L'histoire des droits des femmes en Afghanistan, avec ses périodes d'avancée et de recul, est en miroir des évolutions du pays. Des réformes des années 1960 à l'invasion soviétique en 1979, sans oublier l'intervention américaine de 2001, la condition des femmes est sans cesse invoquée.
- Gilles Dorronsoro, professeur de science politique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste des conflits contemporains
- Carol Mann, chercheure en sociologie, directrice des associations "FemAid" et "Women in War"
- Fakhera Moussavi, docteure en science politique, spécialiste des droits des femmes en Afghanistan, présidente de la faculté de droit et de science politique pour les femmes afghanes en ligne
1972, des femmes en jupe, cheveux dehors, circulent librement dans les rues de Kaboul. Ces images ont ressurgi après la prise de la capitale par les talibans en 2021 et alertent sur les conséquences du retour des fondamentalistes religieux au pouvoir. En effet, les talibans rétablissent leur Émirat islamique et l'application stricte des lois coraniques. Les effets sont mortifères, en particulier pour les femmes. À cet égard, l'ONU parle d'apartheid de genre, une disparition programmée des femmes, qui touche à son paroxysme avec l'interdiction de faire entendre le son même de leur voix.
Comme tout document historique, ces photographies de 1972 demandent à être replacées dans leur contexte et examinées avec une profondeur historique. Comment la condition des femmes a-t-elle évolué en Afghanistan ? En quoi les disparités sociales et régionales sont-elles essentielles pour comprendre cette histoire ?
Premières réformes "modernisatrices"
Dès le début du 20e siècle, le roi Amanullah entreprend de moderniser et de libéraliser le pays, dans le sillage du modèle turc. Sous l'influence de sa femme, la reine Soraya Tarzi, il passe des réformes en faveur des femmes et porte un intérêt particulier sur leur accès à l'éducation. Ce courant dit "modernisateur" est renversé en 1929 et laisse place à un régime religieux.
Trois décennies plus tard, le roi Mohammad Zaher Shah lance un plan de modernisation qui comprend une série d'avancées des droits des femmes et leur donne notamment accès à l'université. Fakhera Moussavi, docteure en science politique, soulève à ce titre que l'ouverture de la condition des femmes afghanes passe essentiellement par les milieux intellectuels et étudiants : "Leurs lectures viennent d'Iran, du parti Tudeh et des communistes iraniens, qui publient beaucoup sur la liberté des femmes et les idées marxistes. [Ces idées] leur viennent aussi de l'Union soviétique. Certains vont faire leurs études à Moscou."
Toutefois, ces réformes peinent à pénétrer les milieux ruraux, encore fortement empreints de l'ordre traditionnel patriarcal. Les photographies de femmes habillées "à l'occidental" font dès lors figure d'exception. "Il ne faut pas imaginer pour autant que leur vie était totalement libre", fait remarquer la chercheuse Carol Mann, spécialiste de l'Afghanistan. "Il est probable que le mariage de ces jeunes filles était arrangé."
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De la révolution communiste à la guerre
En 1973, Mohammed Daoud Khan, le cousin du roi, mène un coup d'État à son encontre, avec le soutien de l'URSS. En 1978, Daoud Khan est à son tour renversé. C'est la révolution de Saur. Les communistes instaurent la République démocratique d'Afghanistan et répriment violemment leurs opposants. Alors que les émeutes et les protestations se multiplient, l'Union soviétique envoie ses troupes à Kaboul pour restaurer l'ordre. Ce qui devait être une offensive éclair devient une guerre longue de dix ans.
Sous l'État communiste, de nombreuses femmes accèdent à des fonctions politiques, à l'instar d'Anahita Ratebzad, figure éminente du Parti Démocratique du Peuple Afghan. "L'État essaye aussi d'investir les milieux ruraux, mais [sans succès] parce que la résistance y est très forte", note Fakhera Moussavi. "On voit beaucoup de femmes adhérer aux partis islamistes et s'opposer à l'État communiste. L'État ne pouvait pas rentrer dans ces milieux." Ainsi, les moudjahidines appuient leur résistance sur le soutien logistique des femmes, qui acheminent les armes et les vivres.
Depuis le Pakistan voisin, l'association RAWA apporte son soutien aux veuves et aux enfants des camps de réfugiés. Fondée en 1977 par la militante Meena Keshwar Kamal, l'association œuvre clandestinement pendant la guerre, en opposition aux partis islamistes, qui gèrent les camps de réfugiés, et à l'occupation soviétique. "[RAWA] a cherché à construire l'idée d'une nation afghane", explique Carol Mann. Dans ces mêmes camps, les fondamentalistes religieux fondent des écoles coraniques, les madrasas, véritables viviers de jeunes recrues, et tracent les contours de leur doctrine d'effacement des femmes.
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Gilles Dorronsoro est professeur de science politique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste de l’Afghanistan et de la Turquie.
Il a notamment publié :
- Le Gouvernement transnational de l'Afghanistan : une si prévisible défaite, Karthala, 2021
- La Révolution afghane : des communistes aux tâlebân, Karthala, 2000
Carol Mann est chercheuse en sociologie, spécialisée dans la problématique du genre et du conflit armé. Elle est présidente de l’association FemAid, qui organise des cours clandestins pour les filles afghanes.
Elle a notamment publié :
- De la burqa afghane à la hijabista mondialisée : une brève sociologie du voile afghan et ses incarnations dans le monde contemporain, L'Harmattan, 2017
- Femmes afghanes en guerre, éditions du Croquant, 2010
Fakhera Moussavi est docteure en science politique de l'Université Lyon II, spécialiste des droits des femmes en Afghanistan.
Elle est présidente de la faculté de droit et science politique pour les femmes afghanes en ligne.
Elle a publié :
- Des hirondelles en cage. Le rôle des migrations et de l'éducation dans la mobilisation et les combats des femmes afghanes, Éditions universitaires européennes, 2022
Références sonores
- Archive du Magazine des femmes, RTF, 30 avril 1973
- Archive d'Aziza Aziz, présidente du Mouvement des femmes, TF1, 15 novembre 1979
- Lecture par Jeanne Delecroix d'un extrait de "Je ne reviendrai jamais", poème de Meena Keshwar Kamal, écrit vers 1977
- Archive d'Hassina Youssof, Aujourd'hui madame, A2, 11 décembre 1980
- Archive sur la femme politique afghane Anahita Ratebzad, Le nouveau vendredi, FR3, 30 juillet 1982
- Générique : "Gendèr" par Makoto San, 2020
L'équipe
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- Raphaël LaloumCollaboration
- Chloé RouillonCollaboration
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