Neurosciences

La première carte complète des connexions neuronales chez la drosophile

Près de 140 000 neurones et 55 millions de connexions : la première carte détaillée du « connectome » d’un animal aussi complexe que la mouche du vinaigre a été établie. Grâce à elle, les chercheurs espèrent mieux comprendre le fonctionnement du cerveau de cet insecte.

POUR LA SCIENCE N° 566
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Brique élémentaire du cerveau, le neurone n’opère pas de façon isolée. Il est connecté à des dizaines, des centaines, voire des milliers d’autres par des synapses. Ensemble, ces neurones forment des réseaux dans lesquels transitent des signaux qui s’amplifient ou s’inhibent. À partir d’une représentation fidèle de ces circuits, est-il possible de comprendre comment le cerveau interprète des signaux venant du monde extérieur et décide d’une réponse ? C’est tout l’enjeu du connectome, cette carte tridimensionnelle des neurones et de leurs interconnections que des équipes travaillent à établir, afin de révéler une partie des mécanismes du cerveau. Le cas du cerveau humain, avec près de 86 milliards de neurones et plus de 10 000 fois plus de connexions, semble encore techniquement hors de portée. Mais pas celui de la drosophile. C’est ce réseau que les chercheurs du consortium FlyWire viennent de reconstituer. Il représente tout de même 139 255 neurones, et plus de 54,5 millions de connexions les reliant les uns aux autres, ce qui en fait la première carte du connectome complet d’un animal adulte aussi complexe.

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L’ensemble des 139 255 neurones du connectome de la drosophile, ils sont reliés par 50 millions de connexions synaptiques.

© Tyler Sloan/FlyWire, université Princeton

Le choix de la drosophile, ou mouche du vinaigre (Drosophila melanogaster), n’est pas le fruit du hasard. Cet insecte est couramment utilisé comme modèle par les neuroscientifiques et les spécialistes de la cognition animale. Son cerveau n’est pas trop gros mais assez complexe pour doter cet animal de comportements riches : interactions sociales variées, mémoire à long terme, capacité d’apprentissage… La drosophile est donc un sujet idéal pour progresser dans la compression du connectome, même si la cartographie de cette petite mouche n’est pas la première.

En effet, le connectome a déjà été établi pour d’autres organismes, mais ces derniers n’étaient dotés que de quelques centaines de neurones : le nématode Caenorhabditis elegans en 2013, la larve de l’ascidie Ciona intestinalis en 2016 et le ver marin Platynereis dumerilii, en 2020. La drosophile avait bien évidemment fait l’objet de projets pour dresser son connectome, mais ils étaient limités par les techniques disponibles. En 2020, le projet FlyEM mené par le centre de recherche américain Janelia, avait reconstruit celui d’une partie du cerveau incluant déjà 25 000 neurones. En 2023, une autre équipe avait tracé une carte complète du connectome, mais chez la larve de la drosophile, ce qui représente 3 000 neurones et 548 000 synapses. Il restait donc à passer à l’échelle supérieure avec la carte complète du cerveau de la drosophile adulte.

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Le connectome du projet FlyWire contient de nombreuses informations, comme le type de neurones ou l’action des synapses. Ici, le type de neurotransmetteur est représenté : GABA (bleu), acétylcholine (jaune) et glutamate (rose).

© Amy Sterling et Julia Kuhl/FlyWire, université Princeton

Pour établir cette nouvelle carte, les chercheurs ont lancé le projet FlyWire il y a plus de quatre ans en partant de données publiques du centre Janelia. En 2018, des chercheurs de ce centre avaient coupé un cerveau de drosophile femelle en 7 000 tranches de 40 nanomètres d’épaisseur chacune, et scanné l’ensemble à haute résolution avec un microscope à balayage électronique. Pour traiter les 100 téraoctets d’images, les chercheurs de FlyWire ont conçu un programme informatique d’intelligence artificielle qui a identifié les neurones dans ces images et reconstitué le réseau en 3D. La procédure n’étant pas fiable à 100 % et induisant quelques erreurs dans l’assemblage, les 287 chercheurs ont alors lancé une étape de validation manuelle en développant des outils sur une plateforme qui permettent d’identifier les neurones et d’indiquer notamment leur type (parmi près de 8 500, dont 4 500 nouveaux) ou encore l’action de chaque synapse (excitatrice ou inhibitrice). Pour accélérer cette étape, le consortium a invité des volontaires du grand public à participer.

Les chercheurs ont déjà commencé à exploiter cet outil. Ainsi, le connectome montre comment différentes régions du cerveau sont reliées. Ces données sont cruciales pour mettre en évidence certains circuits du comportement, par exemple comment celui qui traite l’information visuelle communique avec ceux qui contrôlent la posture du corps de l’insecte quand il vole. De nombreux débats entre spécialistes ont eu lieu pour savoir si le fait de déterminer comment les neurones sont connectés entre eux permet d’accéder à des fonctions d’ordre supérieur. Peut-on vraiment modéliser la réaction de l’insecte à un stimulus visuel en partant du connectome ? Les résultats obtenus sur celui de Caenorhabditis elegans sont plutôt encourageants de ce point de vue. Reste à vérifier que cette approche continue de fonctionner à mesure que l’échelle de complexité du cerveau étudié augmente. Le connectome seul ne permettra pas de répondre à toutes les questions, mais il constitue une base riche sur laquelle travailler. Ainsi, cette carte sera un outil puissant et indispensable pour les neuroscientifiques.

Elle a néanmoins des limites : elle représente le connectome d’un unique individu, à un instant donné et ne contient que les connexions synaptiques entre neurones, sachant que d’autres modalités d’échange de l’information existent dans le cerveau. Mais il ne fait aucun doute qu’avec le progrès des techniques, il sera possible d’obtenir davantage de données et de produire des connectomes plus riches. Et, bien sûr, un des objectifs majeurs sera aussi d’atteindre les capacités techniques nécessaires pour construire celui de différents mammifères, et en particulier de l’humain.

La première carte complète des connexions neuronales chez la drosophile

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Sean Bailly

Sean Bailly est docteur en physique et responsable des actualités à Pour la Science. @seanbailly.

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Références

S. Dorkenwald et al., Neuronal wiring diagram of an adult brain, Nature, 2024.

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