Astrophysique

Découverte d’un jet galactique gigantesque émanant d’un trou noir supermassif

Un jet de particules de 23 millions d’années-lumière émis par un trou noir supermassif se cachait dans les données de l’interféromètre européen « Lofar ». Ses dimensions record intriguent les chercheurs mais offrent une piste pour comprendre l’origine des champs magnétiques dans les vides cosmiques.

POUR LA SCIENCE N° 566
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C’est la plus grande structure galactique jamais observée, s’étendant au total sur 23 millions d’années-lumière. Environ 140 fois le diamètre de la Voie lactée ! Une équipe d’astronomes menée par Martijn Oei, de l’institut de technologie de Californie, a découvert ce jet de particules de hautes énergies émis par un trou noir supermassif au cœur d’une galaxie que l’on voit telle qu’elle était lorsque l’Univers était âgé de 6,3 milliards d’années. Nommé Porphyrion en référence au roi des géants de la mythologie grecque, ce jet intrigue par sa taille, qui dépasse largement celles des simulations des chercheurs ainsi que le précédent record observé établi à 15 millions d’années-lumière.

Ce type de jet se forme lorsqu’un trou noir supermassif (au moins 900 millions de fois la masse du Soleil pour Porphyrion) situé au sein d’une galaxie avale la matière qui s’en approche de trop près. Celle-ci forme alors un disque d’accrétion dans lequel les frottements ionisent la matière en un plasma. Il se crée alors un champ électromagnétique puissant qui focalise les particules (électrons et positrons) en deux faisceaux étroits émis depuis les pôles du trou noir. La puissance des deux jets combinés de Porphyrion est comparable à celle de milliers de milliards de soleils. « L’énergie libérée par le jet équivaut à celle des collisions cosmiques les plus cataclysmiques, par exemple lorsque deux amas de galaxies fusionnent, compare Martijn Oei. C’est un des spectacles les plus énergétiques de l’Univers ! »

jet - trou noir supermassif - Porphyrion - Lofar

Image de Porphyrion prise par le réseau Lofar. La galaxie, hôte du trou noir supermassif, est un point au centre de l’image. On distingue Porphyrion, qui s’étend du centre vers le coin en haut à gauche et en bas à droite. Le blob très lumineux près du centre est un autre système de galaxie avec son jet.

© Lofar Collaboration / Martijn Oei (Caltech)

Ces jets émettent des rayonnements de basses fréquences, qui peuvent être détectés par des radiotélescopes comme le Low-Frequency Array (Lofar) européen. Grâce à de tels instruments, les astronomes ont identifié pas moins de 10 000 jets de ce type. Certains comme Porphyrion sont si puissants qu’ils se propagent bien au-delà de la galaxie hôte du trou noir et s’enfoncent jusque dans les « vides cosmiques », les régions de très faible densité entourant les filaments composés de galaxies, qui constituent la toile cosmique. Là, ils seraient peu entravés par le gaz et la poussière qui limitent habituellement leur croissance, ce qui leur permettrait d’atteindre des tailles gigantesques comme Porphyrion.

Ces jets contribuent à « réchauffer » leur voisinage cosmique, de plus de 1 million de degrés selon les chercheurs. « Si ce réchauffement s’est produit suffisamment tôt dans l’histoire de l’Univers, il pourrait avoir ralenti la formation des galaxies, phénomène nécessitant un plasma relativement froid », avance Martijn Oei. « Mais d’autres mécanismes expliqueraient aussi le ralentissement de la formation stellaire dans l’histoire récente de l’Univers, nuance Mathieu Langer, théoricien à l’Institut d’astrophysique spatiale, de l’université Paris-Saclay. Les supernovæ, qui éjectent beaucoup de gaz hors des galaxies ou encore le rayonnement ultraviolet de certaines étoiles sont d’autres facteurs bien connus. »

Lofar - radiotélescope

Le réseau Lofar comprend plusieurs radiotélescopes en Europe. Ici, celui d’Exloo, aux Pays-Bas.

© Astron

En atteignant les vides cosmiques, Porphyrion et ses semblables contribuent à y faire émerger un vaste champ magnétique. Celui-ci est observé partout dans l’Univers, mais son origine dans les immenses régions les moins denses du cosmos n’est pas encore bien comprise. « Ont-ils été engendrés très tôt dans l’histoire de l’Univers par des processus exotiques, ou un peu plus tard au cours de la réionisation par des phénomènes d’interaction matière-rayonnement ? Ou encore par des phénomènes externes aux vides comme les jets ? », s’interroge Mathieu Langer. Comme ces derniers sont très fins et focalisés, il en faudrait un grand nombre pour rendre compte de l’ensemble des champs magnétiques observés aux grandes échelles. « Avec Porphyrion on a un exemple de source possible, mais la question persiste. » Les vents galactiques, constitués d’éjectas de supernovæ, sont ainsi une autre piste. « Les prochaines données du Lofar ou du futur radiotélescope géant SKA (Square Kilometre Array) nous permettront d’y voir plus clair », conclut le chercheur.

Découverte d’un jet galactique gigantesque émanant d’un trou noir supermassif

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Mathis De Géa

Mathis De Géa est un journaliste scientifique indépendant.

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Références

M.S.S.L. Oei et al., Black hole jets on the scale of the cosmic web, Nature, 2024.

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