"Mon ex était folle" : pourquoi il faut fuir quand vous entendez cette phrase

Le mythe de l'ex folle
Il n’est pas rare d’entendre un homme dire : « Mon ex était folle ». S’épancher sur la supposée folie d’une précédente partenaire est un signal d’alarme pour de nombreuses femmes. Cette phrase aux inflexions sexistes peut cacher des comportements problématiques.

« Mon ex est folle » : C’est l’argument imparable souvent donné par les hommes pour expliquer l’échec d’un rapport amoureux. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses femmes alertent sur ce « red flag », soit ce comportement à surveiller en début de relation. « Je me suis toujours méfiée des hommes qui disent de leurs ex-compagnes qu’elles sont folles. Quand un mec prononce cette phrase, je me dis tout de suite : “Qu’a-t-il fait pour qu’elle devienne folle ?”. En s’engageant dans ce type de relation, on sait d’avance qu’on sera la prochaine “folle” », lance Marine, 28 ans. 

La folie est un trait que la société prête naturellement aux femmes pour décrédibiliser leur parole, et ce depuis des siècles. L’utilisation de ce qualificatif sexiste en dit probablement plus long sur le locuteur que sur son ex. Et si l’ex folle n’était pas vraiment folle, mais une façon pour certains hommes de ne pas assumer leurs torts ?

L’ex folle, un cliché teinté de sexisme

Le récit de la « folie » féminine a des racines profondes et les mots ne sont jamais « que des mots ». Habituellement utilisé par les hommes à l’encontre des femmes, ce terme aux allures d’insulte à peine voilée ne cesse de se muer en arme de stigmatisation. « “Folle” possède une immense charge sexiste et renvoie au mythe de l’hystérie, de la femme incapable de gérer ses émotions, beaucoup trop sensible. C’est aussi la diabolisation de la sorcière, celle qui peut facilement se faire posséder par les puissances extérieures telles que le diable et intérieures avec l’idée de l’utérus comme siège de l’hystérie », explique Laetitia Abad Estieu, créatrice du compte @cestquoicetteinsulte et co-autrice de Garce, hystérique et autres joyeusetés: Les insultes sexistes et oppressives enfin décryptées !

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Le mythe de l’ex folle est tenace parce qu’il repose sur des stéréotypes misogynes bien ancrés : les femmes seraient moins en contrôle de leurs émotions, plus fragiles, incapables de faire usage de la raison. « Le terme d’“ex folle” est le produit de notre culture misogyne dans laquelle l’idée d’un “mal féminin” est enracinée », affirme Capucine Bonsart, psychologue clinicienne et psychothérapeute féministe. « Les stratégies de contrôle et de persécution systématiques des femmes ont été et continuent d’être diverses mais reposent toutes sur la croyance selon laquelle elles seraient, par nature, des êtres irrationnels, émotionnels, voire dangereux, qu’il faudrait dompter. »

La prétendue folie des femmes est sans doute la meilleure excuse historique pour les délégitimer. Cette injure s’est politisée à la fin du XIXe siècle avec l’essor de ce qu’on considérait être « la nouvelle femme ». Une femme aspirant à l’indépendance économique, intellectuelle, sentimentale. « Des milliers de nos aïeules ont été internées de force pour “hystérie”, le plus souvent à l’initiative des maris et des pères. Les motifs les plus courants ? L’indifférence, la jalousie, la peur, la colère, l’insatisfaction, la susceptibilité, ou encore l’ambition », commente Capucine Bonsart. Une rhétorique qui a toujours fonctionné. « Plus tard, on retrouvera les mêmes motifs pour les demandes de divorce », note la psychologue. 

"Mon ex est folle" : une excuse pour se déresponsabiliser

Manon, 28 ans, est restée 5 ans avec son ex. Au début de la relation, il lui a parlé de son « ex folle » : « Il me disait qu’elle faisait des “crises d’hystérie”, qu’elle avait des comportements de folle parce qu’elle était jalouse de moi ». Si leur relation est amicale au départ, ce dernier quitte finalement son ex pour se mettre avec Manon. « En prenant du recul, j’ai ouvert les yeux et je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas eu de folie, puisque ce qui l’inquiétait s’est produit ». L’ex folle est une figure très pratique, parce qu’elle permet à certaines personnes de se défausser de leurs responsabilités tout en minimisant les besoins émotionnels parfois légitimes de leurs ex-partenaires. « Beaucoup d’hommes utilisent évidemment les stéréotypes sexistes qu’ils ont à leur disposition pour se déresponsabiliser et éviter de questionner les conséquences de leurs actions », observe Capucine Bonsart. 

« On attend des femmes qu’elles se montrent toujours douces, compréhensives, à l’écoute, qu’elles se sacrifient, qu’elles fassent passer les besoins des autres avant les leurs, et ce surtout dans le cadre du couple hétérosexuel. L’expression de la colère va à l’encontre de la position de soumission qu’on attend d’elles », constate la psychologue. 

L’ex-partenaire de Manon lui dépeint tout au long de leur relation un portrait peu flatteur de celle avec qui il a partagé 3 ans. « Elle était très loin de sa famille, elle avait très peu d’amis parce qu’elle passait son temps entre le taff et les cours, et donc lui était son seul point d’ancrage. Il ne se mettait absolument pas à la place de quelqu’un qui n’avait personne d’autre que lui », estime-t-elle aujourd’hui. 

Laure, 27 ans, est devenue l’ex folle de son ancien compagnon. « La seule chose qu’il retient de notre histoire c’est ma visite à l’improviste en bas de chez lui après notre rupture et quelques messages désespérés », déplore la jeune femme. Très amoureuse, elle ne perçoit alors pas certains signaux qu’elle considère aujourd’hui comme rédhibitoires : « Il critiquait constamment son ex et la rabaissait pour me valoriser. Au début, ça flatte votre égo, surtout quand vous n’avez pas confiance en vous ». 

Ramener les femmes à la folie pour les discréditer

« Je suis l’ex folle », lance tout du go Savannah, 28 ans. La jeune femme décrit 6 ans « d’enfer et de terreur psychologique » avec son ex, qui l’a trompée et lui a volé de l’argent. « Il s’amusait à me faire péter les plombs en public. C’est arrivé plusieurs fois qu’il provoque des scènes de ménage (par exemple en flirtant avec des filles devant moi) durant lesquelles je me donnais littéralement en spectacle pendant que lui rigolait de moi avec les autres », se souvient-elle. Des cris et des crises de larmes suffisent alors à forger sa réputation de « folle ». « Les gens me voyaient comme une dingue et, lui, l’idéalisaient ». 

Faire passer son ex pour une folle est un mécanisme qui peut s’inscrire dans les violences conjugales, notamment psychologiques. « Un de mes exs racontait avoir eu plusieurs “exs folles”. Le jour où je me suis rendue de mon propre chef aux urgences psy parce que je commençais à tomber sévèrement en dépression j’ai compris que c’était lui le problème », témoigne Paula*, 32 ans. Plus tard, elle prendra contact avec les « ex folles » de son ancien conjoint, qui décrivent toutes une relation toxique et le même schéma d’emprise psychologique. 

Discréditer et isoler la victime est une stratégie très fréquente de la part des auteurs de violences. « Quand on dit qu’une femme est folle, hystérique, “trop émotive”, ça découle souvent d’une volonté de contrôle, et de disqualification de son vécu et de ses émotions, pour qu’elle reste à sa place de personne qui subit en silence », souligne Capucine Bonsart. Qui irait croire une personne que tout le monde croit folle ? En changeant la narration des événements, ces derniers s’assurent de garder bonne figure. « Ses mensonges sur moi se sont confirmés quand une de ses ex à qui il a aussi volé de l’argent a voulu me rencontrer », relate Savannah. « Elle m’a raconté tout ce qu’il disait sur moi et il s’avère que les pires situations que j’ai vécues avec lui, il les a déformées en se positionnant comme la victime ». 

La psychologue explique qu’il s’agit aussi d’un mécanisme de gaslighting pour semer la confusion dans l’esprit des victimes. « Les femmes se retrouvent dans des relations, qui, de la plus ordinaire à la plus violente, les épuisent et les traumatisent, et se croient en plus responsables », pointe-t-elle du doigt. C’est ce qu’a vécu Paula : « Quand je lui reprochais des choses, il retournait toujours la situation pour m’incriminer. J’étais celle qui provoquais les disputes, je cherchais toujours la petite bête, je gâchais notre relation... J’ai perdu toute confiance en moi, et j’ai fini par avoir vraiment l’impression d’être folle ». 

Un manque d’empathie et une insulte psychophobe

Le mot « folle » est ancré dans le langage courant, utilisé quasi-systématiquement de façon péjorative. Outre son caractère sexiste, « il s’agit d’une insulte psychophobe », indique Laetitia Abad Estieu. « En utilisant ces abus de langage, nous déshumanisons les concernés en les réduisant à leurs troubles. » Capucine Bonsart abonde : « Le terme ”folle” est vraiment à proscrire car en plus d’être misogyne, il est insultant pour les personnes concernées par les troubles psychiques. »

La psychologue est formelle : « J’aurais tendance à conseiller aux femmes de fuir si elles entendent un homme parler de leur ex en ces termes ». Pour celles qui décident de persévérer, l’experte recommande toutefois de se méfier. « Demandez-vous ce qui a bien pu rendre l’ex folle. A-t-elle développé des troubles anxieux, dépressifs, une faible estime d’elle-même, ou encore du stress post-traumatique à cause de cette relation ? », interroge la psychologue.

« Par ailleurs, si une femme présente effectivement des difficultés en terme de santé mentale ou des troubles psychiatriques, le fait qu’un homme la qualifie de “folle” est encore un bon indice sur la capacité de celui-ci à respecter et être en empathie avec sa compagne », poursuit-elle. Marine acquiesce : « Si une ex a des problèmes de santé mentale, la traiter de “folle” est dénigrant et montre un vrai manque de compassion. Rabaisser de cette façon une personne avec qui on a été en couple, ça en dit long sur sa vision des rapports amoureux et le respect qu’il accorde aux femmes  ». 

*Le prénom a été modifié

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