
ENVIRONNEMENT - On connaissait déjà l’impact environnemental de l’envoi d’un mail, du streaming d’une série… Les chercheurs se penchent désormais sur une question bien plus complexe : évaluer ce que les IA génératives, ces outils capables de rédiger un texte, de coder un programme ou de créer une image en quelques secondes, coûtent à la planète. Alors qu’ouvre le sommet de Paris sur l’IA ces 10 et 11 février, Le HuffPost s’est interrogé : ChatGPT ou son tout récent cousin chinois DeepSeek sont-ils des gouffres énergétiques ? À chaque requête, combien de CO₂ est émis ? Quelle quantité d’eau est pompée ?
Des questions auxquelles les créateurs de ChatGPT ou Deepseek se gardent bien de répondre avec précision. Et interroger l’IA elle-même ne mène qu’à des pirouettes : « Il est difficile de quantifier précisément mon empreinte carbone », répond ChatGPT. DeepSeek se veut rassurant : « Une requête simple consomme très peu d’énergie, probablement l’équivalent de quelques secondes d’une ampoule LED. »
Les études indépendantes racontent une tout autre histoire. Dès 2019, le MIT Technology Review révélait qu’entraîner un modèle comme GPT-3 avait généré 552 tonnes de CO₂, soit autant que 205 allers-retours Paris-New York en avion. Et l’impact ne s’arrête pas une fois le modèle en service : chaque question posée active des centres de données qui tournent jour et nuit, engloutissant électricité et eau. C’est ainsi qu’une requête sur un outil comme ChatGPT consomme au moins dix fois plus d’électricité qu’une recherche sur Google, indique l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
Mais comment s’imaginer ce que représente cette consommation par rapport à notre quotidien ? Pour y voir plus clair, Le HuffPost, s’est entretenu avec Amélie Cordier, docteure en IA à l’université de Lyon et fondatrice de Graine d’IA.
Le HuffPost : À quel point est-ce polluant d’utiliser ChatGPT ou une IA conversationnelle au quotidien ?
Amélie Cordier : Des outils permettent de mesurer concrètement l’impact environnemental d’une requête soumise à une intelligence artificielle. L’un d’eux, ComparAI, a été développé par un collectif de chercheurs et est accessible sur le site des expérimentations du gouvernement français. Son principe est simple : on pose une question à une IA et l’outil affiche la quantité d’énergie consommée pour y répondre.
Ce mardi, mes étudiants l’ont testé, et selon les requêtes, nous avons constaté une consommation équivalente à l’allumage d’une ampoule LED pendant une heure, voire une journée entière… C’est un ordre de grandeur pour une seule question !
Comment repérer qu’une IA pollue plus qu’une autre ? Pourrait-on par exemple imaginer un écoscore, comme celui utilisé sur les produits alimentaires ?
Il faudrait un écoscore dans le monde de l’IA. Cela permettrait une prise de conscience autour de l’impact de ces modèles. Aujourd’hui, l’utilisateur ne peut pas s’imaginer que, lorsqu’il pose une question, des processeurs réalisent des millions de calculs à la minute dans des centres de données, situés dans des data centers, eux-mêmes installés dans des pays froids ou près des rivières, pour les refroidir.
Pour évaluer cet impact, trois critères devraient être pris en compte : l’électricité consommée pour entraîner et faire fonctionner le modèle, la quantité d’eau utilisée pour refroidir les serveurs, et les ressources matérielles nécessaires, notamment les terres rares présentes dans les puces et les équipements électroniques, et dont l’extraction demande d’énormes quantités d’eau et d’énergie.
L’arrivée de Deep Seek, appli développée avec moins de moyens que ChatGPT, ouvre-t-elle l’ère d’IA plus « écolo » ?
On sait depuis longtemps que la débauche de moyens déployés pour entraîner des modèles comme ChatGPT n’est pas soutenable. On ne peut pas mobiliser autant de données pour obtenir une simple recette d’œufs au plat à la ciboulette… Ça n’a aucun sens.
DeepSeek est le premier à montrer au grand public qu’il est possible de « faire mieux avec moins » dans le domaine de l’IA générative. Mais il n’est pas le premier à aller dans cette direction : depuis plusieurs années, certains modèles ont prouvé qu’ils pouvaient être très performants avec un nombre de paramètres réduit.
Cela dit, même si c’est une avancée positive d’obtenir ces performances avec moins de puissance, on peut s’attendre à un « effet rebond ». Si le coût d’utilisation diminue, les usages se multiplient, c’est mathématique.
DeepSeek recommande lui-même de « privilégier des interactions courtes et ciblées », pour limiter l’impact environnemental de son utilisation. Est-ce un bon conseil ?
C’est une bonne recommandation. Il faut retenir que plus vous interagissez avec l’IA, plus votre contexte d’interaction augmente, comme une espèce de ballon de baudruche qui gonflerait à chaque fois que vous posez des questions supplémentaires. Et plus le contexte d’interaction augmente, plus on fait exploser la quantité de calculs nécessaires. Il faut donc privilégier des interactions courtes.
Le fait de poser une question ciblée permet aussi d’économiser de l’énergie. DeepSeek, par exemple, dispose de plusieurs modules spécialisés selon les types de problèmes à résoudre. En formulant une requête précise, l’outil ne charge que les données essentielles pour répondre, ce qui limite sa consommation énergétique.
Les IA conversationnelles peuvent être utiles dans de nombreuses situations. Mais bien souvent, on les sollicite moins par nécessité que par facilité. Avant de poser une question, il est donc bon de se demander : est-ce vraiment la seule manière de trouver la réponse ?
Le développement des IA est aussi utile à la transition écologique. De ce point de vue, contribuent-elles plus au changement climatique qu’elles n’aident à le résoudre ?
À ce jour, l’IA est déjà très utile à la recherche, notamment pour les projections météo et climatiques. Elle l’est aussi sur le terrain : par exemple, certains modèles permettent aux municipalités de calculer le positionnement optimal des panneaux solaires sur les toits des bâtiments publics, afin de maximiser la production d’énergie tout en minimisant l’utilisation de matériaux.
En revanche, si les utilisateurs de l’IA passent leur temps à y recourir pour un usage récréatif ou paresseux, cela vient saper les effets bénéfiques. Soyons concrets : générer des images de lapin avec des grandes oreilles pour illustrer son PowerPoint à sa direction ne risque pas de faire bouger les lignes de l’environnement de sitôt. Désormais tout est question d’éthique.
À voir également sur Le HuffPost :