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L’incroyable destin des tableaux « spoliés » de la famille Javal, 2024.

2024, Le Point

Deux peintures volées à une famille juive, pour partie déportée à Auschwitz, ont été restituées à ses descendants. Ils ont choisi d’en faire don au Louvre. Par Baudouin Eschapasse Notes ajoutées en bas de page par Elisabeth Roudinesco. Sur la famille Javal et ses différentes branches, on se reportera à la page wikipédia qui lui est consacrée.

Article du Point du 4 juin 2024 sur la famille Javal. L’incroyable destin des tableaux « spoliés » de la famille Javal Deux peintures volées à une famille juive, pour partie déportée à Auschwitz, ont été restituées à ses descendants. Ils ont choisi d’en faire don au Louvre. Par Baudouin Eschapasse Notes ajoutées en bas de page par Elisabeth Roudinesco. Sur la famille Javal et ses différentes branches, on se reportera à la page wikipédia qui lui est consacrée. Cette nature morte dite « au poulet » est de Peter Binoit. Autrefois attribuée à Floris van Schooten, elle avait été volée à Mathilde Javal par les nazis, avec le soutien de l'État français, en 1944. Troublante coïncidence ! Alors que Pascal Bonitzer vient de sortir un film qui conte l'histoire d'un tableau volé pendant la Seconde Guerre mondiale qui refait mystérieusement surface dans les environs de Mulhouse, le Louvre annonce la restitution de deux peintures hollandaises confisquées à une famille juive en 1944. Ces deux œuvres, emportées en Allemagne par les nazis, font partie des 2 200 pièces étiquetées « Musées nationaux récupération » (MNR), entreposées dans les collections publiques françaises, et qui attendent toujours qu'on retrouve les familles au patrimoine desquelles ces biens ont été arrachés. On estime au total à 100 000 le nombre d'œuvres d'art confisquées à des propriétaires juifs (souvent morts en déportation) pendant la Seconde Guerre mondiale. « Mais il y en a probablement eu bien plus. Sur cet ensemble, 60 000 sont revenues en France à la Libération et 45 000 ont été restituées avant 1950 », explique David Zivie, chef de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945. Après cette date, l'État a attendu les années 1990 pour effectuer des travaux de recherche d'éventuels ayants droit. Dans le sillage d'un rapport rendu par une commission présidée par Jean Mattéoli, instituée en 1997. Et 188 tableaux supplémentaires ont été rendus aux familles de leurs propriétaires légitimes depuis cette date. Cette nature morte dite « au poulet » est de Peter Binoit. Autrefois attribuée à Floris van Schooten, elle avait été volée à Mathilde Javal par les nazis, avec le soutien de l'État français, en 1944.© DR Étiquetés MNR, les deux tableaux aujourd'hui restitués sont signés Floris van Schooten et Peter Binoit. Ces natures mortes avaient été achetées par Émile Javal, un ingénieur qui avait fait fortune en mettant au point une machine d'examen optique encore utilisée chez les ophtalmologues.1 Ces œuvres décoraient son hôtel particulier du boulevard de la 1 Médecin ophtalmologue, espérantiste et homme politique français (1839-1907), inventeur de l’ophtalmomètre et père fondateur de l'orthoptie., auteur de plusieurs livres. Père de Jeanne Javal, épouse de Paul Weiss. Six enfants naîtront de cette union : Louise Weiss, Francis Weiss, Jacques Weiss, André Weiss, Jenny Weiss (épouse Roudinesco et Aubry), France Weiss (épouse Bursaux). Cf Elisabeth Roudinesco, Généalogies, Paris, Fayard, 1994. Et Célia Bertin, Louise Weiss, Paris, Albin Michel, 1999. Tour-Maubourg, dans le 7e arrondissement de la capitale. Émile Javal les avait léguées, à sa mort en 1907, à sa fille Mathilde, elle-même décédée sans enfant en 1947. La famille Javal, originaire d'Alsace, s'était illustrée dans le monde des affaires au XIXe siècle en fondant un groupe important dans le domaine textile puis une banque. Elle avait aussi participé au développement des lignes de chemin de fer dans l'est de la France. Plusieurs de ses membres ont été décorés pour actes de bravoure lors du premier conflit mondial. Cinq enfants et petits-enfants d'Émile Javal ont été assassinés parce que juifs pendant la Seconde Guerre mondiale2. Notamment Alice Javal, sœur de Mathilde et épouse de Lazare Weiller, lui-même inventeur de nombreuses technologies dans le domaine des télécommunications. Mais aussi Adophe Javal, son frère, professeur de médecine, déporté avec sa femme et ses deux filles. Tous ont été assassinés à Auschwitz entre fin 1943 et début 1944. Devoir de mémoire « Ces gens étaient très insérés dans la société. Ils s'étaient illustrés par leur générosité en développant des travaux de recherche, dans divers domaines, et en finançant des équipements hospitaliers à destination des nécessiteux. La Shoah les a engloutis. Nous leur devons d'honorer leur mémoire », évoque François B., ancien ingénieur des ponts et chaussées aujourd'hui en retraite, petit-neveu des victimes. Comme les 48 autres membres de la famille (qui ne souhaitent pas que leur nom soit rendu public), il n'avait nullement connaissance de l'existence de ces tableaux. « Nous avons appris la chose par étapes. D'abord en 2015, quand un généalogiste missionné par le ministère de la Culture m'a contactée pour savoir si j'étais bien liée à Mathilde Javal », explique Marion B3., professeure de yoga. « Nous n'avons ensuite été recontactés qu'en 2020, lorsque la liste des ayants droit a été définitivement arrêtée », poursuit la quadragénaire, qui s'est découvert, par la même occasion, des cousins qu'elle ne connaissait pas. « Le traumatisme de la Shoah avait contribué à disloquer les liens entre les différentes branches », analyse François B., son oncle maternel. 2 Exterminés par les nazis : Alice Anna Javal, sœur aînée de Mathilde Javal, épouse Weiller, déportée à Drancy puis à Auschwitz portant le matricule 2203 par le convoi 59 le 2 septembre 1943 (elle était alors âgée de 74 ans). Elle y est décédée le 7 septembre. Louis Adolphe Javal, frère aîné de Mathilde Javal, député de l’Yonne, déporté à Drancy en fauteuil roulant, puis à Auschwitz par le convoi 74 portant matricule 19 616, le 20 mai 1944, décédé le 27 mai. Il avait 71 ans. Sa femme, Mathilde Henriette Adèle Helbronner, déportée à Drancy en même temps que sa fille Isabelle Hermance Adèle. Elles ont été déportées ensemble à Auschwitz par le convoi 69 portant respectivement matricules 15 531 et 15 532, le 7 mars 1944, décédées toutes deux le 12 mars. Mathilde avait 67 ans, Isabelle 25 ans. Sabine Marie Hermance Javal, fille d’Adolphe et Mathilde, déportée à Drancy puis à Auschwitz par le convoi 62 portant matricule 1850, le 20 novembre 1943, décédée le 23 novembre. Sabine avait 35 ans. 3 Marion Bursaux-Merel, petite-fille de France Bursaux (née Weiss), elle-même sœur de Louise Weiss et de Jenny Aubry (née Weiss), mère de Elisabeth Roudinesco. « L'enquête a pris deux ans, le temps moyen nécessaire pour que nous puissions conduire nos investigations dans ce type de dossier », expose Cédric Dolain, président de l'association Généalogistes de France que le ministère a sollicité à six reprises ces cinq dernières années dans des dossiers similaires. Exposition au Louvre Les descendants de la famille Javal ont décidé de faire don de ces deux tableaux au Louvre pour que soit perpétuée la mémoire de leurs aïeux morts en déportation. « À l'heure où l'on voit ressurgir sur les campus une terrifiante forme d'antisémitisme, il est important que soit rappelée cette tragédie pour que ce drame ne se répète pas à l'avenir », insiste François B. « Dans notre famille, le souvenir des disparus était transmis. C'est ainsi que ma sœur et moi portons les prénoms de deux enfants exterminés à Auschwitz qui étaient les enfants de notre grand-tante Alice, elle-même morte avec son mari dans les camps », complète Isabelle, qui travaille dans le tourisme. Ce panneau de Floris van Schooten a été saisi par le Dienststelle Westen, l'organisation nazie chargée du pillage des appartements, dans le cadre de l' « Action Meuble », le 19 janvier 1944 chez Mathilde Javal à Paris. © DR « C'est la première fois, à ma connaissance, qu'une famille fait don de tableaux qui lui sont restitués », pointe David Zivie. Ces œuvres, dont la valeur marchande n'a pas été communiquée, feront l'objet d'une exposition au deuxième étage de l'aile Richelieu du musée du Louvre jusqu'au 6 janvier 2025. « La donation qui nous est faite engage notre institution. C'est à la fois un appel à ne jamais oublier, un engagement à transmettre cette mémoire et un constant appel à l'action », évoque Laurence des Cars, présidente de l'établissement public. « Notre musée aura à cœur de présenter ces tableaux avec un cartel rappelant leur provenance et l'histoire de la famille qui les avait acquis », indique Sébastien Allard, directeur du département des peintures du Louvre. « Ces tableaux sont, aux yeux de toute la famille, un moyen pour que soit mieux connue la tragédie de la déportation », estime Isabelle. Pour Marion B., c'est l'aboutissement d'un long travail de réappropriation d'une histoire familiale douloureuse. Celle-ci a longtemps été tue. « Nos grands-parents parlaient peu du passé », émet-elle. Bien que catholique, elle a contacté le rabbin Olivier Kaufmann pour qu'une prière soit dite au nom des disparus4 . En charge de la synagogue des déportés, installée depuis la Libération place des Vosges à Paris, le rabbin a immédiatement répondu à son appel. En septembre prochain, une cérémonie sera organisée dans l'intimité de la famille pour que soient rappelés les noms d'Alice, Adolphe, Mathilde (née Helbronner), Sabine et Isabelle Javal. Photo des descendants devant la pyramide du Louvre (DR), 4 juin 2024 4 25 septembre 2024, cimetière du père Lachaise, 15h devant le tombeau de la famille Javal. Table ronde à l’auditorium du Louvre, le 14 octobre de 12h30-13h30.