Après des années de négociation politique et de tricotage juridique, les ministres de l'Economie et des Finances de l'UE ont adopter ce mardi les grandes lignes de la taxe sur les transactions financières (TTF). Un dossier sensible dont les positions ont varié ces derniers mois et qui verra finalement le jour en 2016. "Nous nous sommes mis d'accord sur le fait que cela devait être une approche par étapes, en commençant par les actions et certains dérivés", a détaillé le ministre autrichien des Finances, Michael Spindelegger, au cours d'une réunion avec ses homologues des 28.

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Alors que la France demandait il y a un an d'aller "plus vite, plus fort (...) aussi sur certaines transactions dérivées parce que c'est là où se niche la spéculation", le ministre de l'Economie et des Finances de l'époque, Pierre Moscovici a subitement rétropédalé à l'été 2013, en dénonçant la "proposition excessive" de la Commission. Il reprenait en cela les critiques du gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, qui demandait que la future taxe conçue par Bruxelles soit revue car elle faisait planer "un énorme risque" sur les pays qui l'appliqueraient.

Face au lobbying efficace du secteur bancaire, les ONG comme Oxfam dénoncent "une taxe en trompe l'oeil". Et c'est donc une version sacrément édulcorée de la TTF qui devrait voir le jour. De même, la qualifier de "Taxe Tobin européenne", est certes parlant... mais très exagéré. Ce qui n'a pas empêché le nouveau ministre des Finances, Michel Sapin, de saluer "une double ambition, de calendrier et de contenu". Explications.

Tous les pays de l'UE ne participent pas

Dans un premier temps, seuls onze Etats membres de l'UE y participeront. Face notamment à l'opposition historique de la Grande-Bretagne, une avant-garde s'est constituée en 2012 via un "accord de coopération renforcée": Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Estonie, France, Grèce, Italie, Portugal, Slovaquie et Slovénie... Autant de pays où il y aura bien "la mise en oeuvre d'une taxe sur les transactions financières" dès cette année, a confirmé Michel Sapin, le ministre des Finances, la semaine dernière.

L'UE avance donc en ordre dispersé. Après avoir tenté de faire imploser le projet de l'intérieur, le Royaume-Uni s'est lancé dans grande une bataille juridique pour le stopper de l'extérieur en affirmant que la TFF porterait préjudice à la City. Mais la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), a décidé, le 30 avril, de rejeter le recours du gouvernement britannique. Les Britanniques pourraient faire appel mais ce revers rend possible l'adoption du projet par le conseil des ministres de l'UE.

Tout n'est pas clair sur le "principe de résidence"

Quand bien même les pays adoptent la taxe, les opérateurs domiciliés dans ces pays chercheront à l'optimiser. C'est la question du "principe de résidence" qui fait débat. L'idée de la TTF est donc de taxer les transactions passées par des institutions financières domiciliées dans les onze pays. Ainsi, la taxe s'impose quel que soit le lieu où la transaction est réalisée dès lors que l'acheteur ou le vendeur est basé dans l'un des pays qui l'ont adoptée.

Le risque théorique est donc de voir une banque française par exemple, tenter d'éviter de payer la taxe en déplaçant son siège social dans un autre centre d'affaires n'appliquant pas la TTF (comme Londres ou Luxembourg...) et ainsi cesser ses transactions avec sa place financière d'origine. Pour contrer cet effet pervers, un "principe d'émission" doit garantir que les établissements ne vendent à l'étranger un produit direct lié avec l'un des 11 pays.

Selon certains observateurs, la TTF pourrait mettre à mal des capitales économiques comme Paris "déjà moribonde (...) avec cette taxe c'est son avis de décès qu'on prépare" remarquait ce matin François Vidal des Echos. C'est pourquoi les lignes sont si mouvantes.

Tous les produits financiers ne seront pas taxés

En principe, le projet porté par la Commission, est censé rapporter 34 milliards d'euros par an dans les 11 pays signataires. Mais cette estimation concerne une taxe qui s'appliquerait aux actions et aux obligations - à hauteur de 0,1% par transaction - et aux produits dérivés - à hauteur de 0,01%. Problème, le secteur bancaire, notamment français, est vent debout contre toute taxation des produits dérivés, très lucratifs, et dont les échanges représentent 85% des transactions financières. Résultat, les négociations vont se poursuivre sur les modalités qui leur seront appliquées. En attendant, le projet va commencer en s'appliquant aux seuls marchés actions. Ce qui ne rapportera que de 4,6 milliards d'euros, selon les prévisions.

"Je pense qu'il faut travailler d'ici la fin de l'année à une deuxième étape", a reconnu Michel Sapin mercredi dernier, faisant principalement référence à ces produits financiers. Mais certains observateurs sont beaucoup plus pessimistes. L'ancien ministre et eurodéputé, Pascal Canfin, interviewé dans le JDD, craint ainsi ouvertement "un enterrement de première classe".

L'affectation des fonds n'est pas encore décidée

C'est encore le grand point d'interrogation. Prélevée dans chaque pays, le produit de la taxe peut "servir au financement d'un certain nombre de grands travaux européens (ou) servir au financement et à l'appui du développement d'un certain nombre de pays", a affirmé Michel Sapin. C'est donc le grand écart entre les positions historiques d'Attac ou des certaines ONG (comme Coalition PLUS qui demandait un fléchage de cette taxe pour la lutte contre le sida) et le besoin de financement des pays européens. A l'origine, la taxe sur les transactions financières était conçue comme un moyen de financer des programmes de développement dans les pays émergents. Mais elle semble avoir été recentrée sur l'Europe, voire comme un moyen d'abonder le fonds européen de stabilité financière comme le demandait le nouveau secrétaire général de l'Elysée, Jean-Pierre Joyet. Mais à trois semaines des élections européennes, le sujet revêt désormais un caractère hautement symbolique.

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