Accéder au contenu principal
UKRAINE

Présidentielle ukrainienne : "Nous allons assister à la mort d’un État"

Les diplomates occidentaux misent sur l’élection présidentielle ukrainienne pour mettre un terme aux sanglants affrontements dans l’Est. Mathieu Boulègue, chercheur spécialiste de l’Ukraine, se montre moins optimiste.

AFP | Un séparatiste pro-russe décroche le drapeau ukrainien d'un bâtiment de la ville de Marioupol, dans l'Est.
Publicité

Après l’incendie meurtrier du 2 mai à Odessa, puis les violents affrontements entre milices pro-russes et soldats de l’armée ukrainienne à Sloviansk quelques jours plus tard, les chefs d’État occidentaux tentent de faire pression sur Moscou pour que l’élection présidentielle prévue le 25 mai soit maintenue et se déroule le plus pacifiquement possible.

Mathieu Boulègue, spécialiste de l’Ukraine, est chercheur à l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE) et associé au sein du cabinet de conseil Aesma. Il décrypte la situation pour FRANCE 24, à quelques semaines d’un scrutin à haut risque.

FRANCE 24 - Dans le contexte d’extrême tension qui règne actuellement en Ukraine, pensez-vous que l’élection présidentielle prévue le 25 mai puisse avoir lieu ?

Mathieu Boulègue - Je n’imagine pas que le scrutin soit annulé. Kiev a besoin qu’il ait lieu pour montrer que le gouvernement ukrainien est capable de passer dans la phase politique "post-Maïdan". Washington a besoin de ces élections pour essayer de maintenir une unité dans le pays. Et la Russie en a aussi besoin pour mieux la délégitimer après coup.

Mais Moscou va tout faire pour que les conditions du vote soient mauvaises dans l’Est, pour décrédibiliser au maximum le gouvernement ukrainien par intérim que les Russes ne reconnaissent toujours pas et considèrent comme un instrument de l’Europe. Il me paraît évident que le vote sera entaché de fraudes et de gros problèmes sécuritaires, le tout encouragé par Moscou.

F 24 - Mais concrètement, alors que les bâtiments publics de plusieurs villes de l’Est restent aux mains de séparatistes pro-russes, organiser cette élection sur tout le territoire ukrainien s’annonce extrêmement compliqué, si ce n’est impossible…

L’OSCE [l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, NDLR] a tant bien que mal essayé de mettre en place des bureaux de vote sur l’intégralité du territoire ukrainien. Mais certaines villes sont devenues des enclaves qui échappent aujourd’hui complètement au contrôle de Kiev et où il est quasiment impossible, si la situation ne change pas d’ici quelques jours, d’organiser le scrutin. Je pense qu’il sera possible d’organiser l’élection tant bien que mal, mais je suis certain que Moscou en contestera la légitimité.

F 24 – La Russie pourrait-elle y trouver l’occasion de déployer ses troupes dans l’Est, comme le redoutent les Occidentaux ?

Moscou n’a même plus besoin d’intervenir parce qu’il y a suffisamment de pro-russes dans l’est de l’Ukraine pour entretenir le mouvement. Mes contacts dans cette région me rapportent des affrontements permanents entre milices para-militarisées. La Russie n’a eu qu’à donner l’impulsion, les milices ont immédiatement pris le relais.

Les Russes n’ont, de toute façon, pas intérêt à intervenir physiquement : ils ne veulent pas récupérer l’est de l’Ukraine, ils ont besoin de conserver le pays dans son intégralité pour en faire une zone tampon, comme la Transnistrie [région séparatiste de Moldavie contrôlée de facto par Moscou, NDLR]. Ce sont des sortes d’exutoires territoriaux qui permettent une stabilité stratégique des blocs. Nous sommes dans une bonne vieille logique de guerre froide !

Mais le fait que les Russes ne veuillent pas récupérer le territoire de l’est ukrainien ne signifie pas qu’ils renoncent à leur mainmise sur le pays. Au contraire. Ils cherchent la fédéralisation de l’Ukraine, un projet qu’ils évoquent ouvertement depuis début décembre. En somme, Moscou continue son petit bonhomme de chemin et ne fait qu’appliquer le plan prévu depuis des mois.

F 24 – Qu’est-ce que cela signifie sur le terrain ?

Ce que les Russes veulent, c’est une décentralisation accrue du pays avec une plus grande autonomie des régions dans leur choix de gouvernance, de politique étrangère…  L’objectif serait de faire de l’Ukraine une confédération de différentes entités. L’Est reviendrait ainsi sous l’influence russe sans forcément être annexé.
Quand on écoute les déclarations de Kiev, on se dit que Moscou a gagné. Il y a quelques semaines, le président par intérim Olexandre Tourtchinov avait annoncé qu’il n’était pas contre une fédéralisation, certains diplomates étrangers commencent également à évoquer cette option. Dans la rhétorique, Moscou a déjà gagné et la marge de manœuvre de Kiev est nulle.

Nous allons assister devant les caméras à la mort d’un État. Je suis pessimiste, je pense que d’ici 6 mois, 1 an, 2 ans, l’Ukraine telle qu’on la connaît aujourd’hui va disparaître.

F 24 – Pour les diplomates occidentaux l’élection présidentielle semble être synonyme de sortie de crise. Qu’en pensez-vous ?

À mon sens, l’élection ne va calmer le jeu que temporairement. Le problème, c’est que la gestion de la crise se fait entre Moscou et Washington alors que la solution se trouve à Kiev. Le peuple ukrainien se retrouve dépossédé de la gestion et de la sortie de la crise. Il aurait fallu organiser un référendum sur la question territoriale. C’est d’ailleurs ce que voulait le pouvoir ukrainien. Ce projet a été présenté hier [mardi 6 mai] devant la Rada [le Parlement ukrainien, NDLR] mais il a été rejeté. Donc la possibilité d’une réelle sortie de crise a encore une fois été écartée. C’était l’occasion de faire en sorte que le peuple ukrainien exprime ses choix. Et, accessoirement, ça aurait été l’occasion de voir si le sujet divise les Ukrainiens autant qu’on le prétend. Ça serait intéressant de savoir réellement quel est leur sentiment…

Le résumé de la semaineFrance 24 vous propose de revenir sur les actualités qui ont marqué la semaine

Emportez l'actualité internationale partout avec vous ! Téléchargez l'application France 24

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.