Interview

« Les députés s’expriment désormais directement pour leurs followers »

ENTRETIEN. L’économiste Yann Algan dévoile une note qu’il cosigne dans laquelle il dissèque les discours tenus à l’Assemblée nationale.

Propos recueillis par

Mathilde Panot, la cheffe de file des députés LFI, à l'Assemblée nationale le 5 novembre 2024.
Mathilde Panot, la cheffe de file des députés LFI, à l'Assemblée nationale le 5 novembre 2024. © Jacques Witt/Sipa

Temps de lecture : 4 min

Colère, polarisation et tiktokisation… Mesdames et messieurs, bienvenue à l'Assemblée nationale, cette « Assemblée-spectacle » qui s'est encore illustrée à l'occasion du discours de politique générale de François Bayrou, ce 14 janvier. Thomas Renault (Paris-I), Hugo Subtil (Université de Zurich) et le professeur d'économie à HEC Yann Algan publient à son propos La fièvre parlementaire : ce monde où l'on catche, une note richement documentée pour le Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap).

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Les chercheurs ont étudié avec l'aide d'une intelligence artificielle les deux millions de discours prononcés entre 2007 et 2024 au Palais-Bourbon. Ils font le constat d'une chambre dominée par les émotions, plus divisée que jamais et dans laquelle les députés, quand ils ne se coupent pas la parole, récitent des discours adaptés aux codes des réseaux sociaux. Entretien.

Le Point : Vous observez une poussée de fièvre à l'Assemblée, c'est-à-dire ?

Yann Algan : Le premier symptôme de la « poussée de fièvre » décrite dans l'étude est un pic émotionnel. Grâce à l'intelligence artificielle, il a été observé que la rhétorique émotionnelle a explosé depuis 2017, atteignant aujourd'hui 40 % des discours à l'Assemblée nationale.

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La colère est l'émotion qui domine au Palais-Bourbon. Elle est particulièrement marquée chez les députés de La France insoumise, où elle se manifeste dans 75 % des interventions. Elle est assumée et revendiquée par Jean-Luc Mélenchon, qui s'appuie sur les théories de la philosophe post-marxiste Chantal Mouffe, pour qui le conflit est un élément constitutif de la démocratie. Cette rhétorique colérique demeure également très marquée au sein du Rassemblement national, autour de 75 %, bien qu'elle tende à s'atténuer ces dernières années, en raison de la stratégie de normalisation adoptée par Marine Le Pen, symbolisée par le port de la cravate et une posture plus institutionnelle.

Et le deuxième symptôme ?

La deuxième dimension illustrative est la polarisation croissante de l'Assemblée nationale. Celle-ci se manifeste d'abord par une explosion des interruptions : aujourd'hui, une intervention sur deux dans l'hémicycle prend la forme d'une interruption ou d'une attaque verbale, visant un collègue ou un ministre. Un exemple marquant est le premier discours du ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, en 2020, constamment interrompu, illustrant le climat de tension extrême.

Cette polarisation se reflète également dans l'analyse du champ lexical et des thématiques abordées par les députés. Les divergences sont telles qu'elles dessinent un fossé idéologique comparable à celui qui sépare républicains et démocrates aux États-Unis, traduisant une fragmentation profonde du débat parlementaire.

Vous notez aussi que les interventions raccourcissent et s'appauvrissent. Comment l'expliquez-vous ?

Lorsqu'on se concentre uniquement sur les interventions visant à développer un argument ou une idée, un phénomène frappant émerge : la durée moyenne des interventions a été réduite de moitié au cours de la période étudiée. Ce constat est mesuré à travers le nombre moyen de mots par intervention.

LFI est devenu le groupe avec le temps de parole moyen le plus faible, limité à 150 mots par intervention.

Le retournement le plus spectaculaire concerne (LFI) et la gauche radicale. Durant la législature 2012-2017, ces groupes étaient incarnés par des figures de tribuns, prononçant de longs discours argumentés, et disposaient du temps de parole le plus élevé. Aujourd'hui, LFI est devenu le groupe avec le temps de parole moyen le plus faible, limité à 150 mots par intervention.

Ce format semble bien calibré pour les réseaux sociaux…

Ce format de 150 mots correspond précisément à la durée d'une vidéo d'une minute, optimisée pour les réseaux sociaux comme X, TikTok ou Instagram. Les députés, notamment de LFI mais aussi du RN, semblent s'exprimer davantage pour leurs followers que pour leurs collègues à l'Assemblée.

Le député Francois Ruffin, à l'Assemblée nationale en 2018.
 ©  Jacques Witt/Sipa
Le député Francois Ruffin, à l'Assemblée nationale en 2018. © Jacques Witt/Sipa

Ce phénomène, surnommé les « ruffinades » en référence à François Ruffin, traduit une transformation profonde de la fonction parlementaire. Une anecdote en témoigne. Lorsqu'un député LFI prend la parole, les autres députés lancent un « Moteur ça tourne… » ou encore « Ça tourne… les sous-titres sont-ils prêts ? ».

Ce qui vous amène à parler d'« Assemblée-spectacle » ?

Cette « tiktokisation » illustre une transformation profonde. Certes, l'Assemblée nationale a toujours eu une dimension théâtrale, notamment sous la IIIe République, mais le public a radicalement changé. Autrefois, les députés s'adressaient à leurs collègues ou aux journalistes, cherchant à démontrer leur maîtrise des sujets et à argumenter sur des faits.

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Aujourd'hui, on assiste à une véritable désinstitutionnalisation : les députés s'expriment directement pour leurs followers sur les réseaux sociaux. Certains répètent même plusieurs fois les mêmes interventions sur différents amendements, non pour enrichir le débat, mais parce qu'ils jugent que leur première « prise » n'était pas assez réussie.

À Découvrir Le Kangourou du jour Répondre Une désinstitutionnalisation ? Le terme est fort.

Les codes des réseaux sociaux ont infiltré le cœur de la démocratie représentative. Les députés ne se parlent plus pour échanger des arguments ou rechercher des alliances. Au lieu de chercher des points de convergence, ils privilégient les attaques et les insultes, transformant leurs adversaires en ennemis. Cette violence politique, exacerbée par les logiques des réseaux sociaux, survient paradoxalement à un moment où l'Assemblée, en situation de majorité relative, aurait tout à gagner à renouer avec le dialogue et la persuasion pour construire des plateformes communes.

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Commentaires (5)

  • DenisT

    …. Les politiques ont toujours fait des déclarations qui flattent leurs électeurs…
    Rien de nouveau si ce n’est le canal... de communication.

  • xwm38

    Sont comme Trump. Il leur faut une information en 2min, ou 1/2 page pour comprendre tout problème qui se présente. Pour ...être bref, il est impératif de jouer sur l'émotion plutôt que la raison pour renforcer leurs convictions.

  • Michel29

    Eh bien, interdisons à l'Assemblée tout appareil de prise vue (potable et camera) et le problème sera résolu...