La même scène se répète tous les soirs devant l’hôtel de ville de Paris. Une trentaine d’enfants, arrivés de toute la ville, patientent pendant que leurs parents tentent par tous les moyens de trouver un abri pour la nuit.
Un peu partout, on entend des bébés pleurer dans leur poussette. Bamala Dembélé, enceinte de cinq mois, respire lourdement en poussant la sienne. Toute la journée, elle doit la transporter dans le métro pour se rendre dans des accueils de jour ou des refuges. « Je suis fatiguée », murmure-t-elle en replaçant la couverture sur sa fille.
Bamala est à la rue depuis l’échec de sa demande d’asile, il y a quatre mois. Comme elle est sans papiers, elle ne peut pas travailler ni accéder à du logement social.
Près d’elle, des passants se dirigent, sans s’arrêter devant la centaine de sans-abri, vers les célèbres grands magasins qui bordent la place. La scène est devenue presque banale en France, où 2043 enfants par jour se retrouvent sans solution d’hébergement, dont 1405 en région parisienne, selon un décompte réalisé par l’UNICEF en août 2024. Parmi eux, 463 ont moins de 3 ans.
« Bonne chance »
Comme tous les soirs ici, l’ambiance est fébrile. Épaulée par des bénévoles, la foule de personnes itinérantes, dont les parents des enfants, tente de trouver un hébergement de dernière minute.
La majorité a déjà composé le 115, un numéro consacré à l’hébergement d’urgence, qui permet parfois d’avoir une chambre d’hôtel pour la nuit ou pour quelques jours. Mais le système est débordé : même les familles, prioritaires, n’ont souvent pas de place. « J’appelle matin, midi et soir, mais on me répond toujours : “Bonne chance, madame, bon courage, madame” », désespère Nino Pantsulaia, une immigrante géorgienne présente avec ses trois enfants, à la rue depuis cinq mois.

PHOTO JULIEN DE ROSA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE
Un policier procède à l’évacuation de migrants sans abri soutenus par l’association Utopia 56 qui occupaient la place devant l’hôtel de ville de Paris, en octobre 2021.
Nino vient ici pour essayer d’être prise en charge par l’association Utopia 56, qui trouve des particuliers prêts à offrir un hébergement quelques jours chez eux. L’organisme a aussi un refuge à Bagnolet, mais les enfants y trouvent les nuits difficiles. « C’est une salle avec 100 personnes entassées… il y a des gens qui crient, il y a des bébés qui pleurent. Impossible de dormir », énumère Nana, 13 ans, la fille de Nino. Quand il n’y a pas de place au refuge, la famille dort dans deux tentes fournies par Utopia 56.
Difficultés scolaires
« J’ai froid, j’ai froid », répète sans cesse Yannis, 10 ans, emmitouflé dans son manteau. Avec ses parents et sa grande sœur, il est à la rue depuis trois mois. Pendant la journée, le garçon, qui est né en France, est au chaud dans son école primaire, qu’il continue de fréquenter. Mais il peine à suivre.
Je cache toujours mon visage. Sinon, les autres me demandent pourquoi je suis fatigué, et je n’ai pas envie d’expliquer.
Yannis, enfant à la rue avec sa famille
« Quand on voit qu’un enfant dans la classe de sa fille dort dehors, on ne peut pas rester les bras croisés », se désole Manon Luquet, responsable du collectif Une école, un toit, 18e arrondissement, venue ce soir aider les familles. Avec d’autres parents d’élèves, elle s’est mobilisée en 2023 pour que des enfants de son école puissent dormir dans une classe, en attendant de trouver un logement. Aujourd’hui, elle milite pour qu’un lycée désaffecté du secteur soit temporairement transformé en refuge.

PHOTO RAFAEL MIRÓ, COLLORATION SPÉCIALE
La famille Bouzekry et leur deux filles, devant l’hôtel de Paris où ils sont venus essayer de trouver un logement. « Du matin au soir, on ne sait jamais où on va dormir », explique la mère, Samira. « Certains soirs, on doit dormir à 4 dans une tente d’où nos pieds dépassent. »
Face à l’explosion de l’itinérance infantile, des dizaines de collectifs de parents comme celui-ci sont apparus dans le pays. « Il y a une dizaine d’années, on trouvait systématiquement un toit pour les enfants à la rue », indique Manon Luquet, qui dénonce le sous-financement de l’hébergement d’urgence.
Et au Québec ?
À Montréal, il est encore extrêmement rare de croiser un enfant à la rue, selon les chercheurs interrogés par La Presse. Mais il ne faut pas croire qu’il n’y en a pas qui vivent de l’itinérance, surtout depuis le début de la crise du logement : ils sont simplement cachés.
« Dès qu’un enfant met le pied dans un refuge ou dort dans la rue, il est immédiatement signalé à la DPJ et séparé de sa famille », explique Céline Bellot, professeure de travail social de l’Université de Montréal.
Ça peut être très long de retrouver la garde de son enfant. Alors, les mères qui vivent une situation d’itinérance sont terrorisées. Elles ne disent à personne qu’elles ont leurs enfants.
Céline Bellot, professeure de travail social de l’Université de Montréal
En France, on fait le choix de laisser les enfants avec leur famille, même à la rue. « La séparation intervient en tout dernier recours », résume Pierre Éloy, sociologue spécialisé en itinérance à la Sorbonne. « Honnêtement, je ne sais pas quelle solution est la meilleure », s’interroge Céline Bellot, soulignant toutefois que l’itinérance affecte lourdement le développement des enfants.
« L’idéal, dans un cas comme dans l’autre, ce serait de trouver du logement pour toutes les familles. »