Entre 7.000 et 10.000 adolescentes sont forcées de se prostituer en France.Une équipe de TF1 a rencontré des familles victimes de ce fléau.
Depuis plus de deux ans, Léna vit dans l'angoisse. Cette mère de famille a vu sa fille, Marie, basculer dans un réseau de prostitution à seulement 12 ans. "On n'est pas prêt pour ce genre de choses. On n'est pas préparés pour ce genre d'annonces. On n'est pas préparés pour voir ce genre d'images, ni entendre ces mots. On se dit que ça ne peut pas arriver chez nous, d'autant plus que je suis infirmière, donc il y a eu pas mal de prévention", témoigne-t-elle.
Marie s'est comme évaporée. Introuvable depuis de longs mois, elle est tombée dans le piège sur les réseaux sociaux. Léna tente le tout pour le tout pour retrouver sa fille. "On n'est plus maman, on est surveillante de nuit, enquêtrice, psychologue. On se fait passer pour des clients, on remue ciel et terre. On vit avec la peur et l'angoisse qu'on nous appelle pour nous dire que Marie a été retrouvée morte."
Des adolescentes abordées dès le collège
Cette famille n'est pas la seule touchée par la prostitution des mineures. Le premier plan national (nouvelle fenêtre) de lutte contre ce fléau, publié fin 2021, recensait "entre 7000 et 10.000" victimes. La faute à des sites spécialisés où des petites annonces proposent des relations sexuelles payantes. L'âge des femmes est alors invérifiable et la justice française ne peut pas fermer la principale plateforme, car elle est hébergée au Canada.
Après un premier contact en ligne, les proxénètes (nouvelle fenêtre) donnent rendez-vous dans des hôtels à bas prix. C'est dans l'un d'eux, situé dans le Val-d'Oise, qu'Inès, 12 ans, a été prostituée. Sur les images de vidéosurveillance que s'est procuré le JT de TF1, elle porte même un pyjama d'enfant. Sous emprise, elle ne s'est pas enfuie. Pour elle, tout a commencé au collège. "Elle a été abordée par une copine qui lui a laissé miroiter qu'elle pourrait gagner beaucoup d'argent", raconte son avocat, Me Christian Gallon.
On fait tout pour les virer
Gérant d'hôtel qui souhaite rester anonyme
Une dizaine de clients défilaient chaque jour dans les couloirs de l'hôtel, suivis par les allers-retours des commanditaires, âgés de seulement 20 et 21 ans. "Ce sont eux qui réservent les chambres et qui font passer les annonces. Ce sont des réseaux organisés, ils savent très bien comment ça fonctionne et ils connaissent bien sûr l'âge, même s'ils s'en défendent", assure l'avocat. Dans cette affaire, cinq hommes ont été condamnés à de la prison ferme. Ils ont entre 24 et 35 ans et exerçaient des métiers aussi variés que restaurateur, ambulancier ou encore expert-comptable.
Les gérants des hôtels sont souvent démunis face à ce type d'activités illégales. "On leur demande où ils vont. Ils nous donnent le numéro de chambre donc on va les voir. On leur dit que chez nous, il n'y a pas de ça, qu'il faut arrêter. Il y en a qui sortent, ils essaient de rentrer par les portes de secours. On fait tout pour les virer", promet un professionnel, qui finit régulièrement par appeler la police. Mais quand cette dernière arrive, les mineurs nient en bloc.
Enlèvements et drogue
"La victime ne se considère pas comme victime. Elle a l'impression d'être consentante. On a en général une vraie emprise psychologique, mais aussi numérique sur les victimes, parce qu'elles rendent compte en permanence via les messageries cryptées de leur activité, du nombre de passes qu'elles font, de l'argent qu'elles gagnent", explique Lénaïg Le Bail, cheffe de l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), placé sous la Direction nationale de la police judiciaire.
L., 16 ans, a été kidnappée pour être prostituée. "Ils m'ont tirée dans la voiture, ils ont fermé la porte et derrière, il y avait des couvertures, des habits de filles, du shampooing." Elle est même droguée avec du protoxyde d'azote. S'ensuit une semaine pendant laquelle "ils font venir des gens. Et je suis dans la chambre avec tous ces gens, un par un. Ils donnent de l'argent". "J'étais tout le temps paralysée. Je n'arrivais pas à parler, ni à crier, ni à dire stop. Ils me vendaient, c'étaient des gens qui vendaient des filles", se souvient-elle, émue.
Grâce à l'action des gendarmes, la jeune fille est rapidement retrouvée, à 500 km de chez elle. Mais pour sa mère, le calvaire continue : "Ma fille ne sera plus jamais la même, je pense. Et ça, ça me fait mal. En tant que maman, je pense que je suis morte à l'intérieur de moi. Mais ma fille est là, c'est le principal." Le proxénète a été interpellé et placé en détention provisoire. Les enquêteurs ont fort à faire : les enquêtes pour prostitution de mineurs ont été multipliées par 10 depuis 2015.