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100.000 membres des forces armées américaines en Europe : où sont-ils déployés et pour y faire quoi ?

© Sean Gallup/Getty Images

06 mars 2025 à 05:20Temps de lecture

Sur le sol européen, 100.000 membres de l’armée étasunienne sont déployés. Seules la France et la Pologne ont une force militaire plus importante avec plus de 200.000 soldats dans leur rang. La Pologne est d’ailleurs l’Etat membre de l’Union européenne qui possède la plus grande armée. La France, de son côté, est le seul pays à posséder l’arme nucléaire au sein de l’UE. En Europe, le Royaume-Uni possède également l’arme nucléaire mais le pays est dépendant des États-Unis à cet égard.

Pour quelles raisons la force américaine sur le sol européen est si importante, où est-elle située et qu’est-ce qu’elle y fait ?

Des questions d’autant plus importantes au moment où les inflexions de la stratégie américaine de défense à l’égard de l’Union européenne se font de plus en plus claires.

Il y a à peine quelques semaines encore, le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth donnait le ton depuis Varsovie pour sa première visite bilatérale, en déclarant que l’Europe ne pouvait supposer que la présence des troupes étasuniennes sur le continent "durera éternellement", exhortant les pays européens à augmenter leur budget de défense, notamment au sein de l’Alliance atlantique. Un ton suffisamment ferme, dans la même veine que le discours de JD Vance à Munich, pour réveiller les Européens. Et susciter les inquiétudes des chancelleries, notamment dans les pays de l’Est.

Même si quelques jours plus tard, le président polonais a affirmé avoir reçu "l’assurance" des Etats-Unis qu’ils n’envisageaient pas de réduire leur présence en Europe, les récents événements et les multiples annonces de l’administration américaine n’ont pas permis d’apaiser les craintes. Encore moins avec l’annonce de la réduction du budget du Pentagone (jusqu’à 8%) avec plusieurs secteurs exemptés mais pas explicitement la présence militaire des Etats-Unis en Europe.

Des signaux forts de désengagement qui culminent avec la visite particulièrement tendue de Volodymyr Zelensky à la Maison-Blanche jusqu’à cette annonce de ce mardi 4 mars indiquant le gel de l’aide américaine à l’Ukraine.

De quels contingents parle-t-on ?

Comme le rappelle le think tank américain, Council on foreign relations, des forces militaires américaines sont présentes sur le sol européen depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Et depuis, l’importance de la présence américaine a sans cesse fluctué. Après l’invasion russe en Ukraine en 2022, cette présence a été renforcée dans les pays européens proches de la Russie, de la Biélorussie et de l’Ukraine. Le contingent américain a été porté jusqu’à près de 105.000 membres de la défense américaine déployés.

En Europe, on compte près de 40 bases militaires américaines. 65.717 soldats américains sont déployés de façon permanente sur le sol européen. La plupart sont concentrées en Europe centrale. Et plus de la moitié sont déployés dans les 13 bases que compte l’Allemagne. Il y a une raison historique à cela, rappelle Alain De Nève, expert au Centre d’études de sécurité et de défense : "L’Allemagne, pendant toute la Guerre froide a été le lieu où était concentrée une grande partie des forces américaines, pour dissuader l’Union soviétique, de reprendre notamment l’autre moitié de l’Allemagne et de Berlin. Dans la mesure où l’essentiel de la logistique était déjà présent, l’idée a été d’assurer la continuité".

Selon les chiffres du Département étasunien de la Défense, il faut ajouter 1788 réservistes et 18.011 membres civils. Après l’invasion russe en Ukraine, il y a trois ans, l’administration Biden a également décidé d’augmenter de près de 20.000 personnes le contingent des Etats-Unis en Europe. Ce renforcement s’est opéré notamment au sein des pays proches de la frontière avec l’Ukraine.

En Belgique, où se situe le siège de l’OTAN, on compte 1119 militaires étasuniens déployés. D’ailleurs, le SHAPE, basé à Mons, est considéré comme l’une des 37 bases américaines en Europe.

Pourquoi une telle présence ?

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les forces alliées sont déployées sur le sol européen.

C’est principalement un rôle dissuasif que la présence américaine joue sur le sol européen. "La dissuasion conventionnelle avec la présence en hommes et la dissuasion nucléaire, précise Alain De Neve, cela n’aurait pas beaucoup de sens ou ce ne serait pas jugé de façon totalement crédible de n’avoir que la dissuasion nucléaire s’il n’y avait pas une dissuasion conventionnelle constituée de troupes avec le matériel et la logistique. Le calcul c’est qu’on se dit qu’un adversaire aurait plus à craindre avec la combinaison des deux". Et c’est dans ce cadre dissuasif que cette force a été renforcée après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

À cela on peut ajouter une présence pour l’accompagnement logistique ou encore pour des missions d’entraînement. Les Etatsuniens sont également "intégrés dans quelques unités, par exemple en Pologne où ils gardent la frontière vers la Russie. Ils sont aussi impliqués dans l’entraînement et l’intégration des forces de l’OTAN", détaille Simon Van Hoeymissen, également expert au Centre d’études de sécurité et de défense. Autre spécificité, ajoute l’expert, c’est "la défense contre les missiles balistiques".

L’Europe peut-elle se défendre sans les Américains ?

C’est la grande question à laquelle l’Europe se voit pressée de répondre. Elle n’est pas nouvelle pourtant. Cela fait même de nombreuses années que les Etats-Unis demandent aux Européens de ne plus se reposer uniquement sur leur allié d’Outre-atlantique pour leur défense. C’était déjà le cas sous l’administration Obama et plus récemment sous l’administration Biden.

Mais aux vues des dernières décisions et déclarations de l’administration Trump, dont le gel de l’aide militaire à l’Ukraine, la réponse à cette question se fait de plus en plus urgente. C’est d’ailleurs dans ce contexte que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a annoncé ce 4 mars 2025 un plan pour mobiliser 800 milliards d’euros.

L’institut Bruegel, un think tank spécialisé sur les questions économiques, s’est d’ailleurs posé la question de savoir de quoi aurions-nous besoin si nous devions assurer notre propre défense. Verdict : l’Europe pourrait avoir besoin de 300.000 soldats supplémentaires et d’une augmentation annuelle de défense d’au moins 250 milliards d’euros à court terme pour dissuader une agression russe. Par ailleurs, disent les chercheurs qui ont travaillé avec l’institut Kiel, pour l’heure, "les troupes américaines (en Europe, ndlr) sont soutenues par l’ensemble des moyens stratégiques américains, y compris l’aviation stratégique et les ressources spatiales. C’est ce qu’il manque aux armées européennes".

Les 5% restants pour lesquels les Européens dépendent des Américains, c’est en quelque sorte la colle qui permet de mettre ensemble les 95%

Simon Van Hoeymissen

Mais la dépendance à l’égard des Etats-Unis en Europe est à nuancer. Certes, le support des alliés est substantiel. Mais pour Simon Van Hoeymissen, "l’Europe pourrait gérer elle-même 95% de ce dont elle a besoin pour se défendre. La grande partie de ce dont elle a besoin est déjà prise en charge par les Européens. Et même avec la présence des Américains, aujourd’hui ce seront les Européens qui seront impliqués dans les tâches les plus dangereuses. La plupart des combats seraient faits par les Européens. Par exemple, les Américains sont intégrés dans l’unité de l’armée polonaise qui sera probablement la première unité en contact avec les Russes en cas d’escalade. Et en cas de combat ce seront les Polonais qui seront en première ligne".

Par contre, dit-il, "les 5% restants pour lesquels les Européens dépendent des Américains, c’est en quelque sorte la colle qui permet de mettre ensemble les 95%". C’est le cas, par exemple, pour la commande de certains satellites, comme "des satellites espions essentiels en cas d’escalade qui seraient importants pour comprendre la nature de la menace, explique l’expert, donc pour quelques capacités militaires cela pourrait prendre dix ans avant que l’Europe ne soit pleinement autonome."

Reste à noter, comme le détaille Alain De Neve, qu’un retrait étasunien d’Europe serait très coûteux pour eux. De plus, la force de dissuasion étasunienne en Europe est également nécessaire pour les intérêts stratégiques des Etats-Unis, mais son entretien et sa modernisation nécessitent le maintien d’un certain nombre de personnes. De plus, lors de l’annonce du secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, des coupes budgétaires de 8%, la dissuasion nucléaire faisait partie des secteurs exemptés. Et, dit-il, sur la question d’une éventuelle diminution du contingent américain sur le sol européen, voire d’un retrait, "il faudrait alors se poser la question d’où seraient-ils réaffectés […]. Et puis on ne peut pas quitter des bases si facilement, cela entraîne un coût. Et puis il y a aussi la facture politique d’une telle décision."

Coordination et temps requis

Alain de Neve souligne que les Européens ont la connaissance technique et militaire : "Ce que le personnel des Etats-Unis fait en Europe, les Européens pourraient le faire, s’ils étaient dotés de moyens similaires ou des budgets similaires et ils pourraient le faire avec leur propre capacité", détaille-t-il.

Nous avons besoin de nous coordonner

Alain De Neve

Au total, toutes armées confondues, l’Europe compte près d’1,5 million de soldats. Et ces dernières années, les budgets alloués à la Défense n’ont eu de cesse d’augmenter de manière significative. "Ce qui manque aux Européens ce n’est pas tant le budget, on peut évidemment se dire qu’on va l’augmenter mais nous avons besoin de nous coordonner, il faut de la mutualisation des moyens, on doit éviter les duplications dans le développement de systèmes d’armes et dans l’acquisition de certaines capacités", analyse le chercheur au Centre de sécurité et de défense.

L’autre élément dont a besoin l’Europe, c’est de temps. Les Européens ne peuvent pas remplacer militairement les Américains "d’un jour à l’autre" avaient déclaré les autorités allemandes à la mi-février. Ils avaient d’ailleurs proposé une "feuille de route" pour réaliser un transfert organisé des responsabilités. "Il y a des choses que l’on peut faire assez rapidement, s’agissant notamment du nombre d’hommes, on pourrait remplacer les forces à relativement court terme. Environ dans les deux ans, analyse Alain De Neve, mais il est vrai que la question du temps est cruciale. Il ne faut pas réinventer l’eau chaude pour autant. On a déjà des outils, des instruments qui existent. Il faut simplement, pour ceux qui existent déjà, les activer, les mettre en œuvre. Il y a déjà une base qui existe, donc il est temps de le faire. Et côté Etats-Unis, toutes formes de retrait prendra du temps aussi".

Ce mardi 4 mars, le président des Etats-Unis Donald Trump a prononcé son premier discours de politique générale. Sur l’Ukraine, il a dit avoir reçu une lettre de Volodymyr Zelensky se disant prêt à négocier un accord de paix. Mais la rapidité des événements conduit désormais l’Europe à penser une défense européenne, a minima plus autonome stratégiquement.

Sur le même sujet : extrait JT (05/03/2025)

Coopération militaire / Les États-Unis toujours actifs en Belgique

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