"Une loi raciste qui vise à exclure les femmes voilées" : le texte visant à interdire les signes religieux dans le sport fait débat à Montpellier
Des femmes de confession musulmane qui portent le voile dans le cadre de leur pratique sportive ne comprennent pas le sens et l’intérêt du texte voté au Sénat, le 18 février dernier.
Jeudi dernier, la nuit tombe sur Montpellier quand Sakina Kedir (20 ans) et sa mère Samia (50 ans) arrivent, le sourire aux lèvres, à la salle du club Kick-Boxing Val-de-Croze sur la place Fourier.
La première ouvre la porte, allume les lumières puis le chauffage, il ne fait pas chaud dans le petit bureau du club, et s’installe avant de débuter, quelques dizaines de minutes plus tard, la séance de boxe réservée à un groupe de femmes dans le cadre d’un stage sportif organisé par le club.
Mère et fille portent le voile comme un signe religieux. Ces derniers jours, ce "petit bout de tissu", comme l’appelle Samia, pèse encore plus lourd que d’habitude. Quarante-huit heures plus tôt, le Sénat a adopté une proposition de loi qui vise à interdire le port de signes religieux lors des compétitions départementales, régionales et nationales organisées par les fédérations sportives françaises délégataires de service public. La proposition de loi du sénateur Les Républicains Michel Savin a été adoptée par 210 voix pour et 81 contre.
"On pense nous libérer mais ce n’est pas le cas"
Si ce nouveau pas franchi vers le vote définitif d’une loi dans ce sens (le texte doit poursuivre son parcours à l’Assemblée Nationale) met Sakina et Samia en colère, elles doivent déjà composer avec ce genre de restrictions au sein de la Fédération Française de Kick-Boxing, Muaythaï et Disciplines Associées (FFKMDA). "Dans notre fédération, c’est déjà interdit pour coacher, pour arbitrer ou pour boxer depuis longtemps alors que j’ai appris, il y a peu, que les fédérations étaient encore libres de choisir, explique Sakina Kedir, entraîneure diplômée de kick-boxing. Je pense que cette future loi est une loi raciste qui vise juste à exclure les femmes voilées."
"On pense à notre place, renchérit Samia, dirigeante du club montpelliérain et pratiquante en loisir de kick-boxing. On pense nous libérer mais ce n’est pas le cas. On nous interdit encore une fois l’accès à une activité. C’est discriminant. Entre les hommes qui obligent les femmes à porter le voile et ceux qui les obligent à l’enlever, on ne nous demande jamais notre avis. Il y a toujours des hommes pour décider à notre place, c’est ça la liberté ? La liberté, c’est de nous laisser choisir."
"Combien d’entraîneurs ai-je vu avec des signes religieux autour du cou ?"
En cas de vote de cette loi, bon nombre de sportives qui portent un signe religieux dont le voile ne vont plus se présenter en compétition, ou pire arrêter leur pratique sportive. Sakina Kedir ne comprend pas : "Surtout que, sur le terrain, cela ne dérange personne, lâche-elle. Les gens de la boxe sont outrés d’apprendre que c’est interdit. J’ai passé un diplôme fédéral et je ne peux pas participer aux compétitions, quelle est la logique ? Combien d’entraîneurs ai-je vus avec des signes religieux comme des croix sur des vêtements ou autour du cou lors de compétitions ? Personne n’embête ces gens. Pas contre, quand j’arrive avec mon voile, on me demande de le retirer."
Pour Samia, "cette loi n’est pas représentative de ce que les citoyens pensent. Ce sont les têtes pensantes qui décident. Et en plus, on nous met toutes dans le même panier. Par exemple, il y a ce cas d’une femme arbitre de kick-boxing qui a fait le choix de retirer son voile pour participer aux compétitions. Les dirigeants se servent de ce cas pour nous demander pourquoi on ne fait pas toutes comme elle. On ne s’amuse pas avec le voile, ce n’est pas une casquette. Quand on le porte, c’est au quotidien. On ne l’enlève pas spécifiquement pour le sport. C’est un cheminement spirituel."
Exaspérées, Samia et Sakina Kedir gardent un petit espoir que cette loi ne soit pas votée. Pour que toutes les femmes qui le veulent puissent continuer à participer à des compétitions sportives.
Béatrice Barbusse (sociologue) : "Il y en a marre"
Comment réagissez-vous à l’adoption par le Sénat du texte de loi interdisant le port de signes religieux en compétition sportive officielle ?
Je suis triste et en même temps en colère. Triste parce que je sais ce que cela représente pour les femmes concernées qui vont devoir arrêter leur pratique sportive car elles ne pourront pas faire de compétitions. Selon certains Sénateurs, elles n’en sont pas dignes. J’en ai assez de cette hypocrisie qui finit par toucher, encore une fois dans le sport, les femmes. Il y en a marre qu’on nous dise comment s’habiller.
Comprenez-vous qu’on puisse évoquer la notion de laïcité dans ce cas ?
Ces femmes sportives ne sont pas des agents de l’Etat lorsque, sur un temps libre, elles font du sport. La laïcité ne s’applique pas donc les Sénateurs ont remplacé la notion de laïcité par celle de neutralité. Si ces messieurs avaient lu, s’étaient renseignés, ils comprendraient que la neutralité du sport est une gabegie, une hypocrisie, c’est pour nous endormir. Le sport n’a jamais été neutre. Pour avoir toutes subi du sexisme, on sait bien, nous les femmes, que le sport n’est pas neutre. Le sport est à dominance masculine, ses dirigeants sont en majorité des hommes blancs et politiquement de droite. On voit, avec ce gouvernement, que les priorités ne sont pas de mettre le sport au centre de notre vie mais plutôt de faire en sorte que quelques centaines de femmes soient empêchées de faire du sport en compétition.


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