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C’est un courant artistique admiré et reconnu dans le monde entier : le Bauhaus. Fondé en 1919 avant d’être interdit par les nazis, ce mouvement a représenté une révolution pour l’architecture de l’époque. Mais l’extrême droite allemande remet en question l’héritage du Bauhaus.
Au premier étage du bâtiment à la large façade vitrée, voici le clou de la visite suivie ce matin-là par un groupe de lycéens : le bureau de Walter Gropius, l’inventeur du Bauhaus. Larges fenêtres pour faire entrer la lumière, haut plafond… l’intérieur est sobre et dépouillé. Fonctionnel plutôt qu’esthétique. C’est l’esprit de ce courant artistique né au lendemain de la Première Guerre mondiale, explique la directrice de la Fondation Bauhaus de Dessau, Barbara Steiner. "Après la guerre, c’était la misère. Il y avait une crise du logement. On n’avait pas de moyens et les gens vivaient dans des conditions difficiles. Le Bauhaus s'est alors demandé comment construire très rapidement un grand nombre de logements de qualité, tout en dépensant le moins possible et avec le minimum de matériaux ? C'était l'exigence sociale du Bauhaus. Il a apporté une réponse à ce défi et a ainsi marqué une époque."

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Les logements, abordables et fonctionnels, sortent de terre. Ils font la part belle aux matériaux industriels, l’acier et le verre. Le béton est très présent également. Les bâtiments sont conçus en formes de carré, de rectangle ou de cercle. Les maisons et les immeubles en préfabriqué font leur apparition. Un peu plus tard, c’est l’époque des Plattenbau chers au régime communiste. Tout est pensé de façon très pratique, à l’image des cuisines, entièrement aménagées. "La cuisine a été repensée de manière très fonctionnelle" détaille Ulrike Lorenz, la présidente de la fondation Klassik Stiftung Weimar, qui gère l’héritage du Bauhaus. "La ménagère était au centre et elle avait autour d’elle les appareils et objets intégrés : une cuisinière, un évier, des placards suspendus… Les cuisines modernes que nous avons aujourd'hui ont été inventées à cette époque. C’était une révolution majeure. Le Bauhaus est l'incarnation du progrès au 20ᵉ siècle."

C’est cet héritage que l’AfD remet aujourd’hui en question alors que l’école d’art de Dessau s’apprête à célébrer son centenaire. Hans-Thomas Tillschneider, député d’extrême droite, lassé de la glorification du Bauhaus, réclame "un inventaire critique" de son héritage. Devant les députés du Parlement de Saxe-Anhalt, il a évoqué un art d’une laideur abyssale. "L’idée directrice du Bauhaus était la rupture avec toutes les traditions de construction, et l'assemblage de maisons à partir d'éléments préfabriqués. Il s'agit en réalité d'une vision d'horreur, d'une vie dans un espace réduit, pleine d'interdictions et de restrictions. Les styles architecturaux différents d'un pays à l'autre et d'une région à l'autre devaient être partout les mêmes. Le Bauhaus ne peut donc pas nous servir de modèle, mais seulement d'aberration historique."

À écouter
"Art dégénéré"
En 1933, le régime de Hitler avait interdit le Bauhaus, qualifié "d’art dégénéré". L’historienne de l’art Anke Blümm est l’une des meilleures connaisseuses du Bauhaus. Elle lui a consacré une thèse et dénonce les arguments absurdes et infondés de l’AfD : "Ce sont les mêmes reproches que dans les années 20. Ils évoquent un espace exigu et l’horreur du vivre-ensemble. Ils considèrent que c’est un style international qui s’est répandu partout et qu’il manque une identité allemande. C’est une forme de racisme. Il est légitime de penser que nous ne referions pas la même chose aujourd’hui. De la même façon, nous ne roulons plus dans les voitures construites dans les années 20. Mais à l’époque, cet habitat moderne, cette construction rapide et bon marché ont répondu à une crise profonde. Et le Bauhaus a tenté d’apporter des solutions. L’AfD polémique et diffame l’architecture moderne sans avoir rien d’autre à proposer à la place."
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
Le milieu culturel s’interroge sur la stratégie de l’extrême droite et sur les raisons de cette attaque en règle contre le mouvement Bauhaus. Rainer Robra, le ministre de la Culture de la région de Saxe-Anhalt, a son idée sur la question. Il nous reçoit dans son bureau, à Magdebourg. "L’AfD regarde avec quels thèmes le parti nazi a eu du succès il y a 100 ans et reprend ces thèmes, un par un, pour élargir son électorat… Et il y a la culture. On vit la même chose avec le théâtre. On ne devrait plus jouer que des pièces allemandes. La musique moderne ne leur plait pas. Tout est trop international… Ce sont des positions idiotes dans les domaines les plus divers de la culture. Quand on argumente et qu'on critique le modernisme et le Bauhaus, il faut faire très attention à ne pas tomber dans le jargon du nazisme, dans le jargon du Reich allemand. Nous avons une responsabilité en Allemagne vis-à-vis du passé."
La polémique a offert au Bauhaus un coup de projecteur inattendu et les visiteurs se pressent à Dessau, Weimar et Bernau, les foyers du mouvement. Les trois sites sont classés au patrimoine culturel mondial de l’Unesco.
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