Le tragique destin de l’œuvre d’une pionnière du Bauhaus mis en lumière dans un docu et une expo

Le destin de Lucia Moholy (1894–1989) est hélas semblable à celui de bien des artistes femmes du XX^e siècle. Photographe d’avant-garde, cette figure incontournable du Bauhaus a vu son nom complètement éclipsé de l’histoire de la modernité pendant des décennies, et son œuvre volée entre autres par Walter Gropius, fondateur de la mythique école.

Réalisé à l’occasion de l’exposition « Lucia Moholy – Exposures » à la Kunsthalle de Prague – aujourd’hui visible à la Fotostiftung Schweiz de Winterthour (Suisse) jusqu’au 9 juin prochain – le documentaire Lucia Moholy, la photographe du Bauhaus, disponible sur Arte.tv, retrace le destin de cette artiste majeure, dont l’œuvre aujourd’hui rattachée au courant de la Nouvelle Objectivité témoigne de l’un des chapitres les plus passionnants de l’art du XX^e siècle.

L’œil du Bauhaus

Simplement considérée comme l’épouse de László Moholy-Nagy, Lucia Moholy ne sera jamais rémunérée pour son travail pourtant considérable.

Née en 1894 à Prague dans un milieu aisé, Lucia Moholy n’a pas suivi la destinée qui semblait alors toute tracée pour les jeunes filles de bonne famille en épousant l’artiste László Moholy-Nagy. Inséparable, le couple mène toutes sortes d’expérimentations autour de la photographie et emménage en Allemagne, où il fréquente la scène artistique des avant-gardes. Lucia Moholy rejoint l’aventure du Bauhaus, fondé à Weimar en 1919, lorsque Làszlo y est nommé professeur par Walter Gropius. La photographe est alors chargée d’immortaliser les créations de l’école.

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Lorsque le Bauhaus déménage à Dessau, elle photographie le nouvel édifice imaginé par Gropius sous tous les angles et documente la vie quotidienne de l’école où, malgré un climat ouvertement misogyne, les femmes parviennent peu à peu à se faire une place. Simplement considérée comme l’épouse de László Moholy-Nagy, Lucia Moholy ne sera jamais rémunérée pour son travail pourtant considérable, comme en témoigne dans le documentaire un grand nombre d’archives (entretiens, extraits de journaux intimes, lettres lues par des comédiens).

Dépouillée de son œuvre

C’est en quittant le Bauhaus, et son mari, que Lucia Moholy s’engage sur la voie de l’émancipation mais, rattrapée par la montée du nazisme, elle est contrainte de quitter l’Allemagne en abandonnant la totalité de son œuvre – soit plus de 560 plaques de verres… Confiées aux bons soins de László Moholy-Nagy, elles finissent par atterrir entre les mains de Walter Gropius, qui s’en sert pour faire la promotion du Bauhaus aux États-Unis, où il émigre pendant la guerre ; sans jamais rémunérer et encore moins mentionner la véritable autrice des images.

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Tandis que ce dernier poursuit une brillante carrière d’architecte et de professeur à Harvard, Lucia Moholy, qui s’est installée en Angleterre, connaît la pauvreté et réalise des microfilms destinés à la documentation scientifique. Elle finira par abandonner la photographie après la guerre, pour se consacrer à l’enseignement et à la critique d’art. C’est lorsqu’elle demande à récupérer ses plaques de verre qu’elle apprend les manœuvres de Gropius et de son ex-mari, qui s’est aussi approprié son œuvre jugeant que les images sur lesquelles il apparaissait lui appartenaient. Elle finira, après bien des efforts, par récupérer une partie de ses négatifs – la moitié seulement. Quant à son œil visionnaire, il continue aujourd’hui encore d’inspirer des générations d’artistes. À l’heure où l’héritage du Bauhaus est attaqué par l’extrême droite, taxé en Allemagne d’ « aberration historique » par l’AfD, il est urgent de redécouvrir cette figure fondatrice de la modernité.