"L'Église considère encore trop souvent la pédophilie comme un péché, et non comme un crime"
Ce vendredi, quinze de ces victimes pourront s'entretenir une heure avec le pape François dans le cadre de sa visite en Belgique.

- Publié le 24-09-2024 à 06h34
- Mis à jour le 24-09-2024 à 08h49

Vendredi soir à Bruxelles, dans un lieu tenu secret par souci de discrétion, quinze victimes d'abus sexuels commis au sein de l'Église s'entretiendront une heure avec le pape François. Ces quinze personnes (des hommes et des femmes, des néerlandophones et des francophones) lui parleront au nom de plus de 80 victimes qui s'étaient manifestées cet été auprès de l'Église en Belgique pour participer à cette rencontre. Cependant, pour "permettre un climat d'écoute et d'échange authentique", ce groupe fut restreint à la demande du Vatican. L'Église s'est alors efforcée que les quinze noms soient représentatifs de l'ensemble, explique-t-elle. Néanmoins, si les victimes contactées par La Libre se disent satisfaites de l'ouverture avec laquelle l'Église a organisé cette entrevue, elles regrettent que la transparence ne fut pas totale concernant le choix de ces noms. C'est le cas de Joël Devillet, 51 ans, abusé alors qu'il était adolescent, enfant de chœur dans sa paroisse à Aubange qui n'aura pas la possibilité de rencontrer le Pape durant cette heure dédiée. Notons qu'il sera reçu au Palais royal, avec d'autres victimes d'abus sexuels et d'adoptions forcées, vendredi matin, quand le Pape y sera.
Les compensations financières
Quoi qu'il en soit, sur la base des textes envoyés par les 80 victimes et à la suite de deux réunions en "présentiel", ces victimes se sont accordées pour livrer au Pape un discours cohérent et représentatif du ressenti commun. Globalement, résume François Braem – un des quinze -, les victimes espèrent que le Pape et l'Église joignent le geste à la parole. En ce sens, leur attente est d'abord symbolique : que François reconnaisse pleinement les victimes et les blessures qui abîment leur vie, qu'il ait un mot public pour elles – lors de la messe le dimanche matin au Stade Roi Baudouin par exemple – et qu'il envisage un mémorial aux victimes, à Rome. Mais les victimes souhaitent aussi que l'Église avance concrètement dans la réflexion sur de nombreux points canoniques, financiers ou légaux. Ces chantiers de réflexion sont l'accès aux archives de l'Église, l'avenir du secret de la confession, la formation des séminaristes, l'ajustement du droit canonique propre à l'Église sur le droit des États, ou – chantier ample et délicat – les compensations financières accordées aux victimes. "Aujourd'hui en Belgique, les personnes ayant été abusées reçoivent un forfait qui s'échelonne entre 2 500 et 25 000 euros, précise François Braem, abusé lui aussi durant son adolescence. Il serait raisonnable que ces montants soient au moins doublés, et que l'Église ne se contente pas d'un montant, mais rembourse aussi les soins psychologiques ou médicaux nécessaires."
"Le problème, c'est que l'Église demeure dans l'hypocrisie, ajoute, critique, Joël Devillet. La tolérance zéro n'y a jamais existé. L'Église considère encore trop souvent la pédophilie comme un péché, et non comme un crime." Avancer sur de tels points est le minimum pour que cela change, laisse-t-il entendre.
Un plan d'action
Croire qu'en Belgique le dossier des abus est clos est donc une erreur, insistent les victimes. De nombreuses questions canoniques, théologiques, pastorales et légales restent ouvertes. D'où l'importance de cette rencontre avec le pape François, pour qu'elles ne soient pas oubliées. "Cette rencontre ne sera donc qu'un point d'étape, pas un aboutissement", insiste François Braem.
À cet égard, la Conférence des Évêques de Belgique travaille actuellement à un plan d'action adapté aux recommandations des deux commissions parlementaires qui se sont tenues l'an dernier (une en Flandre, une au Fédéral) à propos des abus commis au sein de l'Église. Ce plan d'action s'appuiera sur ces recommandations, une recherche en cours menée par la KULeuven et sur un dialogue avec les victimes. "Pour l'instant, on ne sait pas encore exactement la forme que prendra ce dialogue avec nous, mais on l'espère tous, ajoute François Braem, qui conclut : si l'Église accomplit ce travail avec justesse et persévérance, je pense qu'elle pourra aider d'autres institutions (les clubs de sport, la protection de la jeunesse…) à avancer dans la protection des victimes et des futures victimes. En ce sens, l'Église pourrait transformer un mal en un bien. C'est ce que j'aurai à cœur de rappeler au pape François."