Exilé en Pologne, un artiste russe tourne en ridicule le régime du Kremlin à travers des canulars réalisés auprès de fonctionnaires.En imitant une adresse mail du parti de Vladimir Poutine, il a convaincu des enseignants de se confectionner de petits chapeaux en aluminium.Vladislav Bokhan entend montrer aux yeux du monde "l’obéissance jusqu'à l’absurde des fonctionnaires" russes, par crainte de représailles des autorités.
Diffuser de fausses informations peut-il constituer une forme de résistance ? Devenir un geste avec une portée militante ? C'est ce que prétend Vladislav Bokhan, un artiste biélorusse qui a fui son pays pour se réfugier en Pologne. L'homme aux multiples casquettes, ancien professeur, se présente (nouvelle fenêtre) aussi comme "activiste, anarchiste, extrémiste" et "dissident de Minsk". Ses faits d'armes les plus marquants ? Une série de canulars, visant des fonctionnaires russes, enseignants en grande majorité.
À plusieurs reprises, ce militant hostile aux régimes de Vladimir Poutine et Alexandre Loukachenko a poussé des professeurs à conduire des actions loufoques. La dernière en date ? Leur demander de mener, en classe, des ateliers de travaux manuels afin de réaliser de petits chapeaux en papier d'aluminium. Une fois les créations terminées, les participants étaient invités à se filmer en les portant sur la tête puis à lui partager par mail la séquence. La justification fait sourire : ces couvre-chefs étaient présentés comme un moyen de protection contre les possibles "attaques de l'Otan" visant les populations, par le biais "d'irradiations causées par les impulsions électromagnétiques des satellites".

La crainte des représailles pousse à l'obéissance
Comment un artiste en exil a-t-il pu convaincre des fonctionnaires de réaliser ces ateliers de travaux manuels, puis d'exhiber en ligne leurs créations ? Pour obtenir ce résultat, Vladislav Bokhan a utilisé une fausse adresse email, le faisant passer pour une section locale du parti Russie Unie, auquel appartient Vladimir Poutine. "Le système fait en sorte que les gens ne réfléchissent pas, ils n’ont qu’une seule chose à faire : exécuter. Exécuter dans la joie et la bonne humeur. Quand un tel prend une décision, il faut l’appliquer. Le système fait en sorte que les gens n’aient pas d’esprit critique", dénonce l'activiste, interrogé (nouvelle fenêtre) par France Culture.
Si les visages des enseignants prêtent à sourire, coiffés de leurs petits chapeaux brillants, le Biélorusse ne voit pas sa démarche comme un geste humoristique. Il ne cherche pas tant à amuser qu'à éveiller les consciences et à attirer l'attention sur l'aliénation de nombreux citoyens dans la Russie d'aujourd'hui. "Je ne fais pas ça pour rire ou pour plaisanter, mais pour montrer aux gens la réalité de façon concrète. Pour montrer que ce n’est pas abstrait, que là-bas, ce monde totalitaire existe encore aujourd’hui", clame Bokhan.
Cette action n'est pas la première conduite par l'artiste. En 2022, il avait déjà usurpé l'identité du parti Russie Unie pour demander à des enseignants d'illustrer leur implication sans faille dans leur travail. Pour cela, il les avait poussés à mettre en valeur des slogans tels "Le travail libère" ou "Un peuple, une nation, un dirigeant". Des expressions directement empruntées l’Allemagne nazie. Au sein de plusieurs établissements, des personnels avaient accepté sans broncher.
"Les gens n'apprennent pas à penser, mais seulement à agir"
À un média russophone, Vladislav Bokhan a expliqué (nouvelle fenêtre) que la Russie incarnait une "manifestation maximale de la hiérarchie". Un cadre au sein duquel "l’école constitue l’échelon le plus bas de la pyramide du pouvoir". Au sein de cette institution, ajoute-t-il, "le système est construit de telle manière que les personnes apprennent non pas à penser, mais exclusivement à agir. C'est pourquoi ils ne le remettent pas en question."
Lors de précédentes actions, le militant avait observé que les établissements qui se pliaient à ses demandes étaient peu nombreux. Pour y remédier, il a spécifié par la suite au moment des premières prises de contact que quiconque ne se conformerait pas aux demandes émanant du parti serait tenu de rédiger une note explicative pour se justifier. Une forme de menace dissimulée qui a porté ses fruits, puisque les pourcentages de personnes à suivre les consignes a augmenté de manière significative. "La peur est le principal moteur de ce système", en conclut le Biélorusse.
Si l'intéressé revendique pleinement la dimension politique de ses actes, il ne les lie pas directement au conflit en cours en Ukraine. Avec d'autres artistes, "nous essayons de comprendre pourquoi l'on retrouve au sein de ces sociétés une telle demande de fermeté, d'autoritarisme. De savoir pourquoi les gens ont permis à des présidents élus de devenir des dictateurs, sur quoi repose ce pouvoir et pourquoi il ne peut pas être renversé d’un simple claquement de doigts".
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