Pourquoi Marine Le Pen ne participe pas à l'investiture de Donald Trump

ENTRETIEN. Historien, spécialiste des extrêmes droites, Nicolas Lebourg analyse l’absence d’invitation de la candidate du RN à la présidentielle à Washington.

Propos recueillis par

Temps de lecture : 5 min

Donald Trump doit être officiellement investi pour son nouveau mandat présidentiel lundi 20 janvier 2025. Parmi les invités, on y retrouve les dirigeants internationaux les plus radicaux de la planète : Giorgia Meloni, Viktor Orban ou encore Javier Milei. Pour représenter la France, pas d'Emmanuel Macron, mais le 47e président américain pourra compter sur la présence d'Éric Zemmour, de Sarah Knafo et de Marion Maréchal… Mais pas celle de Marine Le Pen. La triple candidate du Front national (devenu Rassemblement national, RN) à l'élection présidentielle ne fera donc pas partie du voyage à Washington. Comment expliquer cette absence ? Le Point a interrogé l'historien et spécialiste des extrêmes droites Nicolas Lebourg, chercheur au Centre d'études politiques et sociales (Cepel), rattaché au CNRS et à l'université de Montpellier et auteur en 2024 de Paris-Moscou, un siècle d'extrême droite, avec Olivier Schmitt (éd. Seuil).

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Le Point : Marine Le Pen ne semble pas avoir été invitée à l'investiture de Donald Trump. Est-ce surprenant ? Comment expliquer qu'Éric Zemmour, Sarah Knafo et Marion Maréchal le sont déjà et pas le Rassemblement national ?

Nicolas Lebourg : On peut y voir un effet croisé des marchés politiques des deux côtés de l'Atlantique. En France, Marine Le Pen a construit son originalité politique par rapport à son père en accentuant l'angle social et interventionniste de l'État et en reculant sur la conception ethnique de la nationalité. En revanche, Éric Zemmour assume cet ethnicisme, au cœur de son discours sur le « grand remplacement », et un libéralisme économique poussé. En cela il est plus proche de l'extrême droite américaine. Ses livres témoignent d'un antiaméricanisme obsessionnel, mais ce qu'il reproche aux États-Unis, c'est son rôle dans la transnationalisation du monde, par exemple à travers le rôle de l'Otan. Or le trumpisme méprise absolument ces éléments transnationaux. D'ailleurs, dans son dernier ouvrage, le président de Reconquête ! raconte avoir eu un échange téléphonique avec Trump qu'il qualifie d'« amical », de « chaleureux » et de « fraternel ».

Malgré sa réputation controversée, Jean-Marie Le Pen avait réussi à rencontrer Ronald Reagan. Comment expliquer que sa fille peine toujours à rencontrer Trump ?

Quand le président Reagan serre la main de Jean-Marie Le Pen devant les photographes, il ne sait pas qui il est. L'événement a été organisé par la secte Moon, une secte d'origine coréenne très active dans les réseaux anticommunistes internationaux qui à l'époque finance le FN. C'est aussi elle qui organise la visite de Jean-Marie Le Pen auprès du Congrès juif mondial à New York. Pour Reagan, il s'agit juste de soutenir un anticommuniste présenté par des gens indiscutables sur cette question. Le problème est simple : quelle est la plus-value pour Trump de soutenir Marine Le Pen ? Ce n'est pas une question idéologique mais pragmatique.

À LIRE AUSSI Le Pen père, Le Pen fille : l'incompétence économique en héritageEst-ce une énième étape de la stratégie de dédiabolisation de Marine Le Pen de ne pas soutenir publiquement Donald Trump ?

Le point constant du FN/RN en relations internationales, ç'a toujours été de chercher des partenaires qui l'aident à se normaliser face aux électeurs français. Si des amis deviennent encombrants, il change d'amis. Or, Trump est imprévisible et, selon un sondage récent, 8 Français sur 10 ont une mauvaise image de lui, et le résultat est encore pire chez les retraités et les cadres qui sont précisément les secteurs sur lesquels le RN concentre ses efforts depuis 2022. Certes, l'image de Trump est meilleure chez les sympathisants RN, mais Marine Le Pen et Jordan Bardella ne sont pas idiots : tresser outrageusement des lauriers à Trump pourrait être délicat à gérer quand celui-ci aura lancé une guerre douanière contre notre agriculture. Après l'invasion de l'Ukraine, Marine Le Pen ou Éric Zemmour ont dû dépenser beaucoup d'énergie pour justifier leur admiration antérieure de Vladimir Poutine. Le second, outsider, n'a rien à perdre, la première a une présidentielle à gagner : pourquoi recommettrait-elle la même erreur ?

La stature internationale de la candidate du Rassemblement national est-elle son talon d'Achille ?

C'est un des paradoxes de Marine Le Pen. Quand elle prend la présidence du FN en 2011, elle est très consciente qu'il faut crédibiliser son offre politique. Pour paraître sérieuse elle cherche d'elle-même à investir les sujets internationaux. Résultat, elle s'avance devant l'opinion avec deux grands thèmes : la sortie de l'euro, la sortie de l'Europe via un rapprochement avec la Russie. Cela va lui prendre dix ans pour admettre que non seulement ces propositions ne la crédibilisent pas, mais, au contraire, se sont des boulets électoraux. On ne peut pas dire que le RN ait su depuis réinventer une offre originale et lisible. À la dernière présidentielle, elle a présenté une synthèse en affirmant qu'elle proposerait par référendum que la Constitution affirme « la supériorité du droit constitutionnel sur le droit européen », une position souverainiste affaiblissant l'Union européenne dans les tractations internationales : ça n'est sans doute pas désagréable aux oreilles de Trump. Mais Jordan Bardella a néanmoins su imposer sa petite musique personnelle sur la question russo-ukrainienne et cela bénéficie aussi à Marine Le Pen, en donnant une image moins monolithiquement pro-Poutine à son camp. De même, dans l'ouvrage qu'il a publié, il est notable qu'il ne cite Trump qu'une seule fois, au sujet des mesures protectionnistes face à la Chine, à propos desquelles il souligne la cohérence avec des mesures de l'administration Biden.

À LIRE AUSSI Le RN après Jean-Marie Le Pen, le populisme en héritageEst-ce que le fiasco de sa rencontre manquée avec Donald Trump en 2017 a marqué l'opinion (Marine Le Pen s'était rendue à la Trump Tower sans rencontrer Trump) ?

Il y a ceux qui ne s'en souviennent pas, et ceux qui se souviennent que 2017, c'est aussi l'année de son débat catastrophique contre Emmanuel Macron et qu'à l'évidence elle a depuis mûri. Difficile, donc, de penser que cela puisse avoir une importance signifiante.

À Découvrir Le Kangourou du jour Répondre Quels sont les alliés internationaux sur lesquels Marine Le Pen peut compter aujourd'hui ?

Les alliances du parti sont à géométrie variable. Mais certains partis nationaux-populistes réunis au sein du groupe Patriotes pour l'Europe (ex groupe ID) au Parlement européen sont des partenaires de longue date : le Vlaams Belang belge, le FPÖ autrichien ou la Ligue italienne. Or, on revient à l'aspect utilitariste des relations internationales. Quand, il y a 25 ans, pour la première fois, l'Autriche avait envoyé son extrême droite au pouvoir, il y avait eu une grande inquiétude en Europe et l'agitation du souvenir du nazisme, et le FN avait pris ses distances. Là, bien au contraire, le RN pourrait entonner le refrain de « nos idées prennent le pouvoir partout, vous voyez que ça n'a nulle part rien à voir avec le nazisme, et il ne reste que les nationalistes contre les mondialistes ». Le RN a un objectif : la présidentielle française, tout le reste en découle.

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Commentaires (44)

  • Albertantique

    Une invitation contre une non invitation. Trump à notre Dame et Marine à Dunkerque et pas à Washington !

  • lorlei

    On constate que ce président des États Unis (comme sans aucun doute les précédents) est très bien renseigné sur tel et t...el politique français, il doit en être de même sur ceux des autres pays du monde.
    Le président Poutine en sait -il autant ?

  • Yuropp

    @ Le Poing ! 20-01-2025 • 11h59 : "Dans la liste des invités, on retrouve notamment le maire de Perpignan…"
    Trump est p...eut-être un admirateur de Salvador Dali ? En fait, c'est le chef de gare qu'il voulait inviter ! Mais les politiciens comprennent tout de travers, au point de se croire importants…