CARTE. 50 ans après la légalisation, la réalité contrastée de l’avortement en France
L’interruption volontaire de grossesse (IVG) a été légalisée en France il y a 50 ans. La loi et les techniques médicales ont évolué depuis, et le droit à l’IVG a même été inscrit dans la Constitution. En 2023, plus de 240 000 femmes y ont eu recours en France, avec de grandes disparités selon les régions.
En résumé
En France, l’IVG est autorisée depuis 1974 et est inscrite dans la Constitution depuis 2024.
Le recours à l’IVG augmente chez les 20-30 ans, et se réduit chez les mineures.
Des disparités importantes sont constatées entre les départements.
Le 26 novembre 1974, Simone Veil, alors ministre de la Santé, a tenu un discours historique devant l’Assemblée nationale pour présenter le projet de loi sur l’avortement qui sera adopté après un vif débat.
Depuis le vote de la loi Veil le 29 novembre 1974, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est autorisée en France, selon des conditions légales et médicales qui ont évolué dans le temps. Menacée dans plusieurs pays, « la liberté garantie à la femme d’avoir recours à l’IVG » est même inscrite dans la Constitution française depuis le 9 mars 2024.
Depuis 1974, les conditions de recours à l’IVG ont beaucoup évolué en France. Le délai légal a été prolongé, passant en 2022 à 14 semaines de grossesses. Les IVG médicamenteuses ont fait leur apparition et ont été ensuite autorisées en médecine de ville, et même depuis le Covid-19 en téléconsultation. Dans le même temps, les IVG pratiquées à l’hôpital ont diminué, notamment en raison de la fermeture de maternités qui la pratiquaient, et du désintérêt des établissements privés lucratifs pour ce soin peu rentable.
Quelle tendance pour le nombre d’IVG ?
Le nombre d’IVG réalisées chaque année est en légère hausse constante. Après une baisse en 2020 et 2021 en raison de la pandémie de coronavirus, il a recommencé à augmenter. En 2023, plus de 240 000 IVG ont été réalisées chez les femmes de 15 à 49 ans (230 000 l’année précédente) :
Comment interpréter cette courbe ? L’Institut national d’études démographiques (Ined), publie justement cette semaine une étude sur la réalité de l’IVG en France en 2023. Pour Magali Mazuy, chercheure à l’Ined et l’une des coauteures de l’étude, « il est encore tôt pour voir une tendance de long terme, augmentation qui continuerait ou stabilisation ». La démographe constate cependant qu’il y a ces dernières années « un peu plus d’IVG, et moins de naissances », donc « sans doute une part un peu élevée de grossesses arrêtées. »
En 2023, le taux de recours à l’IVG était de 16,8 pour 1 000 femmes. Cet indicateur est lui aussi en hausse depuis les années 1990 :
« Il y avait auparavant une IVG pour quatre naissances, ce ratio est en 2023 de l’ordre d’une IVG pour trois naissances », explique Magali Mazuy. L’augmentation actuelle peut être expliquée par plusieurs facteurs économiques et sociaux. Magali Mazuy détaille ainsi les conditions actuelles qui n’incitent pas les jeunes à avoir des enfants : « précarité de l’emploi, crise du logement, difficultés financières… Ce sont autant de raisons qui font que des personnes renoncent à avoir un enfant, ou en tout cas reportent le projet. »
Prudemment, Magali Mazuy avance également d’autres possibles facteurs, dont le poids n’est pas mesuré faute d’études précises : « il y a une idée d’un rejet de la contraception hormonale, et aussi de plus en plus de jeunes qui disent vouloir rester sans enfants ».
Longtemps considérée comme libératrice, la pilule contraceptive suscite de plus en plus souvent une certaine méfiance. Il y a les effets secondaires d’une part, et d’autre part se passer d’elle est aussi perçu comme une réappropriation de son corps. Et renoncer à la pilule peut dans un couple être l’occasion de poser la question de la contraception masculine. Pour Magali Mazuy, « il faudra voir dans le temps si c’est vraiment une tendance. »
Moins de recours pour les 15-17 ans
Depuis les années 90, le recours à l’IVG a donc augmenté. Cela se retrouve dans toutes les classes d’âge, sauf chez les mineures. Chez les jeunes filles de 15 à 17 ans le taux d’IVG pour 1 000 personnes est passé de 7 à 5,3.
Il augmente pour les autres âges, en particulier chez les 20-30 ans :
« Nous avons l’impression que la prévention, qui a beaucoup été axée envers les jeunes, a eu un effet », indiquait le Dr Jeanne Fresson, pour la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), en 2022. Une impression partagée par Magali Mazuy : « Chez les mineures on constate une baisse des IVG. C’est un effet positif de la prévention, d’une protection meilleure avec la contraception gratuite et d’une entrée en sexualité plus tardive. »
Une étude publiée mi-novembre par l’Inserm montre ainsi que la sexualité des Français est en pleine mutation. Ces dernières années, l’âge du premier rapport sexuel est ainsi remonté chez les femmes de 17,3 ans au milieu des années 2000 à 18,2 ans en 2023.
Des méthodes qui évoluent
Il y a deux méthodes pour pratiquer une IVG : la méthode médicamenteuse et la méthode chirurgicale. En 2023, en France, une IVG sur cinq a été réalisée avec la méthode chirurgicale ; c’était deux sur cinq il y a 10 ans.
Les IVG médicamenteuses représentent désormais quatre soins sur cinq. La moitié d’entre elles sont réalisées hors établissement de santé (médecine de ville, sage-femme, téléconsultation depuis 2020…).
Le rapport de l’Ined souligne que malgré l’augmentation des IVG hors établissement de santé, l’hôpital public reste le principal lieu où les IVG sont pratiquées, tandis que les établissements privés ont quasiment abandonné la prise en charge.
D’importantes disparités géographiques
Derrière ces statistiques nationales, des disparités locales sautent aux yeux en regardant les données territorialisées. Le recours à l’IVG varie ainsi du simple au double entre l’Ille-et-Vilaine (11,8 IVG pour 1 000 femmes) et les Alpes-Maritimes (23,7 IVG pour 1 000 femmes). L’écart maximal est observé entre la Mayenne (9,9 IVG pour 1 000 femmes) et la Guyane (48,9 IVG pour 1 000 femmes).
Les disparités se retrouvent aussi entre les méthodes utilisées : dans certains départements (Gironde, Loire-Atlantique, Isère…) la méthode chirurgicale est encore majoritaire, quand elle ne représente que 15 % des IVG dans les départements alsaciens.
La carte ci-dessous est colorée selon le nombre d’IVG pour 1 000 femmes. En cliquant sur un département, vous pouvez consulter le détail des méthodes utilisées :
Comment expliquer ces disparités ? La législation est la même dans tous les départements, et ce type de soin est également gratuit partout. Ces variations départementales sont plus importantes que les différences démographiques (proportion de femmes en âge de procréer, fréquence des grossesses) et ont donc d’autres raisons.
Magali Mazuy indique que « les différences entre les territoires ont plusieurs facteurs, mais en l’absence d’études précises, on repose sur des hypothèses. »
Parmi ces hypothèses, il y a des variations de ce que l’on nomme la santé sexuelle et reproductive. Il s’agit, selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé d’« un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social lié à la sexualité ». Or, ce bien-être correspond à des normes sociales différentes selon les territoires.
Le cas de la Guyane peut aussi s’expliquer par des situations de recours à l’IVG incluant des femmes venant de l’étranger. Elles comptent donc dans les statistiques, mais pas dans la population des résidentes, augmentant ainsi le taux.
Pour Magali Mazuy, à ces normes de santé sexuelle et reproductive différentes s’ajoutent « des effets de structure de la population (jeunesse, fécondité, milieux sociaux…) et aussi de l’accès à l’IVG. »
Des cultures médicales locales différenciées ont aussi un effet sur l’accès au soin et le choix entre méthode médicamenteuse et méthode chirurgicale. La qualité des réseaux entre les établissements de santé et les autres acteurs pratiquant des IVG est un autre facteur essentiel. « Il est important de développer la qualité des réseaux ville-hôpital, souligne Magali Mazuy, ce qui permettra aux femmes d’avoir le choix sur le type d’IVG. »