Alors que les talibans commencent à appliquer de nouvelles règles draconiennes sur les femmes en Afghanistan, ils commencent à viser un groupe qui n’a pas vu venir les restrictions sévères qu’on lui impose : les hommes.

Depuis que les talibans ont pris le pouvoir il y a trois ans en Afghanistan, les femmes subissent un assaut de règles sévères qui limitent leurs libertés personnelles et leurs choix vestimentaires. Dans les zones urbaines, les hommes pouvaient, pour la plupart, continuer à vivre librement. Les quatre dernières semaines ont toutefois amené des changements considérables pour eux aussi.

De nouvelles lois promulguées à la fin du mois d’août imposent aux hommes de porter une barbe longue comme le poing, leur interdisent d’imiter les non-musulmans dans leur apparence ou leur comportement (ce qui a été largement interprété comme une interdiction du port des jeans), et bannissent les coupes de cheveux contraires à la loi islamique, c’est-à-dire essentiellement les coupes courtes ou occidentales.

On interdit également aux hommes de regarder des femmes autres que leurs épouses ou leurs proches.

Résultat : les hommes sont de plus en plus nombreux à porter des tapis de prière, se laisser pousser la barbe, et laisser leurs jeans à la maison.

Ces premières restrictions importantes imposées aux hommes ont surpris de nombreux Afghans, qu’il s’agisse d’opposants aux talibans, de partisans hésitants ou même de membres du régime taliban, lesquels se sont exprimés lors d’entretiens téléphoniques au cours des deux dernières semaines.

Dans une société où la voix d’un homme est souvent perçue comme beaucoup plus puissante que celle d’une femme, certains hommes se demandent aujourd’hui s’ils n’auraient pas dû prendre la parole plus tôt pour défendre les libertés de leurs femmes et de leurs filles.

Les officiers de la moralité

« Si les hommes avaient élevé la voix, la situation serait peut-être différente aujourd’hui », déclare un habitant de Kaboul qui, comme d’autres personnes interrogées pour cet article, s’est exprimé sous le couvert de l’anonymat ou qui a demandé que seuls ses prénoms soient utilisés, par crainte d’attirer l’attention du régime.

« Maintenant, tout le monde se laisse pousser la barbe parce que nous ne voulons pas être interrogés, humiliés », indique-t-il.

Les nouvelles règles des talibans concernant les hommes pâlissent en comparaison des restrictions imposées aux filles et aux femmes, qui n’ont toujours pas le droit d’aller à l’école après la sixième année, qui n’ont pas le droit d’aller à l’université et qui ont récemment été interdites d’élever la voix en public, parmi plusieurs autres règles.

PHOTO WAKIL KOHSAR, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des membres de la sécurité talibane célèbrent dans les rues de Kaboul le troisième anniversaire de la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, le 14 août dernier.

Selon des habitants, les nouveaux officiers de moralité religieuse, connus pour leurs robes blanches, frappent depuis quatre semaines, dans certains quartiers de Kaboul, à la porte des hommes qui n’ont pas récemment fréquenté la mosquée. Les fonctionnaires ont déclaré qu’ils craignaient d’être licenciés parce qu’ils n’avaient pas laissé pousser leur barbe, et certains barbiers refusent désormais de les tailler.

De plus en plus souvent, les chauffeurs de taxi sont arrêtés pour avoir enfreint les règles de ségrégation entre les sexes, pour avoir fait monter des femmes non accompagnées dans leur voiture ou pour avoir fait jouer des chansons.

Contraints à la soumission

Les nouvelles lois donnent à la police des mœurs le pouvoir de détenir des suspects pendant une période pouvant aller jusqu’à trois jours. Dans les cas les plus graves, comme l’omission répétée de prier à la mosquée, les suspects peuvent être traduits devant les tribunaux pour être jugés et condamnés sur la base de leur interprétation de la charia.

Les infractions aux nouvelles règles devraient être sanctionnées par des amendes ou des peines de prison. Toutefois, les personnes reconnues coupables de certaines infractions, comme l’adultère, pourraient être condamnées à la flagellation ou à la mort par lapidation.

Amir, habitant de l’est de l’Afghanistan, indique qu’il soutenait les talibans jusqu’aux dernières restrictions. Mais il a désormais l’impression d’être contraint à la soumission par leur police des mœurs.

Nous sommes tous des musulmans pratiquants et nous savons ce qui est obligatoire ou non. Mais il est inacceptable d’utiliser la force contre nous.

Amir, habitant de l’est de l’Afghanistan

Et Amir d’ajouter : « Même les personnes qui ont soutenu les talibans essaient maintenant de quitter le pays. »

La plupart des hommes interrogés pour cet article vivent à Kaboul, la ville la plus cosmopolite du pays, ou dans d’autres zones urbaines. Les habitants des régions plus conservatrices et traditionnelles de l’Afghanistan disent qu’ils n’avaient pratiquement pas remarqué de changements.

Un habitant de Helmand, une région rurale située dans le sud de l’Afghanistan, affirme que personne dans son village ne s’inquiète et que de telles règles y sont coutumières depuis longtemps. « Jusqu’à présent, aucune police de la moralité ne s’est manifestée ici. Elle se concentre sur les villes », commente-t-il.

Une réalité urbaine

Les nouvelles restrictions semblent refléter un changement plus large dans l’équilibre du pouvoir au sein des talibans, les éléments les plus conservateurs gagnant en influence ou cherchant à s’affirmer plus agressivement dans les zones urbaines, selon des responsables occidentaux et des critiques afghans des talibans.

Le ministère du Vice et de la Vertu, qui dirige la police des mœurs, n’a pu être joint. Un ancien haut fonctionnaire du Ministère nie que celui-ci se transforme de plus en plus en une agence fantôme chargée de l’application de la loi. Selon lui, sa principale responsabilité reste la prédication.

PHOTO WAKIL KOHSAR, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Femmes afghanes vêtues d’une burqa marchant dans un marché de Kandahar, en août dernier

Il s’est exprimé sous le couvert de l’anonymat, car il n’est plus autorisé à répondre aux journalistes.

Les nouvelles restrictions imposées aux femmes comprennent l’interdiction d’élever la voix, de réciter le Coran en public et de regarder des hommes autres que leur mari ou des membres de leur famille. Les femmes doivent également se couvrir la moitié inférieure du visage, en plus du couvre-chef qu’elles doivent déjà porter.

La répression par la police des mœurs dans les zones urbaines, où certaines règles religieuses sont rarement appliquées, a accru l’anxiété des femmes. Pour les hommes, c’est un choc.

Un chauffeur de Kaboul, âgé de 36 ans, signale que les nouvelles restrictions lui paraissent « énormes » et qu’elles représentent une difficulté croissante pour son travail. Ses revenus ont diminué de 70 % depuis la fin du mois d’août, en partie parce que les talibans ont commencé à appliquer une règle interdisant aux femmes de voyager seules dans les taxis.

« Les hommes se sont tus dès le premier jour »

Même dans certains bureaux gouvernementaux, un nouveau sentiment d’effroi s’est installé. Un ancien partisan des talibans rappelle qu’un ami, qui travaille toujours pour le régime, s’est récemment vu retirer son salaire parce que sa barbe n’était pas assez longue.

« Nous avons appris que certains fonctionnaires, dont la barbe était plus courte que la longueur requise, se sont vu interdire l’accès à leur service », déclare un employé du gouvernement, sous le couvert de l’anonymat, puisqu’il n’est pas autorisé à parler aux journalistes.

Au cours des trois dernières années, les Afghanes se sont souvent senties seules dans leur angoisse. Certaines ont été exaspérées par le silence de leur mari ou par le soutien croissant apporté aux talibans, qui ont tenté de gagner les faveurs du public en construisant des routes ou encore en réparant des tunnels.

Plusieurs femmes ont déclaré qu’elles espéraient que les hommes de l’Afghanistan se joindraient bientôt à leurs protestations. « Les hommes se sont tus dès le premier jour, ce qui a donné aux talibans le courage de continuer à imposer de telles règles », observe une habitante de Kaboul âgée de 24 ans.

« Aujourd’hui, les talibans perdent enfin le soutien des hommes », ajoute-t-elle.

D’autres doutent que la critique des règles puisse faire la différence. Lors d’entretiens, plusieurs habitants de Kaboul ont déclaré qu’ils avaient commencé, ces dernières semaines, à envisager plus sérieusement de quitter le pays.

« Mais si de plus en plus de jeunes fuient ce pays, il n’y aura plus d’espoir du tout », indique un habitant de Kaboul.

Cet article a été publié à l’origine dans le Washington Post.

Lisez l’article original (en anglais)