-drinking", rappelle le médecin.
"Finalement, cette affaire de Sniffy est un peu l'arbre qui cache la forêt d'une politique de prévention des addictions très tolérante vis-à-vis de certaines drogues", conclut Bernard Basset.