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L'enfer des 200 lycéennes enlevées au Nigeria

L'émotion et la colère après le rapt, mi-avril, de plus de 200 lycéennes par la secte islamiste Boko Haram ne cessent de prendre de l'ampleur.

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Publié le 07 mai 2014 à 11h35, modifié le 07 mai 2014 à 15h57

Temps de Lecture 6 min.

A Chibok, quatre des 53 lycéennes qui sont parvenues à échapper à leurs ravisseurs de la secte Boko Haram, à la mi-avril 2014

On n'ose imaginer sa terreur, ses journées d'espoirs contrariés et ses nuits d'angoisse. Depuis plus de trois semaines, Togu Galang est sans nouvelle de sa fille Rafiatu. Cette adolescente de 15 ans fait partie des captives de Boko Haram, promises selon Aboubakar Shekau, le chef de cette secte islamiste, à être « vendues sur un marché », « mariées » de force ou réduites en « esclavage ».

« Nous prions Dieu tous les jours pour qu'elle soit libérée. Nous ne pouvons rien faire. Nous avons entendu les déclarations de Boko Haram mais nous ne pouvons imaginer qu'ils feront ce qu'ils ont dit », veut croire ce père désemparé, joint au téléphone à Chibok, la localité de l'Etat du Borno dans le nord-est du Nigeria, où plus de 200 lycéennes, âgées de 12 à 18 ans, ont été enlevées à la mi-avril.

Si les différents décomptes s'accordent pour dire que 53 jeunes filles sont parvenues à échapper aux griffes de leurs ravisseurs, le nombre exact de celles qui ont été kidnappées dans la soirée du 14 avril demeure encore flou. La police évoque un rapt de 276 personnes, le président d'une association d'enseignants de Chibok dit en avoir comptabilisé 257, l'association des chrétiens du Nigeria a publié une liste de 180 noms, précisant que 165 de ces jeunes filles sont chrétiennes.

Lire notre décryptage : Cinq questions sur le rapt massif de lycéennes au Nigeria

ÉCOLE COMPLÈTEMENT BRÛLÉE

Les déclarations contradictoires des autorités n'ont fait qu'ajouter à la confusion. Au lendemain de l'enlèvement, le porte-parole de l'armée avait assuré que la quasi-totalité des filles avait été secourue avant de se rétracter et de s'excuser.

Les circonstances de l'enlèvement sont en revanche mieux connues. « Il était 23 h 30 quand j'ai entendu les premiers tirs, déclare Dunoma Npur, un habitant de Chibok. Quelques minutes plus tard, il y a eu des coups de feu plus intenses autour de l'école, alors nous sommes tous partis nous cacher en brousse. Quand nous sommes revenus le lendemain matin, l'école, la maison du gouverneur local et quelques échoppes étaient brûlées. »

Deborah Sanya, 18 ans, a raconté, sur un blog du magazine américain The New Yorker son kidnapping et comment elle a faussé compagnie à ses ravisseurs. Selon elle, les militants islamistes se sont présentés en uniforme de l'armée nigériane dans l'enceinte du lycée. « Ils nous ont dit : “Ne vous inquiétez pas. Rien ne va vous arriver.” » Puis les jeunes internes ont été embarquées dans des camions, sur des motos. L'école a été incendiée. Les hommes armés ont tiré en l'air, manifestant leur joie par des « Allah Akbar ! ». Là, Deborah a compris quelle était l'identité de ces visiteurs nocturnes. Le lendemain, elle a pu s'échapper avec deux amies du campement où les avaient menées leurs gardes, en coupant à travers les bois avant de rejoindre un village où elles ont pu prévenir leurs parents.

Amina Sawok et Thabita Walse ont, elles, raconté au journal nigérian The Punch comment elles ont retrouvé la liberté en sautant en pleine nuit du camion des ravisseurs. « Je ne peux célébrer ma liberté tant que mes amies et mes camarades de classe sont entre les mains des insurgés et que j'ignore ce qu'elles subissent », explique Amina.

Les déclarations, lundi 5 mai, d'Aboubakar Shekau, le chef de Boko Haram, n'ont eu aucun effet apaisant. Ricanant, provocateur, flanqué de quelques combattants au visage masqué, il a pour la première fois revendiqué son acte. « J'ai enlevé vos filles. Je vais les vendre sur le marché, au nom d'Allah », clame-t-il dans un enregistrement vidéo de cinquante-sept minutes transmis à l'AFP. Puis il précise qu'il en gardera certaines « comme esclaves ». « J'ai dit que l'éducation occidentale devait cesser. Les filles, vous devez quitter l'école et vous marier (…) Une fille de 12 ans, je la donnerais en mariage, même une fille de 9 ans je le ferais », ajoute le chef de ce mouvement rebelle, qui a basculé dans un fanatisme aussi absurde que destructeur.

DES SOUPÇONS DE COMPLICITÉ DES SERVICES DE SÉCURITÉ

Selon Marc-Antoine Pérouse de Montclos, professeur à l'Institut français de géopolitique et spécialiste du Nigeria, ce rapt avait été annoncé dans une précédente déclaration et les captives pourraient servir « d'appâts » pour recruter de nouveaux combattants dans un Nord paupérisé, où le prix des dots empêche de nombreux jeunes hommes de trouver une épouse.

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D'après plusieurs sources locales confirmées par le département d'Etat américain, certaines lycéennes ont été transférées hors du pays, au Tchad et au Cameroun où elles auraient été vendues pour une dizaine d'euros. Dans la nuit de lundi à mardi, huit autres filles auraient été enlevées.

L'incapacité des autorités nigérianes à retrouver les lycéennes suscite chaque jour un peu plus de mécontentement et d'interrogations. « Pourquoi cette école a été ouverte pour des examens alors que toutes les autres de l'Etat sont fermées ? Comment les ravisseurs ont-ils pu s'enfuir alors que les routes sont quadrillées ? », se demande le professeur Khalifa Dekoua, suggérant que les ravisseurs ont pu bénéficier de complicités dans les services de sécurité.

A Chibok, Togu Galang raconte qu'aussitôt après l'enlèvement il est parti avec un groupe d'une centaine d'hommes à la recherche de sa fille et de ses compagnes d'infortune. « A environ 50 km de chez nous, près de la localité d'Ezigeguro, des villageois nous ont dit que les gens de Boko Haram étaient cachés dans la forêt. Ils nous ont dit de ne pas les attaquer, car nous n'avions que des arcs et des flèches alors que les insurgés ont des armes lourdes. Nous avons prévenu l'armée et la police mais, depuis, rien n'a été fait », s'agace le père de Rafiatu.

Si ce n'est pas la première fois, loin s'en faut, que les insurgés du nord-est du Nigeria mènent des actions violentes contre des écoles – en juin 2013, 22 étudiants avaient été assassinés à Mamudo et en février 2014, 59 garçons avaient été tués à Buni Yadi –, le rapt de Chibok suscite un émoi sans précédent.

Des manifestations se tiennent quotidiennement au Nigeria, mais aussi dans le reste du monde, pour demander le retour des filles et dénoncer l'incurie du pouvoir. Sur les réseaux sociaux, la campagne Bring Back Our Girls (« ramenez nos filles ») aurait fait l'objet de plus de 850 000 tweets.

« UN COUP PORTÉ À LA FIERTÉ NATIONALE »

Cette mobilisation a poussé Goodluck Jonathan à réagir dimanche. Le président nigérian plus soucieux jusque-là d'empêcher de nouveaux attentats dans la capitale fédérale, Abuja, où s'est ouvert mercredi le Forum économique mondial, et d'éviter une extension des attaques vers les régions d'extraction pétrolière du Sud-Est, a dû concéder que les services de sécurité n'avaient toujours pas retrouvé la trace des lycéennes et se résoudre à lancer un appel à l'aide internationale.

Les Etats-Unis ont envoyé une équipe d'experts et les Britanniques se sont dits prêts à assister les services nigérians dans leurs recherches. « Dans un Nigeria qui refuse généralement toute collaboration sécuritaire, cette demande porte un coup à la fierté nationale et démontre l'inquiétude du président, qui espère être réélu en 2015 », analyse Benjamin Augé, chercheur à l'Institut français des relations internationales.

Alors que les autorités ont lancé, depuis un an, une offensive militaire contre Boko Haram, sans résultat probant pour le moment, Marc-Antoine Pérouse de Montclos considère que, pour venir à bout de cette insurrection, « il faut pousser le gouvernement à une stratégie plus fine qui ne soit pas basée que sur la répression ».

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