L'Arum titan (Amorphophallus titanum) prend plusieurs noms. Si les Français la surnomment "pénis de titan", les Anglo-Saxons lui préfèrent le doux nom de... "fleur de cadavre". Il faut dire que cette plante a de quoi faire parler. Elle produit la plus grande inflorescence (non ramifiée, c'est-à-dire ne se divisant pas en plusieurs rameaux) au monde.
"L'Arum titan n'est pas une seule fleur, mais un groupe de petites fleurs cachées dans une gigantesque tige centrale appelée spadice", rappelle dans un communiqué le Dartmouth College, une université américaine. A la base de la plante se trouve une spathe, une partie qui, lorsqu'elle se déploie, forme une sorte de coupe.
Les floraisons de l'Arum titan sont rares - une fois tous les cinq à sept ans - et elles ne durent que quelques jours. En 2023, au jardin botanique de Villers-les-Nancy (Meurthe-et-Moselle), un Arum titan en fleur avait attiré les foules. Le spectacle ne durait qu'environ 48 heures. "Son tubercule fait 33 kilos et il a sorti, en un mois et demi, une inflorescence qui fait 1,97 mètre de haut. C'est la plus grande inflorescence qu'il n'y ait jamais eu en France sur cette espèce", se réjouissait alors Frédéric Pautz, directeur du jardin botanique. Une inflorescence peut atteindre jusqu'à trois mètres de haut !
Production de chaleur et odeur de corps en décomposition
Cette plante est aussi connue pour produire une importante chaleur lors de sa floraison (+10°C environ) : la température de certaines parties augmente alors. Quant à son surnom de "fleur de cadavre", il provient de son odeur de corps en décomposition induite par des composés soufrés, et qui attire les pollinisateurs, notamment les mouches. D'abord, la plante chauffe puis elle émet ses composés odorants. Ces deux phénomènes font l'objet d'une nouvelle étude, publiée le 4 novembre 2024 dans la revue Pnas Nexus.
Car si l'Arum titan est relativement connue, son étude se révèle malgré tout difficile à cause de ses rares floraisons. Dans ce cas, les chercheurs ont profité des floraisons de Morphy, une plante de 21 ans conservée dans un musée botanique situé dans le Dartmouth College, pour lui prélever 11 échantillons de tissus. Leur objectif : mieux comprendre les particularités de cette plante à l'échelle moléculaire.
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Une plante qui produit de la putrescine
Les auteurs de cette nouvelle étude ont déjà remarqué "des changements substantiels" dans l'expression de certains gènes durant la période de floraison. Ainsi, 3035 gènes ont été exprimés plus fortement quand 2750 gènes voyaient leur expression réduite lorsque Morphy produisait le plus de chaleur.
Une carte thermique de l'Arum titan montre la température élevée de l'appendice. Crédit : Eric Schaller/Dartmouth
L'analyse a révélé que les gènes liés aux protéines permettant la production de chaleur (les oxidases alternatives) s'exprimaient davantage dans les tissus récupérés lorsque la floraison commençait, et surtout dans le spadice. Des gènes impliqués dans le transport du soufre étaient aussi actifs au même moment.
Grâce à une spectrométrie de masse (technique permettant d'identifier des composés ainsi que leur quantité), les chercheurs ont quantifié les différents acides aminés (les différentes "pièces" qui, assemblées, forment des protéines) présents dans la "fleur de cadavre". "Comme le prédisait leur analyse ARN, ils ont détecté des niveaux élevés d’un acide aminé soufré appelé méthionine, un précurseur de composés à base de soufre connu pour se vaporiser facilement lors du chauffage, produisant des odeurs âcres", remarque l'université américaine dans son communiqué.
L'analyse a également permis de révéler, au niveau de la spathe, un nouveau composé de l'odeur de l'Arum titan : la putrescine, "une diamine volatile qui contribue notamment à l'odeur de pourriture de la chair animale en décomposition", précise l'étude.
Une espèce très menacée
On aurait tendance à penser qu'une plante aussi originale jouit d'une importante protection. Il n'en est rien. La situation de l'espèce est alarmante, selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Classée dans la catégorie "en danger d'extinction", sa population est en baisse, comprenant environ 300 individus matures que l'on ne trouve qu'à Sumatra.
"La dégradation des terres et la déforestation (exploitation forestière et plantations de palmiers à huile) sont les principales causes de la disparition de cette espèce dans la forêt, relate l'UICN. De plus, le mythe selon lequel cette espèce serait un prédateur des humains (en raison des marques sur le pétiole qui ressemblent à un serpent) conduit à la destruction de l'espèce lorsque les gens la trouvent poussant dans leurs terres agricoles".