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Nouveaux soupçons de corruption au Parlement européen : des lobbyistes liés à Huawei ciblés par la justice

La justice belge soupçonne des lobbyistes de la firme chinoise Huawei d’avoir corrompu une quinzaine d’eurodéputés, révèlent « Le Soir », « Knack » et « Follow The Money ». La police judiciaire fédérale a procédé ce jeudi matin à 21 perquisitions, confirme à nos médias le parquet fédéral.
Info « Le Soir » -
Par Louis Colart, Joël Matriche, avec «Knack» et «Follow The Money»
Temps de lecture: 6 min

Plus de deux ans après le Qatargate, un nouveau scandale de corruption frappe le Parlement européen. Ce jeudi matin dès l’aube, une centaine d’enquêteurs de la police judiciaire fédérale, sur mandat d’une juge d’instruction financière et du parquet fédéral, ont perquisitionné 21 adresses en Région bruxelloise, en Flandre, en Wallonie, mais aussi au Portugal. Ces informations, confirmées par le parquet fédéral, sont révélées par Le Soir, en partenariat avec l’hebdomadaire Knack, la plateforme néerlandaise d’investigation Follow The Money et les journalistes d’investigation grecs de Reporters United.

Au terme de plusieurs mois d’enquête, la justice a interpellé plusieurs lobbyistes travaillant pour le géant chinois des télécoms Huawei, soupçonnés d’avoir corrompu d’actuels ou anciens eurodéputés afin de favoriser la politique commerciale de l’entreprise sur le Vieux Continent.

Plus tard dans la matinée, la police a également visité le bureau de Huawei à Bruxelles, situé à deux pas du parc du Cinquantenaire. Contactée, Huawei n’a pas communiqué jeudi.

Nom de code : « Génération »

Une centaine d’officiers de police judiciaire, emmenés par les enquêteurs de l’Office central pour la répression de la corruption (OCRC), ont visité les domiciles et les bureaux de plusieurs lobbyistes ayant travaillé ou travaillant toujours pour la firme Huawei dans le cadre d’un dossier ouvert des chefs de « corruption », « faux et usage de faux », « blanchiment » et « organisation criminelle ». Il s’agissait jusqu’à ce jeudi d’un dossier « sous embargo », autrement dit les procès-verbaux de l’enquête préliminaire n’étaient pas versés à la banque de données policière et un nombre limité de magistrats et officiers étaient dans la confidence. Nom de code : « Génération ».

Plusieurs lobbyistes ont été privés de liberté pour être auditionnés et éventuellement être présentés plus tard à la juge d’instruction. Mais, selon nos informations, la cible principale de l’opération judiciaire matinale se nomme Valerio Ottati. Le lobbyiste n’était pas joignable dans l’immédiat.

Cadeaux et virements à des députés

Ottati, 41 ans, est le directeur des affaires publiques du bureau de Huawei auprès de l’Union européenne depuis 2019. Ce natif de Woluwe-Saint-Pierre a été auparavant l’assistant parlementaire de deux anciens députés italiens – un PPE (droite) et un S&D (social-démocrate) – pendant dix ans. « Ce n’était pas du tout un technicien. Il avait été embauché pour ses relations », a indiqué une source requérant l’anonymat à notre partenaire Follow The Money. « Il organisait de nombreuses réunions avec des députés européens et pouvait inviter des personnes à des événements. »

Le parquet fédéral soupçonne désormais que les « invitations à des événements » n’étaient que la partie légale des opérations de relations publiques initiées par l’employé de Huawei et ses potentiels complices. D’après les informations du Soir et de ses partenaires – et contrairement au Qatargate impliquant des valises de cash –, la corruption présumée serait passée dans cette affaire plutôt par des cadeaux de valeurs (dont des smartphones Huawei), des places à des matchs de football (Huawei dispose notamment d’une loge privative au Lotto Park, l’antre du RSC Anderlecht) ou des virements de quelques milliers d’euros. D’après le code de conduite des députés européens, tout bien offert par un tiers d’une valeur supérieure à 150 euros doit être déclaré et répertorié publiquement dans le registre des cadeaux.

« La corruption aurait été pratiquée régulièrement et très discrètement de 2021 à ce jour, sous couvert de lobbying commercial et en prenant différentes formes, comme des rémunérations de prises de positions politiques ou encore des cadeaux démesurés, comme des frais de bouche, de voyage ou encore des invitations régulières à des matchs de football », confirme le parquet fédéral, sans mentionner le nom de Huawei.

D’après notre enquête, des virements à un ou plusieurs eurodéputés sont passés via une société portugaise. Une adresse a d’ailleurs été perquisitionnée par des policiers portugais jeudi matin.

Aucun député belge dans le viseur

« Les avantages patrimoniaux liés à la corruption supposée seraient possiblement mélangés dans des flux financiers liés à des prises en charge de frais de conférences et payés à différents intermédiaires, ce en vue de dissimuler leur caractère illicite ou de permettre aux auteurs d’échapper aux conséquences de leurs actes. De ce point de vue, l’enquête s’attache également à déceler les éléments de blanchiment de capitaux, le cas échéant », ajoute le parquet fédéral.

Aucun (ex-)eurodéputé n’a été visé par les devoirs d’enquête menés ce jeudi. Mais il n’est pas exclu que le parquet fédéral demande la levée des immunités parlementaires de plusieurs élus dans la suite des investigations. D’après les informations du Soir et de ses partenaires, les enquêteurs ont des soupçons concrets de corruption concernant une poignée d’actuels ou anciens élus de plusieurs bords politiques, et une quinzaine d’europarlementaires apparaissent sur le radar d’une enquête judiciaire qui s’annonce tentaculaire. Toujours d’après nos informations, aucun élu belge ne figure parmi ces suspects potentiels. A ce stade, du moins.

Pose de scellés

Jeudi après-midi, la justice belge a fait procéder à la pose de scellés sur les portes de deux bureaux d’assistants parlementaires situés à Bruxelles. Le Soir et ses partenaires ont pu le constater sur place. Mais le parquet fédéral ne fait aucun commentaire à ce stade sur l’identité des suspects, il est possible que ce soient les assistants eux-mêmes, les élus pour qui ils travaillent, ou même d’anciens élus pour qui ils travaillaient autrefois.

Jeudi après-midi, la justice belge a fait procéder à la pose de scellés sur les portes de deux bureaux d’assistants parlementaires situés à Bruxelles.
Jeudi après-midi, la justice belge a fait procéder à la pose de scellés sur les portes de deux bureaux d’assistants parlementaires situés à Bruxelles. - Alexander Fanta (Follow The Money).

Par ailleurs le parquet a confirmé jeudi « qu’un suspect a été arrêté en France suite au mandat d’arrêt européen délivré contre lui ».

Pour quels motifs des lobbyistes associés à Huawei auraient-ils franchi la ligne rouge ? Selon les premiers éléments de l’enquête, il s’agirait de contrer le lobbying hostile de Washington, qui s’est intensifié dès 2019, pour exclure les sociétés de télécoms chinoises des marchés sensibles. De contre-attaquer les accusations d’espionnage et de plaider pour l’ouverture du marché européen aux investissements chinois.

Ce nouveau scandale de corruption éclate alors que les députés sont réunis cette semaine en plénière à Strasbourg (France). Dans une courte réaction, le Parlement européen indique « prendre note de l’information » et ajoute que « lorsque c’est requis il coopère entièrement avec les autorités judiciaires ».

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4 Commentaires

  • Posté par Daniel Fonder, jeudi 13 mars 2025, 10:12

    Si c’est pour des smartphones et des places de football qu’il faut renforcer la police judiciaire …. Laissons pleurer le procureur dans les média et les assemblées. Qu’il prouve d’abord qu’il s’attaque au grand banditisme que d’utiliser cent enquêteur pour des problèmes qui concernent plus l’Europe que la Belgique !

  • Posté par Patricia Geyskens, jeudi 13 mars 2025, 16:30

    Aïe aïe aïe, en va encore entendre parler de Didier le Bleu.

  • Posté par Roland Martin, jeudi 13 mars 2025, 13:58

    Pas d'accord avec vous: toute escroquerie 'urbi et orbi' doit être dénoncée et poursuivie. On n'est pas en ruSSie !

  • Posté par B P, jeudi 13 mars 2025, 10:49

    Commentaire hallucinant. La probité de nos élus nous concerne tous.

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