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Disparition

Mort d’Henri Borlant, passeur de la mémoire de la Shoah

Déporté à 15 ans, il est le seul survivant des 6 000 enfants juifs de France de moins de 16 ans déportés à Auschwitz en 1942. Longtemps silencieux sur l’horreur des camps nazis, il était devenu une figure de la mémoire juive. Il est mort mardi 3 décembre, à 98 ans.
Henri Borlant, survivant du camp de concentration et centre d'extermination nazi d'Auschwitz-Birkenau le 15 janvier 2015 à Paris. (Dominique Faget/AFP)
publié le 5 décembre 2024 à 13h00

Après des décennies de silence, il s’était convaincu du «devoir sacré de témoigner de ce crime inouï, inimaginable». Henri Borlant, seul survivant des 6 000 enfants juifs de France de moins de 16 ans déportés à Auschwitz en 1942, est mort mardi 3 décembre à 98 ans, a annoncé mercredi soir le Mémorial de la Shoah.

L’institution «salue la mémoire d’une figure de la mémoire de la Shoah en France, profondément humble et engagée», et présente ses «sincères condoléances à son épouse, Hella, à leurs filles et à l’ensemble de sa famille». Pour sa part, la Fondation pour la mémoire de la Shoah a annoncé avec «une grande tristesse la disparition d’Henri Borlant», dans un message sur X.

Raflé à 15 ans, 1 mois et 10 jours

Eprouvant l’indicible à 15 ans, il s’était donné pour mission de devenir un passeur, «pour que tout le monde sache». Né le 5 juin 1927 à Paris, Hirsch Borlant était le quatrième d’une fratrie de dix enfants. L’aîné, Léon, s’étonne aussitôt de ce prénom, qui ne sonne pas français, et décide que tout le monde appellera son petit frère «Henri».

Ses parents, juifs non pratiquants, sont un couple «uni par l’amour et par l’exil». La mère, Rachel Beznos, a fui avec sa famille la Russie tsariste, sa haine antisémite et ses pogroms. Le père Aron, un tailleur venu d’Odessa, en Ukraine, a toujours rêvé de la France, la patrie qui a pris «la défense de Dreyfus, un obscur officier juif». La famille vit modestement, dans le XIIIe arrondissement populaire de Paris. «Mon père voulait que nous soyons français. On se savait juif, issu d’immigrés, mais le sentiment qui prédominait était celui d’être français», racontait Henri Borlant.

Dès août 1939, ils fuient pour le Maine-et-Loire. Par précaution, les enfants, scolarisés à l’école catholique, sont baptisés. Le petit Henri devient croyant et pratiquant, et veut même devenir prêtre. Son certificat d’études en poche, il est finalement placé en apprentissage chez le garagiste du bourg.

Cette vie insouciante, sans connaissance des lois antijuives, prend fin le 15 juillet 1942 quand un camion allemand le rafle avec une partie de sa famille. Il avait 15 ans, 1 mois et 10 jours. Avec son père, son frère Bernard, 17 ans, et sa sœur Denise, 21 ans, ils sont jetés dans des wagons à bestiaux bondés. «Maman chérie, il paraît que nous partons en Ukraine pour faire les moissons», griffonne Henri dans un mot miraculeusement parvenu à destination grâce à un cheminot. Trois jours plus tard, les portes du train s’ouvrent à Birkenau, en Pologne.

Les hurlements en allemand, les aboiements des chiens, la nudité, le rasage de la tête et du corps, le tatouage, l’odeur pestilentielle de chair brûlée qui sort des cheminées… Puis les habits rayés, l’inhumanité des blocks, des kapos, des journées interminables de travail harassant, la peur, constante, les coups, les poux, le typhus, la dysenterie et la faim. «La faim de quelqu’un qui mange peu pendant des semaines, c’est une faim qui l’envahit tout entier. On n’est pas malheureux, on est affamés, on n’est qu’une faim. Le désespoir, c’était pour ceux qui étaient bien nourris», dira-t-il.

«Merci d’avoir survécu»

Transféré de camp en camp, il survit miraculeusement et parvient à s’échapper le 3 avril 1945 d’Ohrdruf-Buchenwald, en Allemagne, juste avant l’arrivée des Américains. A son retour à Paris, il ne dit rien des atrocités subies. Il fait comprendre à sa mère qu’elle ne doit pas attendre le retour de son père, ni de Bernard, ni de Denise, exterminés. Il n’évoque les camps qu’avec les si chers «copains de déportation».

Il se plonge dans les études, devient médecin et épouse une jeune Allemande, non juive et farouchement antinazie. La retraite venue, certains de ses camarades sont morts. Il se saisit alors de son rôle de «passeur». Et se met à raconter. Alors qu’il échange un jour avec une classe de troisième, il est «ému aux larmes» de voir que «l’un des adolescents a écrit de sa petite écriture en pattes de mouche “merci d’avoir survécu”».

Ces mots lui inspireront le titre de son livre témoignage, publié en 2012. Dans celui-ci, il explique : «Parfois, j’ai comme un vertige. Lors d’un voyage à Auschwitz avec des adolescents en 1995, Serge Klarsfeld m’a présenté : Henri Borlant est le seul survivant des 6 000 enfants juifs de France de moins de 16 ans déportés à Auschwitz en 1942. C’est très impressionnant de se dire que sur 6 000 enfants, on est le seul à pouvoir parler, je n’ai donc pas le droit de me taire.»

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