Combustion de pétrole, gaz et charbon pour produire de l’énergie, pour l’industrie ou pour les transports, déforestation massive et agriculture intensive : les causes du dérèglement climatique sont désormais connues de toutes et tous, et régulièrement, le GIEC en fait une synthèse aussi remarquable qu’implacable. Mais il est un facteur qui est systématiquement oublié de ces travaux de recherche, c’est celui de l’acharnement des États et des acteurs privés contre tous ceux et celles qui défendent le climat et l’environnement sur le terrain.
À l’heure de la COP29, il est plus que temps de montrer l’importance de ces défenseurs dans la lutte légitime contre le changement climatique, et de les protéger, pour mieux défendre le climat et nos droits.
Des écologistes arrêtés voire tués
Partout, celles et ceux qui se battent contre ces projets destructeurs, sont en effet réprimés, arrêtés, menacés, emprisonnés, voire tués. En Équateur, une bombe a explosé en février 2024 devant le domicile d’une jeune militante de 14 ans opposée à la pratique du torchage de gaz, qui asphyxie lentement les populations locales.
Six mois plus tard, en Ouganda, ce sont près de 47 étudiants opposants au projet de pipeline chauffé devant relier le centre de l’Ouganda à la côte tanzanienne (projet EACOP), qui ont été arrêtés. Depuis juillet 2024, deux pêcheurs indonésiens doivent faire face à un procès parce qu’ils défendent la mangrove et leur village menacé d’engloutissement. Ils risquent cinq ans de prison ferme.
Ces exemples isolés peuvent paraître insignifiants, mais, pris dans leur globalité, ils révèlent une réalité inquiétante : ceux qui demandent l’application sur le terrain des grands principes et décisions pour le climat, font face à une marginalisation et à une criminalisation croissantes.
2 100 morts en une décennie
Malheureusement, cet acharnement prend très souvent une tournure plus tragique. Entre 2012 et 2023, selon l’ONG Global Witness, plus de 2 100 activistes climatiques à travers le monde ont payé de leur vie leur combat pour leurs terres et les ressources de leurs peuples, et notre droit à tous et toutes à un environnement sain.
Interdictions et répression de manifestations, fermetures d’associations, détentions arbitraires, stigmatisation et diffamation dans les médias, violences verbales et physiques : toutes ces attaques ont pour seul objectif de faire taire ceux qui tentent de freiner les projets les plus polluants et les plus dangereux pour le climat, et in fine, pour l’humanité tout entière. Des mesures et comportements liberticides qui ont pour conséquence directe la perpétuation de pratiques néfastes par les États et les entreprises, qui mènent à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, sans aucune redevabilité devant les citoyens. Ils s’en émeuvent ensuite, la main sur le cœur, lors des grandes conférences pour le climat.
De la France au Canada
Il ne faudrait pas croire pour autant que ces pratiques soient réservées à des régimes hostiles au droit international ou aux obligations climatiques. Au Canada, pays qui se veut exemplaire sur la question, le chef Dsta’hyl de la Nation autochtone Wet’suwet’en a été condamné à 60 jours d’assignation à résidence pour avoir défendu pacifiquement ses terres ancestrales contre la construction d’un gazoduc de gaz naturel liquéfié. Il est devenu pour nous le premier prisonnier de conscience de l’histoire canadienne contemporaine. Ses partenaires de lutte risquent la prison ferme.
Au Royaume-Uni, cinq militants écologistes ont été lourdement condamnés à 4 et cinq ans de prison pour avoir participé au blocage d’une autoroute au nord de Londres pour demander au gouvernement d’abandonner de nouveaux projets pétro-gaziers. En France, le mouvement des « écureuils », qui s’oppose à l’A69, dont les conséquences sur la biodiversité et l’artificialisation des sols sont critiquées par plusieurs scientifiques, est confronté à une telle répression que Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, a réclamé « une enquête et des sanctions ».
Les lobbies aux COP
Paradoxalement, alors que les défenseurs de l’environnement sont confrontés à des attaques toujours plus violentes, les grands rendez-vous internationaux sont désormais trustés par les lobbies industriels. L’année dernière, lors de la COP28 aux Émirats arabes unis, plus de 2 400 lobbyistes des combustibles fossiles, soit largement plus que les délégations des 10 pays les plus vulnérables réunis, étaient présents dans les travées, pour minimiser l’impact des textes sur les activités de leur secteur.
De la « sortie » des énergies fossiles initialement prévue au début des négociations de Dubaï, le texte final n’appelait plus qu’à une « transition juste, ordonnée et équitable vers une sortie des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques ». Une formulation aussi fumeuse qu’une forêt en flammes, comportant plusieurs failles qui permettent aux producteurs de combustibles fossiles et aux États de poursuivre leurs activités habituelles.
Impuissante société civile
La société civile, laissée à l’écart des débats, ne peut qu’assister, impuissante, à l’échec programmé de toute tentative de régulation forte et contraignante, alors que la trajectoire actuellement suivie par rapport aux niveaux préindustriels est désormais de + 3,1 °C, si l’on en croit les dernières estimations du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).
Tant que la société civile, les peuples autochtones, et les défenseurs de l’environnement se verront refuser une chaise à la table des décisions, tant que les gouvernements délégitimeront leur combat et les feront passer pour des criminels, nous ne répondrons pas à la crise climatique que nous constatons chaque jour (inondations torrentielles récurrentes, ouragans massifs, mégafeux, etc.) et qui ne fera que s’aggraver demain. C’est notre capacité commune à y faire face, avec l’urgence et l’ambition nécessaires, qui sera mise en danger.