Cette start-up aide les couples riches à trier leurs embryons pour avoir des enfants intelligents
Grâce à un système de « notation génétique », la start-up américaine Heliospect Genomics propose à des couples recourant à la fécondation in vitro de classer leurs embryons en fonction de leur QI. Mais cette pratique, qualifiée d’eugéniste, suscite de vives craintes au sein de la communauté scientifique.
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On croyait le concept d’« enfant sur mesure » définitivement enterré depuis le scandale planétaire des bébés-Crispr. Souvenez-vous : l’affaire avait éclaté en novembre 2018, quand le biologiste chinois He Jiankui avait annoncé la naissance de jumelles dont le patrimoine génétique avait été modifié à l’aide de ciseaux moléculaires pour les rendre résistantes au VIH. Condamné à trois ans de prison pour avoir illégalement manipulé l’ADN d’embryons humains, le chercheur a suscité une levée de boucliers sans précédent de la part de l’opinion publique, craignant que son expérience n’ouvre la porte à un eugénisme d’un nouveau genre.
Six ans après cette affaire, et malgré la réprobation de la communauté scientifique, force est de constater que le « shopping génétique » a toujours le vent en poupe. Dans une enquête fouillée parue le 18 octobre, l’organisation militante britannique Hope not Hate révèle que la start-up américaine Heliospect Genomics propose aux couples fortunés de sélectionner leurs embryons en fonction de leur quotient intellectuel (QI). Le tout à l’aide de techniques de dépistage génétique controversées.
100 embryons pour 50 000 dollars
D’après les informations de Hope not Hate, corroborées par le quotidien britannique The Guardian, cinq couples recourant à la fécondation in vitro (FIV) ont déjà fait examiner leurs embryons par la société américaine pour identifier celui qui aura le QI le plus élevé en grandissant. Pour parvenir à un tel résultat, l’entreprise utiliserait des algorithmes analysant les données génétiques des embryons et ainsi prédire l’évolution de leurs caractéristiques. Connue sous le nom de dépistage PGT-P, cette technique de « notation génétique » permettrait d’augmenter le QI d’un enfant à naître de six points, selon Heliospect Genomics.
Les parents fortunés pourront ainsi classer jusqu’à 100 embryons sur la base du QI, mais également d’autres caractéristiques comme le sexe, la taille, le risque d’obésité ou de trouble mental. Le tout pour la modique somme de 50 000 dollars. « Tout le monde peut avoir tous les enfants qu’il veut et avoir des enfants qui ne souffrent pas de maladies, qui sont intelligents et en bonne santé ; ce sera formidable », vante Michael Christensen, PDG d’Heliospect Genomics, dans une vidéo filmée à son insu par l’organisation Hope not Hate en novembre 2023.
Bébés optimisés
Contrairement à la France, où le diagnostic pré-implantatoire n’est autorisé que dans de rares conditions, l’embryologie est réglementée de manière beaucoup plus souple de l’autre côté de la Manche. Interrogés par le Guardian, les responsables de l’entreprise américaine ont déclaré opérer dans le respect de toutes les réglementations en vigueur, y compris dans le cadre imposé par la loi britannique. Et pour cause : la start-up a élaboré ses outils de prédiction à partir des données fournies par la UK Biobank, une base de données médicale regroupant les informations génétiques d’un demi-million de participants britanniques. Contactée, l’organisation a confirmé que l’utilisation de ses données par Heliospect Genomics est tout à fait « conforme (aux) conditions d’accès ».
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Alors que plusieurs bébés sélectionnés à l’état embryonnaire par l’entreprise sont déjà « en route », la communauté scientifique s’inquiète des répercussions que ce nouveau marché d’« enfant à la carte » pourrait avoir. « L’un des plus gros problèmes est que cela normalise cette idée de gènes 'supérieurs’ et 'inférieurs’ », déplore Katie Hasson, directrice associée du Center for Genetics and Society (Californie) dans les colonnes du Guardian. Le déploiement de ces technologies, ajoute-t-elle, « renforce la croyance selon laquelle l’inégalité est due à la biologie plutôt qu’à des causes sociales ». Les critiques à l’encontre d’Heliospect Genomics sont d’autant plus vives que l’entreprise compte dans ses rangs de fervents défenseurs de l’eugénisme dont Jonathan Anomaly, ancien professeur à Duke et Oxford, ainsi que Malcolm et Simone Collins, un couple américain pronataliste qui souhaite repeupler la Terre avec des bébés « optimisés ».
Bien que ses services soient encore en phase de test, Heliospect Genomics prévoit d’entrer en bourse en 2025 et d’aligner ses prix sur la concurrence. Pour les clients les moins aisés, des tests seront ainsi accessibles à partir de 4000 dollars…