(Ottawa) Si l’été a permis aux policiers kényans et haïtiens de reprendre le contrôle de certaines infrastructures, comme l’aéroport, le chemin à parcourir reste considérable en Haïti. La situation est notamment critique dans les camps de réfugiés, où les violences sexuelles ont enregistré une hausse alarmante, selon l’ONU.

Lors d’un récent déplacement dans l’île des Caraïbes, l’ambassadeur du Canada auprès des Nations unies, Bob Rae, a constaté que la situation sécuritaire s’était améliorée. « Il y a des progrès à Port-au-Prince, dit-il. Les marchés sont tous ouverts, les gens sont dans les rues dans certaines parties de la ville. »

« Des hôpitaux qui étaient fermés ont rouvert, le principal port de la capitale a rouvert. L’aéroport aussi a complètement rouvert ; il y a des vols commerciaux entre Haïti et les États-Unis », fait valoir le diplomate au cours d’une entrevue téléphonique à son retour de mission.

PHOTO ODELYN JOSEPH, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des policiers montent la garde près de l’aéroport de Port-au-Prince, le 5 septembre.

Il y a cependant encore loin de la coupe aux lèvres, lâche-t-il du même souffle. « La ville de Port-au-Prince est toujours dominée par les gangs. Les gangs n’ont pas disparu », expose Bob Rae, qui effectuait son premier voyage à titre de président du Conseil économique et social de l’ONU.

Les membres de ces groupes criminels qui gangrènent le pays continuent à semer la terreur dans plusieurs secteurs de la capitale, mais aussi dans les camps de personnes déplacées, a alerté récemment le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA)1.

« Entre mars et mai 2024, le nombre de cas de violences sexuelles et liées au genre enregistrés par l’UNFPA et ses partenaires a augmenté de plus de 40 %, mais ces cas déclarés sont seulement une petite partie du total », lit-on dans un communiqué cité par l’Agence France-Presse.

« Ce sont des conditions très, très difficiles. La violence contre les femmes est un aspect terrible de la vie en Haïti », lâche Bob Rae.

Les gangs et leurs tentacules

Et même si les policiers du Kenya ont élaboré, de concert avec la Police nationale d’Haïti, une approche « très précise » pour stabiliser la situation sécuritaire au pays, il n’y a rien de simple dans le plan d’éradication des groupes criminels qui sévissent en Haïti, dit l’ambassadeur Rae.

Heureusement, on saisit de mieux en mieux leurs rouages, plaide-t-il.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

L’ambassadeur du Canada auprès des Nations unies, Bob Rae

Les fondateurs des gangs, ceux qui les financent, ils n’habitent même pas Haïti ! Ils ont quitté le pays il y a longtemps. Ils sont partout dans la région caribéenne. C’est tout un système criminel, très sophistiqué.

Bob Rae, ambassadeur du Canada auprès des Nations unies

Un système dont les ficelles sont tirées par des personnalités politiques puissantes.

Des gens comme l’ancien président haïtien Michel Martelly⁠2, qui a été sanctionné le 20 août dernier par les États-Unis pour avoir « abusé de son influence pour faciliter le trafic de drogue et parrainé plusieurs gangs basés en Haïti », selon un communiqué du département d’État américain⁠3.

Le Canada, qui a sanctionné Michel Martelly dès novembre 2022, s’en est réjoui.

« Collectivement, nous devons lutter contre la corruption et tenir responsables ceux qui terrorisent le pays et le peuple haïtien. Il est essentiel que nous fassions pression sur les individus responsables pour qu’ils mettent fin à leur violence insensée », a réagi sur X la ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly.

PHOTO CLARENS SIFFROY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Enfants dans un camp pour déplacés, à Port-au-Prince, en août dernier

À l’enjeu du financement s’ajoute celui de la composition des gangs, soulève Bob Rae.

« Il y aura tout un travail à faire dans le système de justice. Mais il faut comprendre une chose : la majorité des membres des gangs, ce sont des jeunes âgés de 10 ans à 18 ans qui sont recrutés par des gangs, explique-t-il. Alors il y a tout un travail social à faire : on ne mettra pas les jeunes dans des prisons. »

Vers une présidentielle… en 2026

En toile de fond de ces chantiers : la tenue d’une élection présidentielle dans un pays où la dernière remonte à 2016.

Le conseil présidentiel de transition doit nommer au cours des prochains jours le comité consultatif sur l’élection présidentielle.

Celle-ci devrait normalement avoir lieu au début de l’année 2026, selon Bob Rae, qui exprime une grande confiance à l’égard de Garry Conille, premier ministre par intérim d’Haïti depuis juin 2024.

Le dirigeant intérimaire doit se rendre au siège des Nations unies à New York dans le cadre de la semaine de haut niveau s’ouvrant le 23 septembre, à laquelle participent des chefs de gouvernement et d’État du monde.

Il devrait participer à une rencontre avec le premier ministre Justin Trudeau.

Washington évoque une opération de paix onusienne

PHOTO ROBERTO SCHMIDT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, à son arrivée à Port-au-Prince le 5 septembre

Alors que la mission multinationale dirigée par le Kenya tarde à se déployer avec l’ampleur voulue en Haïti, les États-Unis voudraient que l’ONU examine une transformation de cette force de sécurité en opération de maintien de la paix onusienne, selon l’Agence France-Presse (AFP). La création d’une telle mission devrait cependant être entérinée par le Conseil de sécurité de l’ONU, ce qui est peu probable, selon des experts. Car les Haïtiens ont en mémoire la dernière présence de troupes de l’ONU au pays, qui a été entachée par l’introduction de cas de choléra et la perpétration d’agressions sexuelles. De passage sur le sol haïtien il y a quelques jours, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a préféré discuter d’aide humanitaire et de gouvernance. « La sécurité est la base de tout ce qui va arriver ensuite, y compris la préparation des élections de l’année prochaine », a-t-il affirmé.

Mélanie Marquis, La Presse, avec l’Agence France-Presse

1. Consultez le rapport de l’UNFPA 2. Lisez « Ces politiciens et acteurs financiers qui supportent les gangs en Haïti, selon des experts de l’ONU » 3. Consultez le communiqué du département d’État américain (en anglais)