L’homme qui avait une main bionique

Ça y est ! La science rejoint (presque) la science-fiction. Un homme amputé de la main vient d'être équipé d'une prothèse d'un nouveau genre pour la première fois en France.

Par Tom Lanneau (Le Monde académie)

Publié le 02 mai 2014 à 12h12

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h13

Après avoir publié un long entretien avec l'écrivain de science-fiction Alain Damasio et le portrait d'une jeune femme malentendante porteuse d'un implant nouvelle génération, nous poursuivons avec ce récit notre série sur la manière dont les nouvelles technologies peuvent impacter le corps humain.

95% homme, 5% machine. Depuis quelques semaines, Fabrice Barès, photographe avignonnais de 40 ans, est un homme bionique. C’est en effet ce jour-là que ce personnage haut en couleur, au verbe fort et à la blague facile, a reçu une prothèse révolutionnaire expédiée tout droit d’Angleterre, et conçue par l’entreprise RFL Steeper. Une main modèle Bebionic3, dotée de deux capteurs myoélectriques – deux capteurs posés sur la peau, détectant les contractions musculaires et nerveuses –, qui permet aux personnes amputées de retrouver la possiblité d’interagir avec des objets.

Jusque-là, Fabrice Barès avait appris à vivre sans main droite. Depuis le 17 avril 1978, très exactement, où, alors âgé de 4 ans, il passe sous un tracteur tondeuse qui lui sectionne le membre. Durant son enfance, ses parents refusent de le placer dans un établissement spécialisé, qu’ils perçoivent comme une prison. « J’ai vécu comme tous les autres garçons ! », affirme Fabrice. A 5 ans, il a bien essayé une prothèse, mais celle-ci ne lui convient pas : « Il pouvait l’utiliser comme massue, mais à part ça elle n’avait rien de pratique. C’était même encore plus handicapant », se rappelle sa mère, Dominique Barès. La jugeant peu pratique, il l’abandonne donc et s’applique à dépasser avec pragmatisme, et même humour, son handicap.

Au début des années 90, Fabrice regarde, dubitatif, les premiers essais des prothèses électriques à la télé : « Moi qui suis fan de Star Wars, j’avais l’impression de voir un film de science-fiction ! ». Ce n’est qu’en 2013 que la SF devient réalité. Il tombe sur une vidéo dans laquelle il voit un certain Nigel Ackland, fondeur de métaux précieux amputé du bras droit à la suite d’un accident de travail, réussir à lacer ses chaussures avec la main Bebionic v2. Impressionné, Fabrice en parle à son médecin. En décembre, ce dernier l’emmène à Leeds, dans les locaux de RFL Steeper. Au cours de ce séjour, les deux hommes peuvent tester la fiabilité de la troisième génération de la prothèse. L’enjeu : vérifier sa compatibilité avec le corps de Fabrice. « Ma première impression sur la prothèse fut assez grisante », raconte-t-il aujourd’hui. Sur la vidéo tournée alors – introduite par un extrait de dialogue de Star Wars : « Use the force, Luke ! » –, on le voit essayer avec sérieux les différents gestes reproductibles par la prothèse. Sans se priver d’adresser un sourire excité à la caméra.


Christian Lopez, le médecin de Fabrice, se souvient de ce premier test : « C’était fantastique. La première fois qu’on lui a posé les électrodes sur le bras, quand les doigts de la prothèse ont bougé, j'ai vu son visage s’illuminer ! ». Mais, de retour à Avignon, Fabrice redescend sur terre : « Comment faire pour payer tout ça ? » L’ensemble du bras bionique, et sa garantie, coûtent en effet près de 35 000 euros. Contre l’avis de ses proches, le photographe décide de faire appel au financement participatif sur Internet. Il lance « Un bras pour moi », son projet de crowdfunding, le 12 décembre 2013. En deux mois, il parvient à obtenir les 30 000 euros escomptés. « Durant cette période, j’ai reçu de nombreux mails de parents d’enfant amputé. Mon aventure leur a redonné de l’espoir pour l’avenir de leurs petits, car ils voient qu’il existe une solution » L’attente avant de recevoir l’objet tant convoité est longue. Fabrice se pose des questions : « Saurais-je apprivoiser cette bizarrerie ? »

Son premier geste avec sa nouvelle main : serrer le poing. Après une semaine d'utilisation, il peut déjà faire un petit bilan et raconter ses nouvelles sensations. « C’est étonnant, mais aussi dérangeant, car retrouver une main après m’en être passé pendant trente-six ans, ça bouscule tout dans ma tête, observe-t-il. Mais ça y est, je peux effectuer des gestes qui peuvent paraître tout bête pour un valide comme saisir un paquet, prendre un verre, un stylo… tout en ayant toujours une autre main disponible ».

Les essais définitifs de la main bionique sont fixés au 17 avril 2014 (jour anniversaire de l’accident), dans une entreprise orthopédique locale. L’excitation est à son comble pour Fabrice qui s’est fait accompagner de quelques membres de sa famille. La séance se déroule sans anicroches. Juste quelques réglages mineurs à effectuer. Le prothésiste est même impressionné par la vitesse à laquelle Fabrice assimile l’objet. Ses premiers mouvements : prendre un bouchon, un tube de gel, et serrer la main des personnes qui l’accompagnent. Marion, sa compagne, s’étonne : « Ce n’est pas qu’une main, l’ajout de ce bras corrige aussi sa démarche ». Une heure après le début des essais, pris de crampes et fatigué par l’effort, Fabrice enlève la prothèse. Le médecin Christian Lopez tient à rappeler qu’il « va lui falloir un énorme travail de rééducation afin d’optimiser le fonctionnement de la machine. Il ne faut pas perdre de vue que ça fait plus de trente-cinq ans que les muscles de son bras droit n’ont pas fonctionné ».

Fabrice, qui n’en est donc qu’au début de son aventure bionique, espère que son expérience profitera à d’autres personnes, et qu’elle incitera les assurances à prendre davantage en charge l’achat de telles prothèses. Dans son cas, la sécurité sociale remboursera près de 2 000 euros.

Un concentré de technologies

Que trouve-t-on dans cette prothèse de 20 centimètres de hauteur ? Tout d’abord, des moteurs individuels situés dans chacun des doigts. Ils permettent à la personne amputée d’adopter des mouvements naturels, et de déplacer ses doigts indépendamment les uns des autres. Cette précision est accrue par des microprocesseurs qui augmentent la finesse des gestes de la main.

Un logiciel intégré permet à l’utilisateur de personnaliser elle-même de nombreux paramètres telle que la position du pouce, les gestes les plus fréquents… Et, avantage par rapport à d’autres modèles : ses capteurs ne sont pas à implantation sous-cutanée, mais simplement maintenus par un bandeau.

Révolue la période où les prothèses électriques broyaient chacun des objets touchés. Bien que la main Bebionic3 puisse supporter un poids allant jusqu’à 45 kilos, la prothèse compte quatorze modes de préhension différents. Ainsi, elle peut s’adapter automatiquement aux différentes situations grâce à ses capteurs : l’intensité de la préhension ne sera pas la même si on prend un œuf ou si l’on veut porter une chaise.

 

Article publié dans le cadre du Monde académie.

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