Source d'information majeure, l'encyclopédie Wikipédia est le théâtre de batailles idéologiques. Plusieurs pages, notamment de personnalités, organisation et médias de droite sont concernées. Jeanne Bloch, artiste, explique ce qui se joue.
On peut être de gauche et dénoncer une réalité décevante sur la plateforme encyclopédique Wikipédia. Qu’elle soit en langue anglaise, française ou allemande, les médias de centre ou de droite sont présentés comme d'extrême droite et comme sources non fiables ou peu recommandables alors que les sources très marquées de l’autre côté du spectre politique sont, elles, présentées comme étant modérées. Les discussions de ces derniers jours autour du journal Le Point dont la fiche Wikipédia a été particulièrement vandalisée n’ont rien d’original.
À LIRE AUSSI : Wikipédia gangrené par le militantisme… jusqu'au conflit d'intérêts ?
Par exemple, les médias de langue allemande de centre ou de droite n’échappent pas à la calomnie. Tichys Einblick, un magazine conservateur et libéral est décrit comme étant associé aux cercles « populistes de droite » et « nouvelle droite » alors qu'il représente une perspective libérale et conservatrice du marché plutôt qu'une perspective extrémiste.
Achse des Guten, un site d'opinion, qui présente des contributions d'auteurs de centre droit et libertaires est aussi accusé d’avoir des liens avec la « nouvelle droite » et est injustement classé aux côtés de sites plus extrémistes. Le journal suisse Neue Zürcher Zeitung (NZZ), une publication de centre droit, a été décrit dans certaines discussions de Wikipédia en allemand comme dérivant vers le « populisme de droite », bien qu'il reste un média grand public largement respecté en Suisse et à l'étranger.
Discrimination des sources
Sur le « Wikihausen », le forum de discussion en allemand, on a eu les mêmes types de discussion que sur le « Bistrot », le forum de discussion francophone ces derniers jours. En France, les pages Wikipédia de Franc Tireur, Marianne, Le Point font également l’objet de malveillances. Aux États-Unis, cela fait des années que les médias conservateurs se plaignent des mauvais traitements de leur fiche Wikipédia.
Qui entreprend de contribuer à Wikipédia prend donc conscience de ce que l'on ignore naïvement quand on croit juste s'y informer : sur les sujets politiques, les règles supposées assurer la neutralité des articles sont manipulées et dévoyées. Vous croyez lire une encyclopédie collaborative et pluraliste, vous êtes en réalité abreuvés de prises de position partiales, tronquées et malveillantes.
À LIRE AUSSI : "Islamophobie" et "Printemps républicain" : guerre d'édition et de réputation sur Wikipédia
Ainsi, dans Wikipédia, toute publication doit être justifiée par des sources vérifiables de qualité. Mais une minorité de contributeurs militants radicaux organisent une discrimination de ces sources. La tactique est simple : cataloguer les sources qui ne sont pas dans leur dogme, soit les médias du centre et de droite, voire des positions venant de la gauche mais portant un point de vue non aligné avec l’agenda militant, comme extrémistes, non indépendants ou douteux.
Ces médias, attaqués en permanence, ne peuvent alors plus être cités dans les articles et par conséquent ne constituent plus une source légitime, rendant ainsi impossible le travail éditorial sur la plateforme qui a fait de la contribution démocratique sa première valeur. Parfois, cela dépasse les clivages politiques.
Acharnement sur des fiches
L’année dernière, l’ONG américaine antiraciste, ADL (Anti-Defamation League), s’est vue placée sur la liste des sources non fiables du Wikipédia anglophone sur les sujets dont elle est experte au moment où elle publiait une recherche très sérieuse sur l’antisémitisme sur les campus universitaires américains. Pure coïncidence ? L’acharnement sur sa fiche Wikipédia s’est propagé jusque sur sa version française (voir capture d’écran).

Autre exemple parmi tant d’autres : en 2024, l'enquête du blog Tracing Woodgrains examine en profondeur comment un contributeur et administrateur anglophone, David Gerard, utilise sa position pour influencer la détermination des sources considérées comme fiables afin d'attaquer les fiches des personnalités auxquelles il s’oppose idéologiquement.
C’est ainsi qu’en 2014, David Gerard s’en était pris à la page Wikipédia du cofondateur de la fondation Mozilla car celui-ci avait fait, six années auparavant, une donation de 1 000 dollars à une campagne contre le mariage homosexuel. L’objectif de l’administrateur : centrer la page Wikipédia de Brendan Eich sur son opposition supposée au mariage homosexuel en soulignant que cette allégation figurait dans une source fiable, PinkNews, et en minimisant ses apports en tant que créateur du langage informatique JavaScript ou en tant que cofondateur de Mozilla.
Cette tactique se retrouve également sur la version francophone de Wikipédia, sur tout type de fiches de personnalités politiques ou non. La page de Caroline Yadan est particulièrement remarquable à ce titre : les contributions de la députée française au droit de la famille ou son engagement contre le cyberharcèlement ne sont pas autorisés à y être mentionnés par les administrateurs (contributeurs chargés de réguler Wikipédia), qui invoquent l'absence de sources fiables.
Des rapports violents
La violence des rapports entre éditeurs sur les pages dites controversées en éloigne plus d’un et l’idéal encyclopédique s’amoindrit. Alors comment sauver l’ambition encyclopédique ? Ce n’est pas la fondation-mère, basée à San Francisco, qui nous fournira la réponse. Cette organisation, qui propose l’infrastructure permettant aux communautés de contributeurs de faire leur travail bénévole, se défend systématiquement de toute responsabilité en s’abritant derrière le principe américain du « User Generated Content » (« Contenu généré par les utilisateurs ») : la plateforme se dit responsable de l’infrastructure technique et non du contenu. Ainsi, après le succès d’une publication scientifique dénonçant la falsification de l’histoire polonaise de la Shoah sur le Wikipédia anglophone, l’Arbcom, le comité d’arbitrage de Wikipédia, a réagi : il a banni pour deux ans les contributeurs falsificateurs depuis dix ans ainsi que ceux qui ont dénoncé la falsification !
Une autre pratique wikipédienne se joue ces jours-ci avec la lettre ouverte des contributeurs se sentant attaqués par le journaliste du Point déjà traduite en neuf langues sur Wikipédia et reprise dans plusieurs médias nationaux en moins de 48 heures, la pratique de la « citogenésis » : la création artificielle d’une source fiable afin d’inscrire dans Wikipédia une information qui ne l’aurait pas été autrement. Quand France Culture relaye sans attendre dans le journal de 8 heures du 18 février la lettre des wikipédiens publiée la veille, la radio publique permet ainsi de rajouter une source dite fiable à charge contre le journal Le Point.
L’enjeu est important car l'influence de Wikipédia est énorme : outre sa visibilité sur les moteurs de recherche, notamment Google, les IA y entraînent leurs algorithmes, intègrent donc ses biais et leur donnent une incroyable chambre d’écho.
Influencer les algorithmes
Si nous, défenseurs de la démocratie et donc de la pluralité d’opinion, ne l’avons pas encore compris, d’autres l’ont intégré et mis en action à nos dépens et sans qu’on n’en ait encore suffisamment pris conscience.
L’enquête parue dans le magazine Pirate Wires le 20 février 2025 démontre, preuves à l’appui, comment à travers la diffusion orchestrée des informations produites par le RNN (Resistance News Network) l’organe de communication d’organisations terroristes telles que le Jihad islamique palestinien, le Hamas, les Houthis…, propage son discours à travers les réseaux sociaux et les plateformes d’information, dont Wikipédia, dans le but d’influencer les algorithmes s’entraînant sur ces mêmes données.
À LIRE AUSSI : Maltraité dans Wikipédia, "Le Point" adresse une mise en demeure à la Wikimedia Foundation
Ces derniers profitent ainsi de ces espaces de communication libres et ouverts pour imposer à notre insu des idéologies totalitaires et réécrire l’histoire.