Luc Hermann: «Aux Etats-Unis il y a 4,6 communicants pour 1 journaliste, c’est terrifiant»

Luc Hermann: «Aux Etats-Unis il y a 4,6 communicants pour 1 journaliste, c’est terrifiant»

TELEVISION – France 5 diffuse mardi soir une enquête minutieuse sur le travail des grandes agences de communication et leurs rapports aux journalistes…
Illustration: un groupe de journalistes au travail.
Illustration: un groupe de journalistes au travail. - ISOPIX/SIPA
Propos recueillis par Alice Coffin

Propos recueillis par Alice Coffin

Pas toujours tendre pour les journalistes, instructifs sur les communicants. Le documentaire de Luc Hermann, Gilles Boyon et Jules Giraudat produit par Premieres Lignes décrypte à 20h40 mardi sur France 5 le «Jeu d’influences» des «Stratèges de la communication». Stéphane Attal, conseiller de Castorama et Leroy Merlin, y explique par exemple que c’est sa société qui a créé le slogan des «Bricoleurs du dimanche» et comment il a utilisé les médias pour faire évoluer le droit du travail. Il lance «les journalistes n’ont qu’à mieux faire leur métier et travailler un petit peu plus».

Dans une des autres affaires décortiquées, le cas Jérôme Cahuzac, les journalistes sont directement l’objet d’une campagne de «déstabilisation massive» menée par des communicants contre Mediapart. Une communication qui sera efficace pendant des mois. Sont détaillées aussi les communications de Nicolas Sarkozy et François Hollande, d’Hervé Gaymard et Christian Estrosi, d’Arnaud Lagardère et Richard Gasquet. Luc Hermann explique à 20 Minutes comment il a mené son enquête.

De nombreux communicants témoignent face caméra. Ils n’ont pourtant pas tellement intérêt à dévoiler leurs méthodes, si?
Seuls Anne Méaux et Michel Calzaroni ont refusé. Aucun ne m’a demandé à revoir ou relire ses interventions. De toute façon j’aurais refusé. J’en connaissais quelques uns pour avoir mené des bras de fer avec eux lorsque je travaillais à «90 minutes» pour Canal +. L’amusant c’est que certains ont même témoigné avec une pointe d’arrogance, pour se féliciter d’avoir fait plier le gouvernement concernant les radars mobiles dans le cas la défense de Coyote, ou d’avoir sauvé la peau de Richard Gasquet.

C’est spécial d’interviewer des gens dont le métier est… de préparer les interviews?

Ils sont très forts et très en contrôle. Souvent ils tutoient. J’ai appliqué les techniques anglo saxonnes. C'est à dire préparer longuement et en amont les interviews. Par exemple avant d’aller interviewer Laurent Obadia, je savais déjà qu’il était intervenu auprès du Canard Enchaîné pour les faire douter sur l’enquête menée par Mediapart sur Jérôme Cahuzac.

De manière générale, ce documentaire met en cause le travail des médias. Qu’en pensez-vous ?

Pour moi face à la puissance des communicants, le travail des journalistes pèche par trois aspects. D’abord la nécessité d’alimenter tout le temps leur site internet. Du coup si une petite info bien packagée est lancée elle va être reprise. Ensuite, la capillarité qui fait que tout le monde reprend tout le monde. Les communicants savent qu’une interview bien ciblée sera partout. Et puis le dernier point c’est que les journalistes n’ont pas le temps d’enquêter. C’est une erreur majeure des médias français de couper dans les budgets enquêtes.

Pour vous les communicants ont gagné ?
Il y a un chiffre terrifiant. Aux Etats-Unis il y a 4,6 communicants pour 1 journaliste. C’est un chiffre qui émane du ministère du travail. En France on n’en dispose pas. Mais avec des chiffres pareils, oui, la bataille est perdue d’avance.

Vous laissez le mot de la fin à Stéphane Fouks qui explique qu’il est «sain qu’il y ait de l’autre côté de la barrière des gens qui ne sont pas journalistes et tentent d’équilibrer» les choses…

Je n’ai rien contre les communicants. Les politiques ont besoin de communicants. On peut tous constater que la communication de l’Elysée est un échec absolu alors que chez Manuel Valls tout est très bien huilé. Mais dans le cas de Stéphane Fouks, il y a des gens qui passent par les ministères puis reviennent bosser chez Havas, cela pose des questions de conflits d’intérêt. Fouks assume pleinement ce pur mercantilisme. Il répond de manière très directe en expliquant qu'il travaille pour préserver les intérêts de ses clients, point.